Nouvelle Societe

31-08-08

Solution au chômage (Québec)

Filed under: Auteur — pierrejcallard @ 10:50

PRÉAMBULE

Il y a maintenant plus de 30 ans que je travaille dans le domaine de la main d’oeuvre et que, comme tant d’autres, je cherche une solution au problème universel du chômage. Pendant toutes ces années – à titre de haut fonctionnaire, conseiller, expert, consultant, intervenant à des dizaines de projets à travers le monde, de Djibouti à l’Alberta et du Gabon en Chine – j’ai produit bien plus que ma part d’études, d’analyses et de rapports pour élaborer des « initiatives », des « programmes », des « politiques », des « plans globaux » de réforme de l’éducation, de la formation, de l’emploi… .

Au fil des ans j’ai compris, comme tant d’autres, que des mesures de création d’emplois ne régleraient rien, puisque c’est notre structure même d’encadrement du travail et d’affectation des ressources humaines qui est désuète. Hélas, les décideurs qui commanditent les études de main-d’oeuvre – et en redemandent! – acquiescent au diagnostic mais ne s’attaquent jamais au problème de fond. Ils sont trop occupés. Les exigences politiques et administratives sont trop urgentes. Les voies sans issue ont trop d’amis. Les arbres cachent toujours la forêt.

Depuis trente ans, de palliatifs en expédients, la crise du travail qui s’amorçait déjà vers les années « 60 s’est aggravée au point de prendre maintenant toute la place. Le dénouement de cette crise est devenu aujourd’hui un passage obligé vers la solution de tous nos autres problèmes: dette publique, stagnation économique, exclusion sociale, détresse annoncée d’une génération qui quitte le marché du travail inquiète de ne pas recevoir ce qu’on lui avait promis, décrochage d’une autre génération qui doit prendre la relève mais à laquelle nous n’avons plus rien à promettre. Aujourd’hui, tout passe par le retour au travail.

Il existe une solution à la crise du travail, mais des mesures de création d’emplois ne réglerontt rien. La solution consiste à identifier nos objectifs de production réels – qui ne peuvent plus être ceux de la révolution industrielle – et à mettre en place une structure d’encadrement du travail qui permette de les atteindre. Une structure qui, elle non plus, ne peut plus être celle de la révolution industrielle.

Il y aura de moins en moins d’emplois. Il y aura toujours du travail, puisque nous aurons toujours des besoins à combler et des désirs à satisfaire, mais les emplois salariés, tels que nous les connaissons, vont disparaître. Le problème du chômage sera résolu quand ceux qui nous gouvernent renonceront à des mesures dérisoires de création d’emplois qui ne servent qu’à reporter l’inévitable échéance du changement et procéderont à la mise à jour qui s’impose de nos façons de travailler. Même si cette mise à jour impose un nouveau contrat social dont le droit au travail constituera un élément essentiel. Le but de ce rapport est de promouvoir une meilleure compréhension du problème et de sa solution par tous ceux qui s’y intéressent et d’encourager l’État à prendre les décisions qui s’imposent.

J’ai déjà dit, écrit, publié depuis longtemps bon nombre des idées que je présente ici; je ne vois pas de mal à les répéter. Un bon nombre de spécialistes en matière de main-d’oeuvre partagent ces idées, mais on les fait taire; je les invite à parler plus fort.

Pierre JC Allard

0. LA CRISE DU TRAVAIL

Il y a 861 000 sans-travail au Québec. Chômeurs et assistés sociaux confondus, près d’un travailleur sur quatre n’a plus de travail. Le « 4ème travailleur », celui qu’on a mis au rancart, vit la plupart du temps sous le seuil de la pauvreté. Lui et sa famille: l’assisté social et son ménage reçoivent, en moyenne, 657 $ par mois.

18% de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Sous la mince couche des « riches » qui vivent de leurs intérêts – et celle qui va s’amenuisant d’une classe moyenne qui vit encore de son travail – nous avons laissé se développer un nouveau tiers état: un million et demi (1 500 000 ) de Québécois, travailleurs et dépendants, dont les paiements de transfert constituent la seule source légale de revenu. Un million et demi d’exclus.

Dans le sillage du chômage, de la pauvreté et de l’exclusion, d’autres tares sont apparues. Notre dette par tête nette est la plus élevée de tous les pays industrialisés: 20 fois celle du Brésil! 50% des jeunes ne terminent pas leurs études secondaires dans les délais prévus, plus du tiers ne les terminent pas du tout, et une récente étude confirme que 30% des Québécois sont des analphabètes fonctionnels. Le revenu moyen des Québécois, en dollars constants, stagne depuis 20 ans; les adultes ont aujourd’hui moins de bien-être, les personnes âgées moins de sécurité, les jeunes moins d’espoir qu’il y a une génération. La délinquance prévisible d’une jeunesse sans travail, sans revenu et sans espoir contribue de plus en plus à une violence omniprésente – à l’école, dans la rue, partout… – et qui reste le plus souvent impunie. Enfin, signe tangible de la déchéance de notre société qui s’appauvrit, la gratuité des programmes sociaux d’éducation et de santé est remise en question, menaçant ainsi ce qui a sans doute été l’acquis de civilisation le plus significatif de notre époque.

Qu’est-ce qu’une société? Une société, c’est d’abord une structure d’échange à laquelle chaque participant en titre apporte sa contribution; la complémentarité des apports permet la division du travail et un mieux-être pour tous. Souvent, le pouvoir, l’autorité – l’argent dans une économie monétaire – peuvent introduire des biais et faire qu’on reçoive plus ou moins que ce que l’on donne, mais le principe demeure d’une participation au bien commun. Il n’y a qu’aux enfants et à ceux qui en sont vraiment incapables qu’on accorde de bon gré le privilège de ne pas contribuer à l’effort collectif.

C’est de bien mauvais gré qu’on concède aujourd’hui ce privilège aux chômeurs et assistés sociaux victimes de la transformation de notre système de production. Nous savons tous, intuitivement, que le revenu personnel réel de chacun serait en moyenne augmenté d’un tiers si tout le monde poussait à la roue. Ceux qui travaillent encore aiment de moins en moins ceux qui ne travaillent pas et la condescendance envers les exclus du travail devient de la hargne. Tous les signes sont là qui annoncent une fissure de plus en plus profonde entre ceux qui contribuent à la production et les autres. La solidarité qui découle d’une croyance profonde que nous y gagnons à être ensemble – et qui est une condition essentielle au maintien d’une société – est devenu bien fragile. C’est ça, la véritable crise.

Un travailleur sur quatre, au Québec, ne contribue ni bien ni service au mieux-être des trois autres. La structure actuelle du travail ne permet pas que soit mise à profit la capacité de production du « 4ième travailleur ». Il est redondant, il est exclus. Il faut ramener les exclus au travail: c’est la condition préalable à la dignité des uns et à l’équité pour les autres. La condition préalable à l’affirmation de la solidarité. Il faut que la solidarité renaisse au Québec, non pas seulement comme un acte de charité, mais aussi comme une prise de conscience bien terre-à-terre de la valeur potentielle pour chacun de la contribution de tous les autres. C’est à cette condition seulement que la nature humaine accepte l’appartenance. Qui a une solution? Où est le projet qu’on nous propose?

Il est bien téméraire de penser qu’on pourra régler une situation exceptionnelle par les mesures habituelles et des problèmes extraordinaires par des solutions ordinaires. Nos dirigeants peuvent choisir d’agir ou de ne pas agir, c’est là une décision politique, pour laquelle il n’y a qu’un prix politique à payer. Mais ils ont certainement aussi la responsabilité morale de comprendre POURQUOI il y a une crise du travail et COMMENT on peut la régler.

1. POURQUOI UNE CRISE DU TRAVAIL?

1.1 LE TRAVAIL ET LES EMPLOIS

Le travail, c’est un effort qu’on consent pour obtenir un résultat. Il y aura donc toujours du travail à accomplir, aussi longtemps que tous nos besoins ne seront pas comblés et que tous nos désirs ne seront pas satisfaits. Dire qu’il n’y a plus de travail est donc une absurdité. Le problème actuel n’est pas que nous manquions de travail, mais que nous manquions d’emplois; ce qui n’est pas du tout la même chose. L’emploi n’est qu’une façon de travailler parmi plusieurs; c’est celle qui consiste à exécuter certaines tâches, ou à s’acquitter de certaines fonctions, en considération d’un salaire prédéterminé. Il y a d’autres façons de travailler et d’autres modes de rémunération.

Avant la révolution industrielle, l’emploi comme nous le connaissons n’existait guère que pour les domestiques qu’on « engageait » et qui recevaient leurs « gages », et pour les soldats, qui touchaient leur « solde ». Serfs et artisans, commerçants et troubadours, la masse de la main-d’oeuvre était constituée de travailleurs autonomes. Ceux-ci manquaient souvent de revenus, mais jamais de travail. C’est avec l’industrialisation que la majorité des travailleurs ont cessé d’être autonomes pour devenir dépendants d’une machine sans laquelle leurs efforts n’avaient plus qu’une valeur dérisoire. Dans cette situation, l’emploi à salaire fixe devenait un progrès social en remplaçant la rémunération à la pièce, dite inhumaine, mais dont on peut croire cyniquement qu’elle avait surtout le tort d’être incompatible avec le travail à la chaîne.

L’emploi – la « job » – est la meilleure façon de travailler à la chaîne, quand on peut diviser le travail en ses éléments constituants les plus simples et superviser l’exécution de chaque élément en mesurant son output immédiat. Pour fabriquer des souliers ou des jujubes, par exemple, la « job » est imbattable. Dans le travail à la chaîne, chaque travailleur (comme une machine), a son « programme » qui est sa « job »; le système agence l’output de chaque travailleur et tout le monde trouve, au bout de la chaîne, chaussure à son pied et des jujubes à son goût. C’est la façon de travailler qui correspond le mieux à une production industrielle, quand le travailleur exécute du « travail en miettes ».

Heureusement, nous n’en sommes plus là. Maintenant, ce sont de vraies machines qui font – et qui feront de plus en plus – ce que faisaient ces ouvriers industriels de jadis qu’on traitait comme des machines. Le problème, c’est que pour le travail qui exige encore une intervention humaine directe, l’emploi n’est simplement pas la meilleure structure d’encadrement et de rémunération. Les emplois sont donc en voie de disparition.

Ceci n’est pas une hypothèse, c’est un fait; quand on lisse correctement la courbe des chômeurs et assistés sociaux réunis pour en enlever les éléments conjoncturels, on voit apparaître la réalité: la courbe des chômeurs et assistés sociaux réunis est en hausse constante depuis 40 ans! Parler de récession et de conjoncture pour expliquer le chômage actuel est donc un pieux mensonge; il semble évident qu’il y aura de moins en moins d’emplois jusqu’à ce qu’il n’en reste presque plus. Il faut d’abord accepter cette réalité. Ensuite, il faut agir en conséquence. Après, on devra très certainement s’en réjouir…

1.2 LA FIN DES EMPLOIS INDUSTRIELS

Les emplois disparaissent? Où est la surprise? La crise que nous vivons n’est pas une surprise, elle est simplement la phase ultime de la révolution industrielle, un événement dont les conséquences pour la main-d’oeuvre – discutées ad nauseam depuis des décennies! – sont inévitables et étaient parfaitement prévisibles. Nous n’en répétons ici l’argument de base que pour mémoire. « Nous utilisons des machines de plus en plus performantes: une même main-d’oeuvre peut donc produire de plus en plus… ou une production constante exige une main-d’oeuvre de plus en plus réduite. » Ce n’est pas un phénomène nouveau, il y a environ deux siècles que le processus est en marche!

1.2.1 LA PHASE TERMINALE

Il y a deux siècles qu’on remplace des travailleurs par des machines, mais un seuil important a été atteint il y a une quarantaine d’années. Avant 1955, on satisfaisait globalement à une carence de biens de consommation: il s’agissait de produire plus; plus de machines ne voulait pas dire moins de travailleurs, mais plus de production. Vers 1955, on a atteint le point de saturation de la demande effective, ce qui signifiait que, globalement, les baisses de prix découlant d’une mécanisation plus poussée ne pouvaient plus rendre les produits accessibles à une nombre suffisant de nouveaux consommateurs pour justifier que l’on garde au travail tous les travailleurs en place à produire au niveau taux de productivité que permettaient les nouveaux équipement,

Depuis 1955, le pourcentage de la main-d’oeuvre employée dans le secteur industriel a donc commencé à décliner. C’est un signal qui semble anodin, mais qui annonçait pourtant clairement que nous entrions dans la phase terminale de l’industrialisation. La demande effective pour les produits manufacturés allait désormais augmenter plus lentement que la productivité-machine, de sorte qu’il faudrait de moins en moins de travailleurs pour produire les biens industriels que nous choisissons de consommer. Les travailleurs devraient dorénavant produire autre chose que des biens industriels, ou ils ne travailleraient pas. Ceci n’est pas une hypothèse, mais un fait. En 1955, il y avait 54% de la main-d’oeuvre dans le secteur industriel; aujourd’hui, il en reste 19%.

La baisse des emplois dans le secteur industriel ne signifie pas une baisse de production. Au contraire nous produisons plus de biens industriels que jamais; nous le faisons simplement avec moins de travailleurs. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous pouvons non seulement produire de plus en plus avec de moins en moins de travailleurs, mais nous ne pouvons même pas sérieusement considérer qu’une augmentation quelconque de la production des biens industriels que nous consommons pourrait techniquement exiger de mettre au travail un seul travailleur de plus. Dans la quasi totalité des cas, augmenter la demande pour les biens industriels exigerait simplement d’augmenter l’équipement. C’est ça, la réalité.

Nous n’y pouvons strictement rien changer et, surtout, nous ne devons rien y changer. Ceci n’est pas un malheur, c’est l’inévitable verso d’un phénomène dont le recto est la productivité et l’enrichissement collectif. C’est la production que nous voulons, pas le labeur; souvenons-nous que le travail n’est pas un bien en soi: c’est la Première Malédiction! Pour régler la crise actuelle, il faut cesser de vouloir créer des emplois. Il ne faut plus vouloir, en quelque sorte, « produire pour travailler » mais recommencer à vouloir « travailler pour produire » et cesser de prétendre qu’on accomplit une mission enrichissante pour la société quand on a réussi à faire exécuter par deux ouvriers une tâche pour laquelle un seul eut suffi.

1.2.2 LE DILEMME DE LA PRODUCTIVITÉ

Nous ne devons pas freiner l’exode des travailleurs hors du secteur industriel. Il reste aujourd’hui 19% de la main-d’oeuvre dans le secteur industriel et c’est encore trop. Trop pour que nous puissions produire au meilleur coût possible, et donc trop pour permettre cet enrichissement continu de notre société que nous espérons et qui dépend essentiellement des gains de productivité. Nous ne pouvons pas – et ne devons surtout pas – stopper l’exode de la main-d’oeuvre hors des usines, mais il y a deux scénarios de départ.

Le premier, c’ est que les industries s’équipent au plus tôt des automates programmables les plus modernes, licencient dans l’ordre le surplus de main-d’oeuvre et produisent de la façon la plus efficace. Il ne restera bientôt plus alors 10% de la main-d’oeuvre dans le secteur industriel, mais nous aurons pris une longueur d’avance sur la concurrence internationale.

Le deuxième scénario, c’est que, sous prétexte de préserver des emplois, on ne permette pas cette mise à jour des équipements. Nos industries, équipées de façon de plus en plus désuète – et devant nécessairement payer des salaires conformes au standard de vie d’un pays développé – ne pourront pas concurrencer la production à vil salaire des pays du tiers monde, ni celle des pays développés qui se seront munis des équipements adéquats. Notre production industrielle baissera puis cessera, parce qu’elle sera devenue non-concurrentielle. La main-d’oeuvre industrielle au Québec baissera alors de toute façon sous la barre des 10%, mais sans l’apport concomitant de richesses qui aurait permis de financer le recyclage des travailleurs en surplus, hors du secteur industriel où ils sont un obstacle et vers des activités où ils auraient été utiles. Nous ne serons plus alors parmi les « riches », mais parmi les « pauvres » de la planète

Ceci non plus n’est pas une hypothèse gratuite: il y a des précédents. Au début du siècle, en Amérique du Nord, on a mécanisé l’agriculture quand d’autres ne le faisaient pas. Dès 1950, Wassilli Leontieff constatait que ce qui faisait de l’économie des USA – et de très loin à l’époque! – la plus riche du monde, ce n’était pas tant ses industries de pointe que l’incomparable productivité de son agriculture! Aujourd’hui, il ne reste en Amérique du Nord que 3 % de la main-d’oeuvre dans le secteur agricole et c’est pour ça, avant toute autre raison, que nous sommes encore les « riches ».

Nous ne le resterons que si nous acceptons maintenant, sans retard, un accroissement de productivité dans le secteur industriel comparable à celui que nous avons obtenu dans le secteur agricole il y a trois générations. Dès que nous supprimerons les contraintes aux licenciements, il y aura évidemment une dernière chute brutale de la main-d’oeuvre dans le secteur industriel; mais il en résultera un essor de la productivité et un enrichissement collectif. Il est sans doute urgent que la distribution de cette richesse soit faite de façon plus équitable, mais ceci ne remet pas en question l’opportunité de créer cette richesse, ni la nature des moyens à mettre en oeuvre pour le faire. Nous n’avons pas le pouvoir d’empêcher l’évolution des techniques de production, seulement de l’accélérer ou de la freiner. Si nous persistons à la freiner, ce sera à grand risque pour notre avenir.

1.2.3 LE MIRAGE DES SECTEURS DE POINTE

Il y a quarante ans qu’on constate une baisse relative de l’emploi dans le secteur secondaire, concurremment à une augmentation de la production. Pourtant, est-ce sottise ou mauvaise foi, il y a encore des gens pour demander qu’on cherche la solution au problème du chômage dans la création d’emplois dans le secteur secondaire, plus particulièrement dans le domaine de la « haute technologie » et des « secteurs de pointe »!

Bien sûr, nous développerons la haute technologie au Québec dans toute la mesure du possible – c’est-à-dire à la mesure des investissements que nous pourrons y affecter – et, ce faisant, nous créerons quelques emplois. Mais nous le ferons pour assurer une production à prix concurrentiel, pour rester dans la course et maintenir notre place comme pays industriel; nous ne le ferons pas pour créer des emplois. Heureusement, car nous n’en créerions pas beaucoup de cette façon.

C’est de la haute fantaisie de penser qu’on va utiliser une main-d’oeuvre abondante dans l' »industrie de pointe ». Le propre de la haute technologie, c’est justement qu’elle n’utilise pas une main-d’oeuvre abondante. La haute technologie est là précisément pour qu’on n’ait pas à utiliser une main-d’oeuvre abondante. Il suffit de lire les journaux, de voir les projets qu’on annonce et de diviser le montant des investissements prévus par le nombre des emplois promis; quand il s’agit de haute technologie, il faut prévoir 500 000 $ au minimum, la plupart du temps plus d’un million de dollars pour chaque emploi créé.

L’aluminerie Alouette a coûté 1,6 MILLIARD de dollars et a créé 700 emplois permanents. À plus de 2 millions de dollars par poste de travail, il faudrait investir 20 fois le PNB du Québec pour remettre les sans-travail du Québec au travail dans la « haute technologie »! Même en posant au départ l’hypothèse saugrenue que l’intensité-capital de la production n’augmenterait plus, il ne faudrait pas penser y arriver avant 100 ans. Un siècle durant lequel il faudrait maintenir des niveaux impossibles d’épargne et d’importation de capital, et exporter une proportion encore jamais vue en aucun pays du monde d’une production pour laquelle il n’existerait pas de demande domestique significative. Ceci est une absurdité.

Nous avons donc un choix de société à faire. Mais ce n’est pas le choix de créer ou non du travail dans le secteur industriel. Non seulement il n’y a pas d’espoir d’une résurgence spontanée de l’emploi dans le secteur industriel, mais même le niveau actuel d’emploi n’y est maintenu que par des contraintes artificielles qui sont nuisibles. Le choix, c’est d’agir ou de ne pas agir; de prendre les mesures nécessaires pour faciliter la migration en bon ordre des travailleurs industriels vers de nouveaux défis… ou de les voir chassés en panique hors des usines où ils auront de moins en moins leur place.

1.3 LE TERTIAIRE: UN HAVRE EN PÉRIL

Depuis que la main-d’oeuvre abandonne le secteur industriel, elle émigre vers les services. Il y a deux générations que ça dure, mais il ne faut pas présumer qu’on créera encore des emplois dans le secteur tertiaire. Il y aura du travail dans le secteur des services, mais pas nécessairement des emplois. Idéalement, on n’y créera plus d’emplois. Avec les progrès de l’informatique, toute une classe d’activités répétitives du tertiaire sont maintenant assimilables, pour les fins de l’emploi, à ces tâches du secteur secondaire qu’on confie de plus en plus à des machines. Ces activités ne seront plus une source d’emplois. Quant aux autres services, ceux pour lesquels une intervention humaine est nécessaire ou souhaitable, voulons-nous vraiment que ce soit des salariés qui nous les fournissent?

1.3.1 LE TERTIAIRE « PROGRAMMABLE »

Même dans le secteur tertiaire, tous les travailleurs dont le travail est répétitif sont en sursis de chômage. Tous ceux dont le travail n’est qu’application d’une procédure immuable ou qui vivent de faire des déductions logiques à partir de prémisses parfaitement connues, sont aussi en sursis de chômage: la machine répète, applique et déduit plus vite que quiconque et elle ne fait pas d’erreurs. Tous ceux qui servent uniquement de courroies de transmission dans la chaîne qui va des décideurs aux exécutants sont aussi en sursis, puisque, d’une part, l’exécutant est plus instruit, mieux formé et travaille de plus en plus au simple su des objectifs, sans besoin de supervision constante, et que, d’autre part, le contrôle du travail par l’examen des résultats est maintenant facilité par l’ordinateur. Le cadre intermédiaire est, comme le travailleur à la chaîne, une espèce en voie d’extinction.

Pour beaucoup d’activités du secteur tertiaire, la machine peut remplacer le travailleur. La vraie distinction utile, pour les fins de l’emploi, n’est donc plus entre les secteurs primaire, secondaire et tertiaire; il faut plutôt considérer les activités selon qu’elles sont ou non susceptibles d’être exécutées par des machines et des ordinateurs. Il y a des activités dont les machines, ordinateurs et automates peuvent déjà s’acquitter; on peut dire qu’elles sont « programmées ». Il y en a qui nous apparaissent aujourd’hui « non-programmables », parce qu’elles exigent de la créativité, de l’initiative ou le talent d’établir et de maintenir une communication interpersonnelle efficace et gratifiante, ce qu’une machine ne peut pas faire.

Entre les deux, il y a les activités qui semblent être programmables mais que l’on n’a pas encore programmées. Elles ne le sont pas, parce que la valeur ajoutée qui en découle ne justifie pas encore le coût d’implantation d’une machine, dans l’état actuel de la technologie et au coût actuel du travail. Pas encore. Ici, le travailleur est en sursis.

Que nous apprend sur l’emploi cette façon de classifier les activités en « programmées », « non-programmables » et « programmables mais non encore programmées »? Pour les activités « programmées » du tertiaire comme du secondaire, on peut s’attendre à ce que l’offre d’emploi périclite. Immédiatement. Les activités « programmables mais non encore programmées » ? Nous savons bien que, tôt ou tard, elles seront adaptées, programmées et confiées à des machines, puisque nos technologies s’améliorent chaque jour et que le coût moyen du travail augmente constamment en fonction de notre enrichissement collectif. On ne peut pas négliger aujourd’hui d’affecter des ressources humaines à ces activités « programmables non encore programmées »; nous y serons tenus jusqu’à ce que la programmation en devienne rentable, ce qui, pour certaines d’entre elles, prendra quelque temps. Mais, inéluctablement, leur programmation viendra et va aussi contribuer à la disparition progressive des emplois. Une politique de main-d’oeuvre doit donc désormais tenir compte de l’imminence de la programmation des diverses tâches qui constituent la maquette de production des services, tout autant que de celle des tâches qui constituent la maquette de production des biens.

Par-delà tout ce qui est ou sera programmé, il y a aussi ce qui ne le sera pas: le domaine des activités « non-programmables ». Ce domaine est-il le havre idéal pour la main-d’oeuvre?

1.3.2 DES EMPLOIS « NON-PROGRAMMABLES »?

Les activités « non-programmables » constituent la vraie part réservée au travail humain dans le processus de production. C’est suffisant: il y a certainement assez de désirs humains dont la satisfaction exige l’exécution de tâches « non-programmables » pour garder tout le monde au travail jusqu’à la fin des temps! Au travail oui; mais dans le cadre d’un emploi? Rien n’est moins sûr…

Qu’une activité soit non-programmable, voilà qui est une réalité technique objective; mais qu’un « poste de travail » (pour éviter ici l’a priori de parler d’un emploi) soit considéré comme tel comporte une bonne dose d’arbitraire. Car les postes de travail actuels sont en fait des agglomérats de tâches, dont certaines exigent des caractéristiques humaines mais dont les autres sont souvent éminemment programmables. Les poste dits « non-programmables » vont être en constante mutation au cours des prochaines années.

1.3.2.1 Une évaluation arbitraire

Il y a bien peu de postes de travail dans le système de production qui ne puissent bénéficier de la programmation de certaines de leurs tâches. Inversement, la plupart des activités de services comportent au moins un aspect de relation humaine qui PEUT encore en justifier l’existence comme poste de travail acceptable pour un être humain après que toutes les composantes programmables en ont été programmées. Contrairement, donc, à ce qui a été la norme dans le secteur industriel taylorisé – (dont toute relation directe producteur-client avait été extirpée et dont les emplois ont donc disparu aussi vite qu’on l’a permis quand le rapport des coûts machine/main-d’oeuvre a atteint le seuil qui justifiait leur programmation) – la programmation des composantes programmables des emplois du secteur des services laisse presque toujours place à une évaluation de la composante non-programmable résiduelle. Il y a donc place pour un choix.

Parfois, on choisit de croire que la composante « relation humaine » du poste est sans importance. Comme on le fait actuellement pour les réceptionnistes, remplacées par des messageries vocales, ou comme on se prépare à le faire pour les caissier(e)s de banque, auquel cas les emplois disparaissent. En d’autres cas, on choisit plutôt de croire que cette composante « relation humaine » constitue l’essentiel même du service et on maintient l’emploi. Dans ce cas, la programmation d’une partie des tâches transforme la nature du poste, permettant soit une réduction de la main-d’oeuvre, soit une amélioration de la qualité des services rendus, soit une situation qui tienne un peu de ces deux options à la fois.

C’est de cette évaluation largement arbitraire de l’importance relative de la composante non-programmable (humaine) des divers postes de travail que dépendra, dans l’avenir immédiat, la suppression ou le maintien, voire l’augmentation du nombre des emplois de services. C’est cette évaluation qui déterminera quels services seront améliorés par l’introduction de machines plus performantes… et lesquels seront abolis parce qu’on leur substituera un « service » totalement mécanisé. Cette évaluation est arbitraire, mais elle n’est pas aléatoire, ni surtout innocente; elle découle d’un rapport de forces. Ce rapport de force ne penche pas en faveur du maintien des emplois.

1.3.2.2 Une évaluation sans innocence

En théorie, c’est le consommateur qui décide en dernier ressort du nombre des emplois qui seront préservés. En effet, quand il existe au poste un aspect non-programmable, c’est que la machine (par définition) ne peut pas faire exactement ce que peut faire un être humain; quand on lui offre un service mécanisé de substitution, le consommateur perd donc un élément du service qui lui était rendu par le travailleur. Il peut refuser d’accepter cette perte, si elle lui semble intolérable, ou il peut l’accepter et « faire avec » si le produit de substitution lui offre un rapport qualité/prix qui lui semble plus avantageux.

Le consommateur exprime ainsi, par ses décisions d’achat, le rapport de prix qu’il considère équitable entre le produit à composante humaine et le substitut mécanisé qu’on lui propose, déterminant de cette façon les parts de marché des deux options et donc combien de postes de travail seront maintenus. C’est ainsi qu’on a vu, il y a quelques décennies, la plupart des travailleurs domestiques substitués par des électroménagers et qu’on voit aujourd’hui des articles jetables remplacer des produits de qualité faits pour durer, lesquels sont meilleurs mais coûtent désormais trop cher à réparer. C’est ainsi qu’on verra peut-être bientôt, sur le marché des services, beaucoup plus de « systèmes-experts » sur ordinateurs et bien moins de certains types de professionnels.

C’est le consommateur qui choisit… en théorie. En pratique, toutefois, ce choix du consommateur n’intervient que si le service est rendu par des travailleurs autonomes ou si des travailleurs autonomes sont au moins en concurrence pour le lui rendre avec des salariés. S’il s’agit d’un service rendu exclusivement par des salariés – des caissières et caissiers de banque, par exemple – l’employeur peut, sans grande contrainte, favoriser dès le départ l’option de la substitution et optimiser ainsi ses coûts et ses profits en limogeant ses employés; le consommateur n’aura mot à dire que si certaines banques se désolidarisent des autres, ce qui n’est pas probable.

Que les systèmes financiers se mécanisent n’a rien de particulièrement scandaleux; seules les décisions de payer, prêter et investir y sont du domaine du non-programmable. Le reste est application d’algorithmes et peut sans mal être remis aux machines. Pas de catastrophe grave ici – sauf pour le travailleur mis à peid ! – mais où est le choix du consommateur? Et les banques ne sont qu’un oligopole. Supposons que l’employeur soit un monopole…

Que peut faire le consommateur, si un monopole – le Ministère de la Santé aujourd’hui, le Ministère de l’Éducation demain – mettant à profit l’amélioration des techniques et des communications, juge que la composante non-programmable de certains postes de travail ne justifie plus leur maintien et qu’un automate programmable peut faire une « laparo »? Ou qu’un vidéodisque interactif peut enseigner la philosophie? Où serait le choix du consommateur? Pourtant, nous savons tous, intuitivement, que « prendre soin » et « éduquer » sont des fonctions essentiellement humaines, même si la transmission des connaissances et la distribution des remèdes peuvent être en grande partie programmées.

On peut dire de l’État-employeur qui limoge ses employés et qui cherche à optimiser ses coûts plutôt que d’affecter les gains du progrès technologique à l’amélioration des services qu’il ne remplit pas son rôle d’État. On peut même dire qu’il ne mérite pas non plus d’être un employeur. Mais là n’est pas le fond du problème. L’exemple bien d’actualité de l’État-employeur qui coupe dans les services de santé n’est qu’une illustration; le fond du problème, c’est que les emplois salariés non-programmables seront toujours menacés, quel que soit l’employeur, puisqu’il s’agira toujours, au palier des services, d’évaluer du qualitatif et de l’inquantifiable. L’évaluation sera donc toujours arbitraire et l’intérêt de l’employeur sera toujours de favoriser la substitution de machines à des travailleurs, lesquels seront relativement de plus en plus coûteux.

L’avenir des postes de travail non-programmables n’est assuré que quand ces postes sont confiés à des travailleurs autonomes lesquels, quand ils sont confrontés à la programmation de certaines de leurs activités traditionnelles, ne choisissent pas de se mettre eux-mêmes au rancart… mais poursuivent plutôt leur activité en mettant l’accent sur le volet non-programmable de leur fonction et en offrant au consommateur un service de meilleure qualité. J’aurais aimé, pour ma part, au lieu de supprimer leurs postes, qu’on eut permis aux réceptionnistes de prendre le temps de mieux nous informer.

1.3.3 LES TRAVAILLEURS AUTONOMES

Non seulement les emplois sont vulnérables à la tendance normale des employeurs vers l’optimisation de leurs profits au détriment des aspects qualitatifs des postes de travail en mutation, mais l’emploi est intrinsèquement une mauvaise structure d’encadrement pour le travail non-programmable: le travail de créativité, d’initiative et de relations humaines. Quand la main-d’oeuvre a émigré vers le tertiaire, ce sont bien des emplois qu’on a créés pour l’encadrer; mais c’était là une solution de facilité: on ne peut pas superviser la production des services comme celle des jujubes. Si on cherche à le faire, on constate vite que l’essentiel nous échappe.

Parce que l’essentiel des services est la satisfaction d’un besoin qui est qualitatif, subjectif, intangible. On ne peut pas calculer l’apport de chaque professeur à l’éducation d’un enfant, ni l’impact d’un sourire sur la santé d’un patient. On ne peut pas mesurer l’effet de l’objection posée par un fonctionnaire à une proposition de projet, ni celui des critiques d’un vice-président Marketing au vice-président Finances d’une société. On ne peut pas gérer l’activité non-programmable de l’employé, parce que l’essentiel, qui est la satisfaction finale du client, ne peut être capté par les moyens de contrôle traditionnels propres à l’emploi.

Le système des emplois, originellement mis en place pour mesurer et contrôler un output quantifiable dans le secteur industriel, est inadapté aux activités non-programmables. Il leur est même pernicieux, en ce qu’il démotive le travailleur et le distrait de son objectif réel qui est de fournir un service, en lui imposant un contrôle qui repose sur le temps qui passe et des papiers remplis, au risque que le temps passe alors à remplir des papiers.

Une relation tripartite – employeur, employé, utilisateur – nuit au contact efficace entre celui qui offre et celui qui reçoit le service, puisque l’employé fait face au dilemme de se consacrer prioritairement à sa tâche réelle qui est de servir l’utilisateur… ou à sa tâche formelle qui est de satisfaire aux indicateurs quantitatifs de performance à partir desquels l’employeur jugera de son travail.

Le contrôle que permet la structure d’emploi de la qualité (et donc de la valeur réelle) du travail non-programmable accompli par le travailleur est nul. Faut-il donc s’étonner que l’entreprise cherche à éliminer la structure désuète de la « job steady » pour favoriser la sous-traitance et la consultation? Faudra-t-il s’étonner, demain, si les grands réseaux de l’éducation et de la santé sont à leur tour démantelés, pour permettre à de petits groupes de partenaires, vraiment motivés d’assurer à la population un bien meilleur service? Un service dont l’État pourrait garantir le paiement et l’universalité tout comme aujourd’hui, mais à bien meilleur compte!
Prenons notre système d’éducation secondaire qui, de toute évidence, ne répond pas à nos besoins. Il n’y a pas ici d’insuffisances quantitatives à mesurer, nous avons 1 employé pour 16 élèves ! Mais RIEN ne peut régler le problème des polyvalentes, si ce n’est une nouvelle structure qui établisse un lien HUMAIN entre l’élève et l’enseignant. Un enseignant salarié et qui comptabilise ses heures est une aberration.

Ce sont des travailleurs autonomes, pas des employés, qui fourniront à la population les services non-programmables dont elle a besoin. Ils le feront pour les services existants et, dans toute la mesure où on le leur permettra, ils chercheront aussi à le faire pour ces postes de travail en mutation dont le système n’a pas encore défini s’ils seraient conservés ou si on leur substituerait des machines.

Cette évolution vers l’autonomie du travail est inévitable. Elle correspond au besoin de laisser le travailleur, maintenant plus instruit et mieux formé, mettre à profit son initiative et sa créativité sans les contraintes rigides d’un emploi. La structure des emplois a été créée parce qu’elle collait aux nécessités de la production en chaîne dans une structure industrielle. Elle ne répond pas aux besoins d’une économie de services, alors que c’est la relation humaine et la motivation qui sont les grandes exigences. Si nous ne le comprenons pas rapidement, nous allons avoir encore plus de problèmes, car ce sont les travailleurs autonomes qui vont conquérir le marché des services.

1.3.4 DU TRAVAIL POUR LES AUTONOMES

Il y a des services, disons « simples » – que quiconque peut rendre avec un minimum d’habileté, sans équipement coûteux et sans longue préparation – et des services « complexes » qui exigent une longue formation préalable (disons supérieure à un an) et/ou un équipement coûteux. Laver des vitres est un service simple, une opération à coeur ouvert est un service complexe. Les deux sont des activités en partie « programmables mais non-programmées », même si l’on peut penser que la première sera tôt ou tard entièrement mécanisée alors que la seconde sera simplement transformée. Les services, simples ou complexes, sont du travail pour les travailleurs autonomes.


1.3.4.1 Les « petits boulots »

D’abord, voyons les services simples, le domaine des « petits boulots ». Les autonomes sont déjà à en faire la conquête. Nous parlons de services, mais nous pourrions ajouter tout travail qui ne requiert pas une structure industrielle de production. Il y a une demande pour les biens de production artisanale tout comme pour les services, et c’est une demande que les travailleurs autonomes peuvent satisfaire. Une demande qu’ils sont les seuls à pouvoir satisfaire.

En l’absence d’une aide massive de l’État pour assurer son recyclage et sa formation, le travailleur chassé du secteur industriel ne peut aller que vers les services simples: les « petits boulots ». Or, on peut augmenter indéfiniment le nombre des fournisseurs de services simples – pensez aux jeunes volontaires qui se précipitent pour nettoyer votre pare-brise – mais l’élasticité de la demande pour un service en fonction de son prix n’est pas infinie; la demande, pour tout service, cesse tout bêtement quand le besoin est satisfait. Pensez à votre façon de réagir à l' »offre de travail » du deuxième volontaire laveur de pare-brise… Il y a une infinité de services simples qui peuvent être rendus dans notre société, mais la demande effective pour ces services impose une limite bien concrète au nombre de travailleurs qui peuvent vivre de la prestation de ces services simples.

Avec l’afflux de travailleurs dans le domaine des services simples – la rénovation en est un bon exemple – la profitabilité des compagnies qui affectaient des employés à la prestation de ces services n’a pu se maintenir que grâce à des subventions déguisées, à des coalitions qui réduisent illégalement la concurrence, à une réglementation coercitive et à des moyens de pression dont la légitimité est souvent douteuse. Quant à la rémunération des travailleurs autonomes qui ont choisi de faire ce travail, elle est vite tombée au niveau de subsistance ou plus bas.

Il y a une limite au nombre de ceux « qui peuvent vivre » de la prestation de services simples. Un nombre bien supérieur de travailleurs peuvent toutefois en tirer un revenu d’appoint, puisque le prix du service peut alors s’ajuster à la demande effective et qu’un prix suffisamment attrayant peut susciter une demande nouvelle, rendant le client conscient d’un besoin qu’il avait jusque là ignoré. C’est pourquoi la migration des travailleurs du secteur industriel vers les services simples a provoqué un effet pervers: le « travail au noir ».

Parce que l’offre de travail dépassait si largement la demande qu’on pouvait difficilement dorénavant en tirer un revenu de subsistance, une partie croissante de ces services a été rendue « au noir », pour un revenu d’appoint complémentaire aux paiements de transfert. Non seulement il en a résulté une perte fiscale qu’on estime à deux milliards de dollars par année, mais ces revenus d’appoint, dont la distribution et l’importance sont difficiles à cerner, rendent impossible une analyse rigoureuse de l’adéquation des paiements de transferts aux besoins réels des sans-travail.

Les services simples – de la rénovation aux garderies en passant par toutes les formes de bricolage et de services personnels – répondent à un besoin manifeste et vont créer une somme énorme de travail au cours des années qui viennent. Mais ils ne peuvent pas être considérés présentement comme une source féconde d’emplois. Dans une société où il y a un surplus de main-d’oeuvre non employée, celui qui voudrait en retirer un plein revenu sous forme de salaire sera toujours dans une situation précaire face à la concurrence de ceux qui peuvent rendre le même service en n’en tirant qu’un revenu d’appoint « au noir ».

Le marché des petits boulots appartiendra de plus en plus aux travailleurs autonomes – jusqu’à maintenant, des travailleurs au noir – à moins que l’État n’en assume une part croissante des coûts, par subventions, crédits d’impôt ou autrement, comme il le fait pour la renovation. Si l’État prend cette dernière voie contre nature, il en résultera pour la collectivité des services de moins bonne qualité et à des coûts plus élevés. Le travail au noir ne peut être éliminé, il ne peut être que blanchi. C’est le travailleur autonome qui conservera les petits boulots; il ne s’agit pas de les lui enlever pour créer des emplois, seulement de le convaincre de payer ses impôts.

1.3.4.2 Les services « complexes »

Il y a une offre de travail excédentaire pour les petits boulots, mais pas pour les services qui exigent une formation longue et un équipement coûteux. Ici, les ouvriers manquent et la demande est pratiquement infinie. N’espérons pas, cependant, qu’on créera des centaines de milliers d’emplois pour répondre à cette demande. Deux contraintes économiques rendent irréaliste la création massive d’emplois dans le domaine des services complexes.

La première contrainte économique, c’est que la prestation de services complexes, tout comme la production industrielle, exige un investissement préalable. C’est l’éducation/formation qui est ici le multiplicateur qualitatif de la productivité des services, comme la machine est le multiplicateur quantitatif de la production industrielle. Il existe cependant une différence essentielle entre un investissement dans l’industrie et un investissement en éducation/formation: la machine peut demeurer la propriété de l’investisseur et lui rapporter un profit ou un dividende, alors que l’éducation/formation ne peut être appropriée; elle profite entièrement au travailleur.

À partir de cette donnée, il y a un choix social à faire. Soit qu’on laisse à l’étudiant la charge de payer son éducation/formation, au risque de rendre quasi-héréditaire l’éducation, laquelle devient alors un privilège au lieu d’un droit…, soit que l’État accepte la facture des coûts directs de l’éducation/formation en ne demandant au travailleur ou à l’étudiant de n’investir que son temps, ce qui est déjà beaucoup.

Si c’est l’individu qui paye, le nombre des individus qui peuvent consentir cet investissement est restreint; si c’est l’État, ses ressources disponibles pour cette fin sont limitées par ses autres priorités et la capacité de payer des contribuables. Leur capacité et leur VOLONTÉ de payer pour l’éducation/formation; car, ne l’oublions pas, c’est celui qui reçoit l’éducation/formation qui en sera le premier bénéficiaire. Le contribuable, lui, n’en retirera un avantage que s’il paye encore une fois, plus tard, pour le service rendu… et il le payera cher.

Il le payera ou on le payera pour lui, mais le service rendu sera chèrement payé. La deuxième contrainte économique à la création massive d’emplois dans le domaine des services complexes est que si, dans l’abstrait, la demande pour de tels services est infinie, la demande EFFECTIVE pour de tels services est sévèrement limitée par le prix qu’en exigent ceux qui les rendent. L’étudiant/travailleur, quand il est devenu fournisseur de services complexes, veut un retour sur son investissement en éducation/formation. Il veut ce retour conforme à la prévision qu’il en a faite, au vu du prix de ces services quand il a pris la décision d’investir. Il veut ce retour même s’il n’a investi que son temps, il le veut à plus forte raison s’il a assumé le coût total de son éducation/formation.

Ici encore l’État a un choix social à faire. Mais que ce soit l’individu ou la société qui ramasse la facture, le nombre des fournisseurs de services complexes est vite limité par la capacité de payer individuelle ou collective. Si aujourd’hui notre société restreint les inscriptions en faculté de médecine, ce n’est pas parce que les médecins chôment; c’est parce que c’est nous, collectivement, qui payons les médecins et que nous n’avons pas les moyens de payer à plus de médecins une rémunération de médecin. (Ceci, d’ailleurs, a mené à la scandaleuse absurdité de payer des médecins compétents pour qu’ils cessent d’exercer !).

Il est clair que le développement de notre société passe par l’affectation d’un pourcentage croissant des travailleurs à la prestation de services complexes. Ceci, toutefois, n’est possible que si on trouve une solution au problème du financement d’un effort d’éducation/formation qui, avec l’accélération du rythme des changements technologiques, deviendra inévitablement encore plus important qu’il ne l’est déjà, et si – mais n’y pensons même pas pour le moment! – on peut convaincre les fournisseurs de services complexes que si leur nombre augmente et que le travailleur moyen de l’avenir devient un fournisseur de services complexes… sa rémunération moyenne ne pourra être que celle du travailleur moyen.

Pour ces deux raisons économiques, on ne peut pas créer une masse d’emplois dans le domaine des services complexes. Le pourrions nous que, tel que nous l’avons expliqué auparavant, ce ne sont pas des emplois qu’il faudrait créer mais des travailleurs autonomes à qui on devrait confier ces tâches. Le travail autonome se développe à un rythme effréné au palier des services complexes, en proportion directe de notre incapacité à satisfaire la demande.

Ce qui pour les services simples est rénovation, mécanique, gardiennage, devient ici tous les méandres de la médecine douce, des thérapies alternatives, de la croissance personnelle. Ce sont des travailleurs autonomes qui occupent ces fonctions. Plutôt que de traiter avec des professionnels de la santé et de l’éducation qui sont des employés et des fonctionnaires (ou se conduisent comme tels), la population choisit souvent, à ses frais, une formation et des soins dont la valeur n’est pas nécessairement meilleure – et est même parfois douteuse – mais qui sont fournis par des travailleurs autonomes, lesquels doivent donc offrir à l’utilisateur la considération à laquelle il a droit. Il faut en prendre note.

1.3.4.3 Les décideurs

Il y a les services simples, les services complexes… et les décideurs. L’initiative est une activité non-programmable. Non pas que l’ordinateur ne puisse pas suivre logiquement un arbre de décision, pondérer toutes les variables et indiquer la meilleure solution, mais parce que nous ne voulons à aucun prix que l’ordinateur décide. Décider est notre prérogative d’être humain, à titre d’espèce dominante sur cette planète.

À travers tout le système de production et à chaque étape du processus, des décisions s’intercalent entre des activités d’information et de production. Non seulement les décideurs sont là pour rester, mais nous allons de plus en plus vers une situation où c’est la prise de décision qui sera la caractéristique maîtresse des postes de travail auxquels on assignera un humain plutôt qu’une machine.

Est-ce que ceci ne nous laisse pas entrevoir la créations d’une masse d’emplois? Pas vraiment, puisque nous savons très bien qu’il n’y a pas de meilleur décideur, ni de plus dévoué, que celui qui supporte personnellement les conséquences de sa décision. C’est pour ça que la tendance des entreprises est vers la consultation plutôt que l’emploi, vers la sous-traitance plutôt que l’emploi, vers l’impartition plutôt que l’emploi, vers n’importe quel statut plutôt que l’emploi.

C’est pour ça que, dès qu’on s’écarte de la grande industrie manufacturière où un investissement colossal est requis, les PME concurrencent si avantageusement les multinationales. C’est pour ça que, plus bas dans l’échelle des équipements requis, les travailleurs autonomes concurrencent de même les PME. C’est pour ça que les grandes entreprises ripostent en se scindant en « divisions » autonomes et en « centres de profits », cherchant à motiver leur personnel et à impliquer à fond leurs décideurs, liant autant que possible la rémunération de chacun au bien-fondé des décisions qu’il prend.

Dans une économie de services, le gigantisme est un inconvénient et les petits piranhas dévorent les requins. Tout va plus vite quand c’est celui qui décide qui agit. Tous va mieux quand celui qui décide porte les conséquences fastes ou néfastes de sa décision. Aujourd’hui, nous assistons à la suppression des cadres intermédiaires. Demain, nous verrons la constitution d’équipes de travail autonomes au sein même de l’entreprise, chaque équipe ayant son budget, déterminant son propre plan de travail et étant rémunérée par les « profits » que son efficacité lui permet de réaliser. Il faut être aveugle pour ne pas déceler cette tendance.

Quand l’activité est non-programmable – et décider est une activité non-programmable – les travailleurs ne sont plus interchangeables; leur motivation devient un facteur important et il est inefficace de les payer à salaire. La participation au profit est déjà une forme acceptée de rémunération des hauts dirigeants d’entreprise; attendons-nous à ce que cette approche soit adaptée dans toute la mesure du possible aux autres niveaux de décideurs, jusqu’aux opérateurs de machines complexes dont le salaire sera aussi progressivement remplacé par une participation au profit découlant de leurs décisions.

Quand la rémunération est liée aux résultats, la relation de travail devient plus égale, mais bien plus précaire. On dira peut-être encore des décideurs et des travailleurs participant aux profits qu’ils ont « un emploi », mais leur statut sera complètement différent de celui d’un employé salarié d’aujourd’hui. Pour les fins qui nous intéressent, ce seront des travailleurs autonomes. Ce statut sera probablement préférable à celui du travailleur actuel; tout dépendra de la sécurité dont il jouira.

1.4 LA FIN DE L' »ÂGE DU LABEUR »

Faisons le point.

1. Les emplois dans le secteur industriel doivent disparaître pour assurer la productivité: le travail de jadis, ce sont maintenant des machines qui le font et elles peuvent produire bien plus que nos besoins matériels l’exigent. La haute technologie ne créera qu’un nombre infime d’emplois et, si un investissement en équipement n’est pas rentable, c’est le travail à vil prix des pays en voie de développement qui prend la relève. Nous n’avons donc besoin que de moins en moins de travailleurs industriels. Ce dont nous avons besoin, désormais, c’est de produire plus de services dans les secteurs éducation, santé, culture, loisir, sécurité, communications, distribution, et d’assurer la gestion courante et le progrès de notre économie et de notre qualité de vie.

2. Dans le tertiaire, les emplois répétitifs vont de plus en plus être confiés à des ordinateurs et la hausse de notre niveau de vie, qui découlera de la rationalisation du secteur industriel, rentabilisera la programmation de toute une gamme de services « simples », éliminant encore d’autres emplois.

3. Les services « simples » qui ne seront pas programmés ne pourront offrir à court terme qu’une rémunération au niveau de subsistance ou plus bas; ils vaudront uniquement pour apporter un revenu d’appoint. Il en sera ainsi jusqu’à ce que le développement de l’éducation ait ouvert à la masse des travailleurs l’accès à la fourniture de services complexes et ceci prendra … disons quelque temps. En attendant, le revenu découlant des services simples restera « au noir » et créera des problèmes croissants, jusqu’à ce qu’on ait la sagesse de le « blanchir », c’est-à-dire de le traiter comme un revenu d’appoint acceptable et accessible à tous, en parallèle à un emploi et à un paiement de transfert.

4. À moyen terme, tout ce qui peut être fait par une machine sera fait par une machine. Le plus tôt sera le mieux, car il n’y a rien d’évolutif à demander à un être humain un travail d’automate. Le travail digne d’un être humain, ce sont les fonctions de créativité, d’initiative et de relations humaines, celles que la machine ne peut pas fournir. Tous les emplois qui ne font pas appel à une ou plusieurs de ces trois aptitudes fondamentalement humaines doivent disparaître et VONT disparaître. Toutes les fonctions et tâches qui ne consistent pas uniquement à appliquer ces aptitudes « non-programmables » seront modifiées pour s’y restreindre.

5. Dans le domaine des activités non-programmables, il y a un travail infini à faire mais un emploi salarié traditionnel n’est pas le meilleur encadrement pour ce genre de travail. Les employeurs privilégient la substitution par des machines et la réduction des coûts plutôt que l’amélioration des services, tandis que la structure d’emploi empêche l’utilisateur, qui est seul capable de le faire, de contrôler les aspects essentiels de la qualité du service non-programmable qui lui est rendu. Ce sont donc des travailleurs professionnels autonomes qui prendront peu à peu la relève des employés.

6. Quant à la masse des décideurs, à tous les niveaux de la structure de production, la tendance est claire vers de nouvelles modalités de relations de travail et de rémunération qui se rapprochent bien plus du travail autonome que de l’emploi traditionnel. Il restera toujours des salariés dans le secteur public – juges et ministres, par exemple – mais ce sera ceux dont on peut raisonnablement supposer que le salaire n’est qu’un aspect trivial de leur motivation. Pour l’immense majorité des travailleurs, la « job » est une structure désuète d’encadrement du travail.

Cessons donc de nous leurrer et d’agir comme si nous vivions une récession comme les autres et que demain, l’année prochaine, ou en l’An 2000, on devait espérer qu’il y aura comme avant « une job steady et un bon boss » pour tout le monde. Nous ne vivons pas une récession, mais la phase finale d’une transition engagée depuis bien longtemps. Nous ne vivons pas une crise québécoise, mais une crise mondiale. Il y aura de moins en moins d’emplois, jusqu’à ce qu’il n’en reste presque plus.

2. COMMENT RÉGLER LA CRISE

2.1 UNE NOUVELLE FAÇON DE TRAVAILLER

La disparition des emplois marque non seulement la fin de l’Ère industrielle, mais la fin de l' »Âge du Labeur ». Que le travailleur redevienne autonome est un gain net pour la qualité de vie et la dignité humaine. À court terme, toutefois, nous vivons une transition extrêmement pénible pour ceux qui en sont victimes: les exclus du marché du travail. Cette transition, difficile en elle-même, le devient encore plus parce que nos gouvernants ne prennent pas les mesures nécessaires pour la gérer. Ils ne les prennent pas à cause d’un malentendu: on s’acharne à vouloir créer des emplois alors que le vrai défi est bien de remettre tout le monde au travail, mais principalement hors de la structure de l’emploi. L’emploi est une façon désuète de travailler et il y en aura de moins en moins.

Qu’on le veuille ou non, le système des emplois ne fournit plus, en moyenne, que 23 heures de travail par semaine au travailleur canadien et il en fournira de moins en moins. C’est peu pour tous, ou rien pour beaucoup. Il est dangereux de ne pas le dire, puisqu’en gardant le silence on retarde la prise des mesures nécessaires pour faire face à cette situation. Il n’y a pas d’espoir raisonnable que des emplois en nombre suffisant soient créés et que la crise du travail se résorbe d’elle-même à court terme.

À long terme, la crise du travail peut se terminer d’elle-même, bien sûr, comme un incendie qui se termine quand il n’y a plus rien à brûler. La crise du travail se terminera d’elle-même quand tous les emplois salariés qui exigent de la créativité, de l’initiative ou une communication interpersonnelle autre que coercitive – c’est-à-dire la majorité des emplois actuels et la quasi totalité des emplois potentiels futurs – auront été remplacés par d’autres modalités d’encadrement du travail et de rémunération.

Ceci arrivera qu’on le veuille ou non; c’est une conséquence directe de l’évolution du marché du travail qui accompagne la satisfaction de ce qui était auparavant nos seuls besoins et la prise de conscience progressive de nos nouveaux besoins. On peut donc « laisser faire », dans le strict respect du dogme libéral et, quand il ne restera plus rien à brûler, le marché du travail retrouvera un nouvel équilibre; la crise sera terminée. On peut laisser faire. Mais est-ce bien notre choix de société de tolérer sans intervenir la somme de souffrances personnelles et tous les bouleversements sociaux qui découleront de cette attitude de laisser-faire?

La plupart des travailleurs actuels n’ont pas reçu l’éducation ni la formation professionnelle qui leur permettrait de s’adapter à cette nouvelle structure du travail et de devenir des travailleurs autonomes. Ils n’ont pas les ressources financières requises pour lancer une entreprise, ni les ressources techniques pour la gérer. Privés de leur emploi par les progrès de la technologie, beaucoup deviennent des chômeurs, puis quittent définitivement un marché du travail où ils n’ont plus leur place et sont réduits au statut d’assistés sociaux.

Le quart de la main-d’oeuvre a ainsi déjà été exclus du système de production et d’autres travailleurs seront exclus à leur tour, à un rythme qui ira s’accélérant. Les sans-travail actuels – et une bonne partie de ceux qui sont encore au travail, mais qui en seront bientôt chassés par des machines plus performantes – ne reviendront au travail que comme travailleurs professionnels autonomes. Le problème est de financer la transition vers l’autonomie. On ne peut pas continuer à le faire en imposant davantage ceux qui travaillent pendant qu’une partie croissante de la population ne travaille pas.

Il faut créer de la richesse en mettant tout le monde au travail. Il faut redistribuer le travail salarié et aider à la création de travail autonome, sans quoi une part croissante de la population vivra l’exclusion, pendant que le fardeau fiscal deviendra de plus en plus insupportable pour une classe moyenne de travailleurs encore au travail dont les effectifs décroîtront et que l’on pousse ainsi à la banqueroute et à la révolte.

Quand on a compris que l’avenir du marché du travail est à l’entrepreneur, à l’artisan, au créateur et au communicateur, il faut relever le défi d’une croissance rapide du travail autonome et promouvoir un nouvelle structure de la main-d’oeuvre qui soit adaptée à ces exigences d’une production post-industrielle.

Pendant que nous allons vers une structure de travail qui encadrera des professionnels autonomes plutôt que des employés, il ne faut cependant pas perdre les acquis de sécurité qui devraient aller de pair avec le développement de notre richesse collective. Le défi qu’il faut relever, c’est de transformer le système de production tout en maintenant la sécurité du revenu et un partage équitable de la masse de travail.

2.2 LA SÉCURITÉ REVENU-EMPLOI

Durant la transition que nous vivons, c’est une grande source de confusion, d’injustice et de frustrations que de s’en remettre à des douzaines de programmes de soutien au revenu et à l’emploi. Il est absurde qu’il n’existe pas, au Québec, un revenu annuel garanti pour tous. Absurde, parce qu’un revenu garanti est plus équitable, plus valorisant, et ne coûte pas plus cher, en soi, que le saupoudrage erratique d’assistances ponctuelles que nous offrons présentement. Notre société assure déjà un minimum vital à tout le monde au Québec, par le biais des paiements de transfert, à la hauteur de près de 30 000 000 000 $ par année. 30 milliards de dollars sont là pour soutenir ce qui, dans la réalité, constitue déjà un « revenu garanti ». L’argent est là et on en met beaucoup. Mais, en l’accordant sous forme d’aumône, d’une façon vexatoire et humiliante, notre société perd son argent (notre argent!) de trois façons. D’abord, on démotive et on marginalise ceux qui reçoivent cette assistance financière; ensuite, on augmente les coûts de distribution de ce revenu; enfin, on renonce à la richesse considérable que représenterait le produit du travail de tous ces travailleurs qu’on a laissés pour compte.

2.2.1 UN REVENU GARANTI ...

Ce qui est absurde va bientôt devenir intolérable. Non pas intolérable pour quelques-uns, mais intolérable pour vous, pour moi et pour tous, à la mesure de l’insécurité croissante que va introduire pour tous l’accélération de la transformation des méthodes et des modalités de travail. Aujourd’hui, avoir travaillé dix ans dans une activité programmable sans avoir été recyclé, c’est déjà vivre en sursis de chômage et jouir d’une chance inespérée. Demain, les méthodes de travail devront se transformer encore plus vite si nous voulons demeurer à la pointe du progrès. Le travailleur ne doit même plus espérer exercer un même travail ni occuper une même fonction plus de dix ans; ce serait une contrainte insupportable pour le système de production.

Au contraire, il doit se préparer à consacrer désormais 10% et bientôt 20% de sa vie active à la formation et, après chaque recyclage, il devra aller vers le poste le plus productif pour lequel il sera devenu le mieux qualifié. Un poste différent de celui qu’il aura quitté. Nous serons loin de la sécurité d’emploi, mais c’est à ce prix que nous bâtirons le système de production le plus performant et que nous pourrons assurer au travailleur le meilleur niveau de vie.

Le travailleur n’acceptera de bon gré ces incessants changements de sa vie professionnelle que s’ils ne mettent pas en péril son revenu. Il aura bien raison, car ce n’est pas le travailleur qui fixe les taux d’intérêts et qui établit les politiques fiscales et douanières. Ce n’est pas lui qui choisit les infrastructures à créer et qui privilégie ainsi une avenue de développement plutôt qu’une autre; ce n’est pas lui qui finance le développement technologique, qui évalue les besoins de main-d’oeuvre à tous les niveaux et qui planifie les programmes d’éducation et de formation.

Le travailleur n’a aucun contrôle sur toutes ces décisions qui font que l’offre et la demande de main-d’oeuvre s’ajustent ou ne s’ajustent pas. Pourquoi serait-ce sa responsabilité de porter le poids des ajustements? Le sans-travail n’a pas à être culpabilisé; il est la victime innocente d’une loto du chômage, que la société est tacitement d’accord pour supporter parce que, collectivement, nous en retirons l’avantage d’un progrès plus rapide. Le changement que nous vivons profite à tout le monde, c’est pour ça que nous invitons le changement; c’est donc la collectivité qui doit assumer le coût du changement, pas l’individu.

Le système a choisi d’optimiser son rendement d’une façon brutale qui défenestre sans avis les moins agiles et les malchanceux. On a prévu jusqu’à présent de petits filets pour ceux qu’on précipite dans le vide; maintenant que nous allons évoluer de plus en plus vite sur le trapèze du changement et du recyclage continu, à la vitesse qu’imposera le rythme de l’évolution des technologies, il y a fort à parier que nous aurons TOUS besoin d’un filet; il faut donc cesser de parler avec condescendance des « chômeurs » et des « assistés sociaux ». « There, but by the grace of God go I … »

Quel que soit son poste de travail, chacun d’entre nous devra sans doute, à un moment ou l’autre au cours des prochaines décennies, faire appel au revenu garanti et devenir un bénéficiaire de la solidarité collective le temps nécessaire à son recyclage. Il faut qu’on puisse alors le faire sans subir de pertes matérielles et sans humiliation.

Il faut mettre en place immédiatement un régime de revenu garanti. À quel niveau de revenus? Au niveau qui correspond pour chacun à la valeur déjà établi du travail qu’il fournit. Au départ, il faut s’en tenir au niveau de revenus qui découle des normes du marché du travail actuel. Non pas que ces normes ne devraient pas être modifiées, mais parce qu’il ne faut surtout pas que la décision technique de remplacer une foule de paiements ponctuels par un revenu garanti se transforme en un débat sur l’opportunité de donner plus ou moins aux défavorisés. Gardons ce débat pour une autre occasion.

2.2.2 … POUR UN TRAVAIL ASSURÉ

ll est absurde que nous n’ayons pas au Québec un système de revenu garanti. Il serait tout aussi absurde, toutefois, que quiconque est apte au travail touche un revenu sans avoir à travailler. Il faut mettre un terme à cette aberration que trois travailleurs sur quatre aient continuellement à partager le fruit de leur labeur avec le « quatrième travailleur» » lequel reste oisif simplement parce que notre société est trop bête pour utiliser correctement ses services. Ne parlons donc plus d’un revenu minimum garanti sans contrepartie. Le revenu minimum garanti doit aller de pair avec une prestation minimale de travail, sans quoi nous allons à la ruine. Il faut exiger de tous une contribution à l’effort collectif.

Si l’État garantit un revenu à tous les travailleurs, il doit aussi garantir à chacun un travail. L’État doit absolument mettre au travail le « bénéficiaire de la solidarité collective ». S’il ne le fait pas, les conséquences négatives s’accumulent. D’abord, il est injuste pour les autres travailleurs que celui-ci soit payé à ne rien faire; ensuite, notre société n’a pas les moyens de perdre la valeur que représente le travail de l’inactif; troisièmement, la nature humaine étant ce qu’elle est, il est probable que le bénéficiaire qu’on laisse inactif fera quelque travail au noir, sabotant un peu plus le marché du travail légal; enfin, le bénéficiaire ne peut retrouver sa dignité que s’il redevient un participant à l’effort de production collectif. Il faut qu’il travaille.

C’est la responsabilité absolue de l’État de lui procurer cet emploi. Tout travailleur apte au travail, s’il ne trouve pas un emploi par ses propres moyens, doit pouvoir se présenter à un « Bureau du Travail  » et y recevoir sur-le-champ une affectation compatible avec sa compétence minimale. S’il refuse cette affectation, il n’y a pas à lui donner un revenu. D’autre part, s’il l’accepte, il mérite son salaire. Pas une aumône, mais son plein salaire, un salaire de médecin s’il est médecin, de manoeuvre s’il est manoeuvre, de plombier s’il est plombier, selon les normes de la Fonction publique, lesquelles on pourra modifier ou compléter au besoin. Il ne doit y avoir à cette regle que l’exception des « salaires » qui ne représentent que la vente d’une notoriété: sportifs professionnels, artistes… Ce sont déjà, de fait, des travailleurs autonomes.

L’État doit assurer au travailleur un salaire selon ses qualifications reconnues. Exceptionnellement, on devra peut-être affecter un travailleur à des fonctions inférieures à sa compétence; mais pourquoi serait-ce alors au travailleur de supporter une perte? A-t-il commis une faute? Sinon, que l’État prenne en charge la différence entre le prix payé par le marché pour la fonction qu’on lui confie et pour celle qui correspond à sa compétence. Tout comme les employés d’une entreprise et les fonctionnaires sont payés pour être à la disposition de leur employeur – et que c’est à celui-ci de bien les utiliser – l’État doit être responsable du plein-emploi; il est l’employeur de dernier recours: qu’il assume ses responsabilités. Pour qu’il puisse le faire, toutefois, il est clair que des postes de travail conformes aux qualifications de chaque travailleur sans emploi doivent exister en nombre suffisant. Ces postes de travail actuellement ne sont pas disponibles. Ils ne le deviendront que si l’on procède au partage du travail.

2.3 LE TRAVAIL PARTAGÉ

Le partage du travail – que l’on doit toujours entendre dans le sens de partage du travail SALARIÉ – est une façon de relever le défi de la transformation de notre structure de travail basée sur l’emploi en une structure de travail autonome: une structure mieux adaptée à l’exécution des tâches non-programmables qui constituent la véritable demande de travail d’une société post-industrielle. Le partage du travail n’est donc pas la civilisation des loisirs. C’est un réaménagement des ressources humaines pour qu’elles produisent plus efficacement les services dont nous avons besoin. C’est le passage obligé vers une participation croissante plutôt que décroissante de la population à l’effort productif collectif.

2.3.1 LES PRINCIPES

Qu’est-ce que le travail partagé? Il faut d’abord comprendre que le travail partagé n’est pas une façon de travailler moins. C’est le travail qui crée la richesse, et une société où l’on travaille moins est une société qui s’appauvrit. Il s’agit de travailler plus et de travailler mieux.

Travailler plus, globalement, parce que le travail partagé fait que l’on travaille tous. On réintègre les chômeurs, les assistés sociaux et les décrocheurs (ceux qui cessent de participer, les « déserteurs par résignation » de la population active). L’apport productif de ces gens que l’on remet au travail est un gain net pour la société, laquelle les entretient aujourd’hui sans compensation, dans la mesure où ce qu’ils produiront vaudra plus que la différence entre les prestations qu’ils touchent présentement et les salaires qu’ils gagneront. Il n’y a rien là que d’enrichissant.

Travailler mieux, parce que l’objectif du travail partagé est aussi de libérer une part croissante de la population active d’une partie de ses tâches salariées – lesquelles sont de moins en moins adaptées à nos vrais besoins – pour lui permettre de faire un travail de créativité, d’initiative et de relations humaines pour lequel il y a une demande effective. En libérant peu à peu le travailleur du salariat, tout en garantissant son revenu, par des réductions progressives du temps de travail dans la structure des emplois, on lui permet de se recycler sans heurts dans l’encadrement plus motivant du travail autonome et de produire des services mieux adaptés à la demande actuelle.

On a donc tout à fait tort, quand on réclame une équivalence entre la réduction du travail salarié et le nombre d’emplois créés. C’est là, justement, ce que l’on ne veut pas! Ce qu’on veut,c’est un travailleur libéré des heures salariées et qui devienne productif hors de la structure des emplois. Productif immédiatement – ou à terme, s’il doit être recyclé – mais productif comme travailleur autonome dans des activités non-programmables qui correspondent vraiment à la demande, le critère incontournable de son utilité étant que, s’il en tire un revenu par ses propres moyens, il y a une demande effective pour le service qu’il offre.

Le partage du travail ne prend sa vraie dimension et ne devient une solution valable à nos problèmes que quand on cesse de le définir de manière simpliste comme une réduction du travail en général, pour préciser qu’il ne s’agit d’une réduction progressive que du travail salarié, cette réduction permettant une redistribution de la charge de travail et une réaffectation des efforts de production hors de la structure traditionnelle des emplois.

Celui dont la semaine de travail salarié passe de 40 à 30 heures – (ou de 39 à 32, comme on le souhaite actuellement en France) – ne reçoit pas un « ticket pour la plage ». On s’attend de lui, au contraire, à ce qu’il contribue encore plus de travail à la société. Sous la forme, d’abord, d’un emploi à temps plus ou moins complet en échange d’un salaire garanti; sous la forme, ensuite, durant la partie de son temps dont il a été libéré par le partage du travail , d’un effort d’apprentissage ou d’un travail en parallèle comme travailleur autonome.

C’est cette double approche qui permet de financer la transition. Le travailleur a son revenu garanti en échange d’un emploi; c’est la responsabilité absolue de l’État de lui procurer cet emploi. Il développe simultanément une compétence supplémentaire et en tire, en parallèle, un revenu comme travailleur autonome. Un revenu à la mesure de son travail, de son talent et de son ambition, ce qui est tout à fait dans la ligne de la philosophie économique actuelle. Quand la solidarité le sous-tend au palier des besoins essentiels et qu’il offre à chacun une chance égale de réussir en fonction de ses efforts, le système de libre entreprise est sans doute le meilleur des systèmes économiques.

2.3.2 LES APPORTS DU TRAVAIL PARTAGÉ

Partager le travail salarié permet de gagner, tant sur le plan social que sur le plan économique. Sur le plan social, on gagne en triomphant de l’exclusion. Une exclusion qui découle du réajustement incontournable des compétences qu’imposent nos nouveaux objectifs de production au vu des progrès techniques et du caractère programmable ou non-programmable des activités professionnelles. Le travail salarié va peu à peu disparaître, mais c’est un truisme que si le travail est partagé il y en aura pour tous. Quelle que soit la somme de travail qu’il reste à faire dans la structure des emplois salariés, le partage équitable permettra toujours, à tout travailleur qui le désire, d’être affecté sans délai à un emploi conforme à ses compétences. Personne ne sera plus jamais exclus.

Partager le travail salarié permet de gagner aussi sur le plan économique. D’abord, partager le travail apparaît comme la façon la moins traumatisante d’assurer un revenu garanti au travailleur – en le rémunérant pour des heures d’emploi – pendant qu’il assume simultanément, hors du cadre des emplois, sa nouvelle fonction de travailleur de la créativité et de l’initiative.

En lui assurant la sécurité du revenu, on élimine le besoin de défendre sa permanence à un poste donné, ce qui ouvre la porte à un réaménagement de la production, à un accroissement accéléré de la productivité dans le secteur de production des biens – et donc à un enrichissement collectif visible quasi immédiat – en plus de favoriser notre positionnement sur les marchés internationaux. Le partage du travail rend aussi une partie plus grande des travailleurs disponibles pour la formation. Ce qui est indispensable. Nous ne consacrons pas à la formation professionnelle les efforts qu’y consentent nos rivaux économiques; c’est une attitude qui nous perdra si nous ne la corrigeons pas.

Enfin, le partage du travail est surtout une façon d’inviter et d’accueillir l’avenir. Prenant la décision de garantir en tout temps, au travailleur qui en fait la demande, un revenu d’emploi conforme à ses compétences, on l’oriente en fait vers le travail autonome. En effet, sur un marché du travail où ses compétences seront en continuel progrès par recyclages successifs, le travailleur qui jouit de cette sécurité de base ira prioritairement vers l’autonomie. Il sautera d’un contrat de travail ou d’une entreprise personnelle à statut de travailleur autonome à la suivante comme d’un trapèze à l’autre. Il ne retombera que bien involontairement dans le cadre contraignant d’un emploi salarié, lequel sera devenu pour lui un simple filet de protection sociale sous ses voltiges. C’est le travail autonome qui deviendra la norme.

L’apport fondamental du travail partagé, c’est qu’il facilite ce saut inéluctable vers le travail autonome, en rendant possible qu’on le tente « en parallèle » à un emploi, avec une sécurité de revenu comme filet sous le trapèze. On favorise ainsi l’initiative, mais en protégeant les victimes innocentes de cette transition vers l’autonomie dont nous profitons tous. On blanchit du même geste le travail au noir. Il faut le faire vite, car le travail au noir n’est que la première manifestation de masse d’une désobéissance civile qui peut détruire notre société.

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2.3.3 LE TRAVAIL « PARALLÈLE »

Le mot-clé, ici, est « parallèle ». Accepter qu’on soit, à la fois, un travailleur autonome et un employé dont le revenu est garanti, c’est remettre en question notre conception du travail et forcer la révision tant de nos programmes sociaux que du contrat social implicite entre le travailleur et l’État. Cette révision constitue un lourd défi; mais il n’y a pas d’autre façon, dans une économie de services et de sous-emploi chronique, de harnacher le travail au noir avant qu’il ne nous désarçonne.

Notre approche actuelle de l’aide aux sans-travail est basée sur la situation dite « normale » du travailleur qui a un emploi. Si celui-ci perd son emploi, on présume qu’il ne travaille pas. S’il ne travaille pas, il faut lui fournir un revenu minimal, sous une forme ou une autre. S’il recommence à travailler – ou plutôt, si on le surprend à travailler – on n’a plus à lui fournir ce revenu.

Cette vision ne colle plus avec la réalité, parce qu’il y a présentement une demande énorme dans notre société pour des services qui peuvent être rendus par des travailleurs sans formation ou dont les compétences sont surabondantes sur le marché du travail. Il y a une demande pour le travail des sans-travail. Hélas, cette demande n’est effective qu’au prix que peut demander, pour rendre ces services, le travailleur au noir qui n’en tire qu’un revenu d’appoint.

L’entrepreneur en construction qui paye le salaire horaire syndical pour un travail exécuté selon les règles syndicales ne peut simplement pas concurrencer le travailleur autonome – en ce cas au noir – qui ne veut pas, lui, accumuler des heures, mais simplement faire un travail vite et bien et être payé. La demande pour les « services simples » qui remettrait les inactifs au travail n’est pas effective au prix qu’en demanderait une compagnie spécialisée, ou un travailleur autonome soumis à la fiscalité qui souhaiterait en retirer au moins un revenu de subsistance.

Il faut ignorer l’Histoire pour penser qu’on pourrait éliminer efficacement le travail au noir par la répression. Il serait d’ailleurs particulièrement odieux de sévir trop brutalement contre des travailleurs au noir au seuil de la pauvreté, pendant que la drogue, le tabac, l’alcool font encore l’objet de trafics mal réprimés. De toute façon, il ne faut pas s’imaginer qu’en éliminant le travail au noir on rendrait effective la demande au prix que le travailleur régulier exige pour y satisfaire.

Le consommateur ne veut pas – et, globalement, la collectivité ne PEUT pas, sans y affecter plus de son revenu qu’elle n’est prête à le faire – payer le prix « régulier » pour ces services. Le marché exige un prix qui soit équivalent à celui du travail au noir… ou n’est pas preneur. Si ces services ne sont pas offerts au prix d’un revenu d’appoint, une demande demeure insatisfaite, alors que quelqu’un qui pourrait la satisfaire ne travaille pas, ce qui n’est certes pas la meilleure solution ! Il vaut mieux « blanchir » le travail au noir, c’est-à-dire amener le travailleur à faire ce travail au prix du marché et à déclarer au fisc le revenu qu’il en tire. C’est ce que permet le travail partagé.

Dans un système de travail partagé, tous les travailleurs qui le désirent tirent un revenu d’un emploi salarié dont la durée a été réduite, le corollaire étant que nul travailleur apte au travail ne touche plus un revenu sans avoir fourni sa cote part de travail. Puisque personne ne reçoit plus une aide financière sans apporter sa juste contribution en travail, on ne peut accuser qui que ce soit de vendre ses services à rabais en profitant d’un soutien que lui apporte la collectivité. Celui qui s’est acquitté du travail salarié pour lequel il reçoit son revenu garanti ne commet donc rien de déloyal en utilisant le temps libre que lui consent le travail partagé pour devenir un travailleur autonome et offrir, « en parallèle » à son emploi, tous les services qu’il peut fournir, au prix dont il convient.

Ces services sont ceux qui sont aujourd’hui rendus au noir. Le travail parallèle remplace le travail au noir; on verra plus loin comment l’application du travail partagé oblige les fournisseurs des services ainsi rendus en parallèle à contribuer comme les autres à l’effort fiscal. Les services rendus en parallèle devant inclure la part du fisc, le prix pourrait en être plus élevé que celui de ceux fournis aujourd’hui au noir. Pas si élevé, toutefois, qu’il rebute le client. C’est une situation type où la loi du marché s’applique sans contrainte, puisqu’il ne s’agit pas de services essentiels pour l’acheteur et que le prix qu’en retirera le fournisseur de services ne représente pour lui qu’un revenu d’appoint.

N’y a-t-il un danger que le travailleur « en parallèle » mette progressivement en péril de plus en plus d’emplois dont il concurrencera la production à meilleur prix, toujours parce que son travail parallèle sera en partie subventionné par le revenu qu’il tire se son emploi? Bien sûr. Et c’est très bien comme ça. C’est ce qui entrainera le remplacement des emplois par un travail autonome dans tous les cas où le travail autonome est plus efficace. Le défi n’est pas de préserver ces emplois, c’est de garantir au travailleur le revenu qu’il en retirait, et tant mieux s’il passe de plus en plus de temps hors de la structure des emplois.

L’avenir des services parallèles est prometteur. Certains des fournisseurs de ces services « en parallèle » connaîtront le succès. Quand le marché sera porteur et que leur rémunération horaire pour leur activité parallèle dépassera celle de leur revenu d’emploi, ils auront la réaction normale de renoncer à leur emploi et de se consacrer entièrement à leur travail autonome. Ceci d’autant plus facilement, qu’ils pourront TOUJOURS revenir à un emploi salarié quand bon leur semblera. Le travail parallèle aura conduit à l’autonomie.

2.3.4 LES PRÉREQUIS AU PARTAGE

Pour effectuer de façon efficace le partage du travail entre tous ceux qui doivent et veulent encore avoir un emploi, il y a des prérequis nécessaires. Il faut connaître l’offre et la demande pour chaque profession, donc faire l’inventaire de nos ressources humaines; il faut établir une maquette des postes de travail disponible dans la structure de production des biens et services et prévoir, pour un horizon raisonnable, ceux qui seront créés; il faut enfin mettre en place un système d’appariement à la fine pointe de l’informatique des demandes et des offres d’emplois.

2.3.4.1 L’inventaire professionnel des ressources humaines

Pour l’employeur, un travailleur est une ressource humaine: le dépositaire d’une « compétence », c’est-à-dire d’une aptitude mise en valeur par une connaissance. Si nous voulons affecter le mieux possible les travailleurs et satisfaire à l’offre d’emploi de façon optimale, il faut identifier tous les travailleurs du Québec selon leurs compétences et savoir non seulement de quoi, mais de qui on parle, quand on discute des sans-travail, des travailleurs autonomes et des autres. Nos travailleurs demeurent pour nous des inconnus. Nous en sommes encore au niveau où l’on ne tient compte que d’une parcelle de leur compétence (souvent celle liée aux exigences du dernier poste qu’ils ont occupé), alors qu’il faudrait en connaître tout l’éventail.Nous ne connaissons pas les travailleurs du Québec ni leur potentiel; c’est une lacune qui doit être comblée.

Les connaissances que possède chaque travailleur, nous devons les identifier, qu’elles proviennent de sa formation ou de son expérience. Or, si les diplômes du travailleur font foi des connaissances qu’il a acquises en formation, un examen et quelques tests seraient nécessaires pour valider celles qu’il a acquises par expérience. Le système ne fait pas systématiquement cette validation. Que cette réticence cache un refus de comparer l’apport de l’éducation formelle à celui de l’expérience « sur le tas » ou la crainte de ceux qui contrôlent la pratique exclusive d’une profession de voir s’y infiltrer de nouveaux concurrents, le système est aujourd’hui bien réticent à reconnaître les acquis des travailleurs expérimentés.

Envers et contre tous, un gouvernement qui veut la justice et la rationalisation de nos ressources humaines doit reconnaître à chacun sa compétence réelle, sans aucune discrimination quant à la manière dont cette compétence a été acquise, car nous ne connaîtrons vraiment les ressources humaines dont nous disposons que quand nous en aurons fait l’inventaire et aurons enregistré tous nos travailleurs. Le gouvernement – fédéral ou provincial – qui disposera de cette information aura la maîtrise effective de ses ressources humaines et aura un avantage déterminant sur ses concurrents au moment d’attirer les investisseurs.

Pour réaliser cet inventaire de nos ressources humaines et donner à chacun sa vraie « Carte de compétence », il faut que l’expérience et la formation institutionnelle de chaque travailleur soient analysées à partir d’une grille commune et d’une table de correspondance entre les codes du ministère de l’Éducation et les codes utilisés sur le marché du travail.. Ne pas disposer dec ette information est aussi bête que de produire des vis sans mesurer les boulons. Or, ce travail n’a jamais été fait.


2.3.4.2 L’analyse des tâches du système de production

Le travailleur le plus compétent pour remplir un poste – poste qui serait aussi celui qui lui convient le mieux – c’est ça le couple idéal à former. Pour apparier correctement le travailleur et un poste de travail, il faut connaître aussi les caractéristiques du poste. C’est un travail ardu, puisque les postes sont nombreux, varient selon la taille de l’entreprise, sont en perpétuel changement pour s’adapter à la technologie et sont souvent identifiés de façon fantaisiste. Analyser tous les postes de travail d’un système de production et en constituer la maquette n’est pas une sinécure!

Cependant, poursuivant les premiers efforts tentés dans cette voie par le ministère du Travail et de la main-d’oeuvre vers la fin des années soixante, il y a des années que le Ministère de l’Éducation du Québec, a développé un système d’analyse des postes de travail couplée à une méthode de préparation de programmes didactiques qui est peut-être le plus performant au monde. Nous avons exporté ce système en Tunisie, au Maroc, au Portugal et ailleurs… même au Rwanda !

Ce système existe déjà, mais pour l’instant ne sert vraiment qu’au recyclage. Il pourrait être généralisé à toutes les entreprises québécoises de plus de vingt (20) employés. Avec quelques modifications, il pourrait même s’avérer utile pour toutes les entreprises de cinq (5) employés et plus. Si l’application en était systématiquement universalisée, nous pourrions vraiment connaître mieux que quiconque notre système de production et ses exigences.

Nous pourrions prévoir et suivre dans le temps les variations qualitatives de chaque profession et ses avatars. Nous pourrions prévoir avec une moindre marge d’erreur et pour un horizon plus éloigné la demande de main-d’oeuvre pour des catégories professionnelles plus fines, et, simultanément, prévoir la demande de formation pour chaque module du système d’éducation et de formation professionnelle. On disposerait de « l’ensemble d’arrivée » sur lequel viendraient s’appliquer les éléments d’un « ensemble de départ » que constitueraient les « Cartes de compétence » résultant de l’ inventaire de nos ressources humaines. Nous pourrions alors faire des mariages vraiment heureux entre l’offre et la demande de travail.


2.3.4.3 L’appariement

Dans une société où le chômage est omniprésent, il serait normal qu’un « Bureau du travail » fasse la paire entre les demandes et les offres d’emplois. Ce Bureau du travail, actuellement, n’existe pas. Il existe, bien sûr, des Centres d’emplois et des Centres de main-d’oeuvre. Mais on est loin d’y faire tous les mariages heureux qu’on pourrait.

On nous dira que la faute en est à la confusion qui règne entre Québec et Ottawa. Il est vrai que les deux systèmes de main-d’oeuvre sont mal arrimés, qu’ils se répartissent les tâches de façon inefficace et que, somme toute, il serait préférable que l’un des deux disparaisse. Ceci dit, le conflit Québec-Ottawa n’explique pas tout. Ni Ottawa ni Québec n’appliquent parfaitement les techniques modernes d’information et de communication pour faciliter les contacts entre l’offre et la demande de travail. Il va maintenant falloir le faire.

Des mécanismes adéquats qui permettent aux employeurs et aux travailleurs de se rencontrer sont indispensables. Ils ne règlent pas tout, loin de là, car quand il y a une disparité fondamentale entre ce que veulent les employeurs et ce que les travailleurs ont à offrir, les mettre en contact plus vite ne changera rien. Mais un appariement efficace réduit au moins le « chômage frictionnel », lequel dépend en grande partie des délais de rencontre. Régler le chômage frictionnel semble une vétille à côté de nos problèmes de structure, mais c’est peut-être 1 à 2 % de la main-d’oeuvre – 35 000 à 70 000 personnes – qu’on ramène ainsi au travail, pour le prix d’un investissement minime. C’est 50 à 100 fois la contribution à l’emploi de l’Aluminerie Alouette, qui a exigé un investissement de 1,6 milliard de dollars et a créé moins de 700 emplois.

Les mécanismes d’appariement dont nous disposons aujourd’hui ne sont pas adéquats. Ils deviennent totalement inacceptables quand on met en place un système de travail partagé et de revenu garanti, alors que le fonctionnement du système exige pratiquement que l’on optimise l’appariement chaque jour et que l’on connaisse à tout moment l’adéquation entre l’offre et la demande dans chaque catégorie professionnelle. C’est pour optimiser l’appariement offre-demande et procéder à la répartition correcte des emplois que l’on doit disposer d’un inventaire professionnel et de la maquette du système de production que permet l’analyse des tâches.

Quand on dispose d’un inventaire des ressources humaines et d’une analyse complète des postes de travail, le travailleur, à partir d’un guichet automatique, peut introduire sa Carte de compétence et connaître, sur- le-champ, tous les emplois disponibles pour lesquels il est qualifié. Il peut recevoir, par le même guichet, les instructions et commentaires des responsables du partage du travail. Par une opération supplémentaire, il peut obtenir plus de renseignements sur les emplois disponibles et, s’il le veut, faire transmettre à l’employeur de son choix son nom et ses coordonnées, voire tout son résumé déjà inscrit au système. Il peut, de la même façon, connaître à tout moment les programmes de formation auxquels il a accès.

Quand on connaît « en temps réel » l’offre et la demande pour chaque profession – tenant compte des substitutions qui résultent de ce que chaque travailleur est qualifié pour tous les postes dont l’analyse révèle que le contenu est entièrement inclus dans le contenu d’un poste pour lequel il s’est qualifié – on peut réduire sélectivement la durée de travail pour les professions où il y a un surplus de main-d’oeuvre, créer ainsi plus d’emplois de durée moindre, et ramener au travail les chômeurs et assistés sociaux qui possèdent ces compétences spécifiques en proportion directe des réductions du temps de travail qui ont été consenties. Quand on met en place ce système d’appariement, on fait un grand bond en avant et le partage du travail devient possible.


2.3.5 LA LOGISTIQUE DU PARTAGE

Sur le plan technique, le partage du travail est tout à fait possible. Il faut affecter les bonnes ressources humaines et techniques à la répartition des emplois, établir un protocole d’interface avec les institutions d’enseignement et les entreprises, identifier des travaux d’intérêt collectif auxquels seront assignés certains travailleurs des professions excédentaires, etc. L’énumération ici en serait inutile et fastidieuse, mais toutes les opérations nécessaires à la mise en place du travail partagé sont connues et bien en deçà des limites de nos techniques d’analyse. Ajoutons que le coût de fonctionnement d’un tel système est négligeable, et celui de sa mise en place théoriquement nul, puisque les ressources requises pour ce faire existent déjà; il ne s’agit que de les réassigner.

On ne peut pas réduire également la semaine de travail de tout le monde. Pourquoi? Parce qu’il y a des métiers où il y a un manque de main-d’oeuvre et que, si on réduit sans discernement la durée du travail de tout le monde, on va créer des goulots d’étranglement. Comment partager équitablement le travail salarié? Il faut procéder par une réduction sélective du temps de travail, par profession. Il faut réduire au départ le maximum annuel des heures de travail selon l’offre et la demande de chaque profession, puis modifier périodiquement ce maximum au vu d’un suivi continu, selon les résultats de création d’emplois obtenus.

Quand la durée du travail a été déterminée pour chaque profession et que l’inventaire des ressources ainsi que l’analyse des postes nous ont appris; a) ce qui doit être partagé et, b) entre qui le partage doit se faire, l’étape suivante consiste à s’assurer que les participants au partage ne seront pas lésés. Le travailleur conserve son salaire d’avant partage, quelle que soit la réduction des heures de travail qui lui est imposée. L’employeur est compensé par une subvention pour la hausse du coût horaire que le partage entraîne. La subvention qu’il reçoit correspond à la différence entre les taux horaires avant et après partage, pour toutes les heures payées à un travailleur qualifié jusqu’à la limite des heures de travail annuel permises dans sa catégorie professionnelle

2.3.5.1 Un partage sur mesure

La répartition théorique est facile. Dans la pratique, le partage exige une extrême souplesse. Répartir entre 40 opérateurs de machines le travail de 30, dans une industrie de 1 000 employés, ce n’est pas si compliqué, même si l’entreprise doit surmonter quelques problèmes d’utilisation des équipements. À la limite, on peut simplement réduire à 30 heures la semaine de travail de 40 heures. Mais la situation-type qui résulte du partage du travail est beaucoup plus complexe.

Que doit faire la petite entreprise dont les 25 employés sont répartis entre 15 catégories professionnelles, quand la durée du temps de travail dans chacune de ces catégories a été réduite selon une logique stricte d’absorption des surplus de main-d’oeuvre, avec pour résultat que certains de ses employés travailleront plus, d’autres moins, et presque personne pour une durée identique? Comment faire fonctionner une entreprise dans ces conditions apparemment cauchemardesques?

D’abord, soulignons que c’est la durée ANNUELLE du travail qui varie pour chaque catégorie professionnelle et que le système de répartition ne prendra pas un malin plaisir à trancher avec minutie. Posons l’hypothèse que la durée annuelle du travail salarié variera par unités discrètes de 50 heures et se situera au départ entre un minimum de 1 000 heures et un maximum de 2 000 heures, selon les professions.

Ensuite, acceptons d’emblée que toutes les combinaisons de partage du temps avec lesquelles l’employeur et l’employé seront d’accord seront permises, l’option par défaut d’accord étant celle d’une réduction simple de l’année de travail. Dans le pire des cas, l’entreprise fait donc face à ce qui prend l’allure d’une succession de départs de ses employé pour des vacances prolongées; elle aura eu le temps de prévoir les remplacements, voire de former les remplaçants.

Dans la plupart des cas, l’entreprise se sera entendue avec ses employés pour des réductions sur mesure – certains écourtant leur semaine voire leur journée de travail – et aura harmonisé sa production pour tirer parti des circonstances. Dans le meilleur des cas, la réduction du temps de travail ne conduira qu’à une embauche minimale: c’est l’équipement qui sera amélioré et la productivité augmentera.

Nous disons que c’est le meilleur des cas, car le but n’est pas de créer des emplois mais de travailler plus et de travailler mieux. Si la première réduction du temps de travail dans une profession donnée n’amène pas la création d’emplois prévue, ne nous en étonnons pas; prenons note que le processus de production est désormais plus efficace et introduisons une deuxième réduction. Répétons l’exercice jusqu’à ce que le point soit atteint ou l’employeur a VRAIMENT besoin d’un travailleur de plus, et l’embauche. C’est à ce moment que l’emploi est solide; on vient de toucher la réalité. Avant que ce seuil ne soit atteint, on bâtit sur des sables mouvants.

Surtout, ne négligeons pas la « solution de facilité » à laquelle auront indubitablement recours beaucoup de petites entreprises: renoncer à la structure salariale et négocier avec leurs employés-clefs des ententes de partenariat et de rémunération par participation aux profits. Cette solution de facilité est aussi la voie royale vers une restructuration accélérée du marché du travail pour l’adapter à nos nouveaux objectifs de production.

2.3.5.2 Les options d’affectation

Le travailleur dont le temps de travail est réduit doit demeurer productif. Pour ce faire, il a un choix, après quoi l’État, parfois, en a un aussi. Le travailleur dont l’année de travail est réduite du tiers ou de la moitié peut choisir d’occuper le temps libre dont il disposera désormais en oeuvrant comme travailleur autonome « en parallèle » ou manifester à l’État sa disponibilité pour une affectation. Dans ce dernier cas, ce sera alors à l’État de décider, pour le bien commun, si cette affectation doit consister en un apprentissage ou en une participation à des travaux d’intérêt collectif (TIC). Quelle que soit cette affectation, le principe en sera que le travailleur y oeuvrera pour tout le temps de travail dont son emploi a été réduit, en considération de quoi il touchera globalement la même rémunération que si son emploi n’avait pas été partagé.

En ce qui concerne les travaux d’intérêt collectif, ils seront définis de manière; a) à ne pas perturber la structure de production (puisqu’il ne s’agit pas de concurrencer le secteur privé à rabais), et b) à utiliser au maximum les compétences disponibles pour lesquelles il n’y a pas une demande suffisante. Les travaux d’intérêt collectif doivent servir à équilibrer le marché du travail, tout en comblant un besoin social. Les travaux d’amélioration de l’environnement et de soutien aux malades et personnes âgées peuvent, entre autres, en fournir l’occasion. En ce qui concerne la formation, le travailleur pourra présenter sa candidature à tous les programmes de formation pour lesquels il possède les prérequis, mais c’est l’État qui décidera s’il y est admis ou s’il doit participer aux travaux d’intérêt collectif.

Même ceux dont l’objectif à moyen terme sera de travailler en parallèle pourront trouver plus avantageux de choisir d’abord l’option d’une affectation, cherchant à obtenir la formation qui leur permettrait d’acquérir les connaissances nécessaires pour lancer leur entreprise personnelle. Si leur candidature à la formation n’est pas retenue, ils pourront modifier leur choix et prendre la voie du travail en parallèle plutôt que celle des TIC.

Le travailleur qui choisit le travail autonome en parallèle à son emploi peut se livrer à n’importe quelle activité productrice légitime non salariée. Son salaire demeurant inchangé pour un nombre moindre d’heures de travail consacrées à son emploi, sa rémunération horaire s’en trouve augmentée. S’il choisit le travail en parallèle, il ne s’agit pas qu’il évite simplement une affectation; on s’attend à ce qu’il produise par son travail autonome une valeur au moins égale à ce qu’il aurait produit comme salarié s’il était resté employé « à plein temps ». On lui demandera de fournir la preuve de son activité productrice autonome, en s’engageant à payer un impôt dont le montant sera au moins égal à ce qu’il aurait payé s’il était demeuré employé à plein-temps, mais au salaire horaire accru qui est maintenant le sien. Ce choix n’est pas dramatique, puisque le travailleur peut toujours le modifier et demander une affectation.

Concrètement, le travailleur qui choisit le travail autonome parallèle prend ainsi le pari qu’il peut retirer d’une heure de son travail autonome une compensation égale à une heure de son travail salarié, avec pour conséquence qu’il n’est affecté ni à des travaux d’intérêt collectif, ni à des cours de formation: il est libre de son temps. Si son travail autonome est fructueux, son revenu global augmentera de tout le revenu après impôt qu’il retirera de son travail parallèle

Quand un travailleur décide de relever le défi du travail autonome, l’État doit lui apporter un soutien financier et technique, au moment du démarrage de son entreprise et au cours des premières années de fonctionnement, qu’il ait ou non choisi de la doter d’une structure corporative. Une étude plus approfondie permettra de préciser jusqu’où la collectivité peut aller dans cette voie, mais le principe de base pourrait être de financer pour le démarrage de sa propre entreprise, par un prêt remboursable en dix ans égal à un pourcentage à définir de son revenu annuel garanti, tout travailleur employé de façon continue depuis cinq ans qui soumet un projet raisonnable de travail autonome.

2.3.5.3 Normalisation de la durée du travail salarié

La logistique du partage du travail ne doit pas permettre uniquement des réductions initiales du temps de travail salarié mais aussi, parfois, des réajustements subséquents à la hausse. La formation massive qui découle du travail partagé permet de préparer des ressources qualifiées pour les professions où il y a encore une demande non-satisfaite de main-d’oeuvre. Dès qu’ils sont formés, ces travailleurs sont affectés à ces nouveaux postes pour lesquels une demande existe, ce qui permet de vider peu à peu de leur excédent de main-d’oeuvre les professions où la durée du travail a dû être réduite.

Que se passe-t-il quand le surplus de main d’oeuvre se résorbe dans une occupation donnée? Le temps de travail peut redevenir « normal », par étapes; ce qui ne veut pas dire 40 heures par semaine, mais une augmentation tendancielle, cependant, du temps de travail dans cette profession donnée. Une augmentation vers une nouvelle norme interprofessionnelle du « travail à temps complet », laquelle sera définie et redéfinie sans cesse de façon empirique et tendra naturellement à décroître.

La norme du « temps complet » servant de référence devrait baisser sans cesse, mais l’écart du temps de travail salarié entre les professions devrait se réduire. À chaque augmentation du temps de travail salarié dans une profession, toutefois, certains travailleurs, qui auront bien réussi comme travailleurs autonomes en parallèle à leur emploi, ne voudront pas reprendre du collier. Ils abandonneront d’eux-mêmes une profession où ils avaient été jadis continuellement à la merci d’une mise à pied, et choisiront de transformer leur travail autonome parallèle en un travail à temps plein. Il en sortira un entrepreneur de plus, un employé de moins. On aura fait un pas sans douleur vers l’avenir, dans le respect des droits acquis et du libre choix de l’individu.

2.3.6 LA LOGIQUE FINANCIÈRE DU PARTAGE

La logique financière du partage du travail tient au respect d’un triple engagement: a) le travailleur doit retirer de son emploi, après le partage, le même revenu qu’auparavant; b) l’employeur ne doit pas subir, du fait du partage, une augmentation de ses coûts de main-d’oeuvre, et c) l’État – (c’est-à-dire, nous, la collectivité, les payeurs de taxes) – ne doit pas encourir de dépenses supplémentaires découlant de ce partage.

Quand on réduit la durée du travail, on ne doit pas diminuer les salaires. On ne sortira pas de la crise en diminuant le pouvoir d’achat des consommateurs ! Mais il faut compenser l’employeur pour ce qui devient une hausse brutale du salaire horaire; ceci est essentiel pour maintenir la stabilité de la production et la compétitivité de notre économie. Quant à l’État, les impôts supplémentaires perçus des nouveaux entrepreneurs/travailleurs autonomes et les économies réalisées sur les paiements de transferts aux sans-travail doivent lui suffire à subventionner les employeurs pour les coûts supérieurs de main-d’oeuvre que leur imposent les réductions de la durée du travail. Est-ce possible?

Ceux qui ne veulent pas que les choses changent se plaisent à affirmer, sans en faire la preuve, que nous n’avons pas les moyens de transformer notre façon de travailler. C’est faux. Au contraire, tout le monde gagne à remettre les sans-travail au travail. Tout le monde y gagne tellement, qu’il faut se faire violence pour y croire. Nous parlons de SERVICES, donc d’une production à très haute intensité de travail. Il n’est pas déraisonnable de penser que si on augmente d’un tiers le nombre de travailleurs, le potentiel de production augmentera presque d’un tiers. Comme il est évident que, si les trois-quarts des travailleurs n’ont plus à assurer la subsistance du « quatrième travailleur » (l’inactif, qui présentement ne produit rien), leur revenu réel augmente dans la même proportion.

2.3.6.1 La réalité du travail

Prenons les chiffres de 1995 – les derniers qui aient la légitimité d’avoir servi à un recensement (1996) – et voyons les conséquences réelles pour toutes les parties d’un retour universel au travail. D’abord, toutefois, une remarque préliminaire. Les statistiques du travail – dont on ne sait trop jamais si elles servent à nous éclairer ou à camoufler la réalité – offrent d’innombrables incohérences entre les divers tableaux; j’arrondirai donc les chiffres pour ne pas donner l’illusion d’une précision qui n’existe pas. Considerons seulement les tableaux qui suivent comme des illustrations à parfaire, mais ne nous égarons pas non plus: les rapports qui y sont indiqués doivent être présumés fondamentalement corrects, sous réserves de ces incohérences contradictions et comme décrivant au mieux la RÉALITÉ.

Dans cette optique, la réalité du travail au Québec, c’est :

5 600 000 personnes de quinze ans et plus, donc en âge de travailler, dont : –

3 500 000 qui sont actives dans un travail rémunéré, et

2 100 000 considérées inactives parce qu’elles n’ont pas un travail rémunéré;

De ces 3 500 000 personnes « actives »: –

2 700 000 le sont censément a plein temps et 800 000 à temps partiel, mais, vu sous un autre angle

3 100 000 sont vraiment au travail… et 400 000 chôment.

Le Produit Intérieur Brut (PIB) qui découle de cette activité au Québec est de 177 milliards de dollars – soit 57 100 $ par travailleur – dont une partie va en salaires, une autre en profits, etc., . Il n’est pas sans intérêt de remarquer que le travail rémunéré représente environ 34 heures/semaine si on le répartit également entre tous les « travailleurs », mais 18,6 heures seulement par semaine si on le repartit entre toutes les personnes de 15 ans et plus. Si on accepte que c’est le travail qui crée la richesse, nous avons un trésor caché quelque part.

[Simultanément, la population prétend consacrer en moyenne 22,7 heures/semaine à des travaux non rémunérés: tâches domestiques, garde des enfants, soins aux aînés… L’estimation que font les gens de leur travail hors-marché est sujette à caution. Mais il faudrait quand même se garder de penser que les « inactifs » ne travaillent pas et ne produisent rien; nous avons de la réalité du travail une vision bien imparfaite.]

Comme est imparfaite notre vision des revenus. Le revenu des Québécois ne se résume pas, loin de là, à ce qui découle des salaires. On parle de 152 milliards par année de revenus au Québec, dont les principales sources sont:

95,5 milliards de dollars en salaires versés

18,5 milliards de dollars payés en intérêts

9,5 milliards découlant des entreprises autonomes (incluant les loyers) et…

27,5 milliards en paiement de transfert (Assurance emploi, B.S., etc)

Le salaire moyen des Québécois qui constituent la population dite active se situe à environ 25 000 $ par année. Mais attention! Si 3 100 000 Québécois seulement sont vraiment au »travail » – tel qu’on l’entend généralement – il y a 5 100 000 personnes au Québec qui touchent un revenu, et leur revenu annuel moyen est de 29 000 $ dont les salaires ne fournissent que 62%.

Laissons de coté – (avec ce que ceci peut avoir d’arbitraire, mais pour ne pas faire déraper le débat)- les revenus provenant des intérêts, lesquels demeureraient inchangés dans l’optique de la présente proposition. Il reste que les paiements de transferts représentent 20% des autres revenus des Québécois. Ce qui est logique, puisque, simultanément, les Québécois retournent aux administrations publiques, sous forme d’impôt ou de cotisations à des régimes d’assurance sociale, 37 des 152 milliards qu’il touchent, soit environ le quart de leurs revenus.

L’équation réelle est complexe, bien sûr. Tous les paiements de transfer ne sont pas des aides au revenu, tout le monde n’est pas apte au travail, et l’input important des personnes aux études comme de ceux qui travaillent sans rémunération doit être pris en considération. Tout ceci étant dit, le résultat net de ces 27,5 milliards de dollars de paiements de transfert est que tout se passe comme si 1 travailleur potentiel québécois sur 5 émergeait à la « liste de paye » de la collectivité, payé sans produire aucun bien en marché.

N’est-il pas évident que si on remettait au travail productif le plus grand nombre possible de « non-travaillant » il en résulterait un enrichissement pour tous? A commencer par ceux qui recevraient désormais un revenu pour leur travail plutôt qu’une aumône pour NE PAS travailler… Posons l’hypothèse du retour des 400 000 chômeurs au marché du travail.

Nous ne disons pas que ce soit le nombre correct. Il y a sans doute 400 000 assistés sociaux aptes au travail qui pourraient réintégrer aussi la main-d’oeuvre – et il y a encore au moins 400 000 « non participants » qui pourraient être invités à participer si on avait vraiment besoin de leur travail ! – nous chechons ici seulement à faire la démonstration du mécanisme par lequel l’argent des paiements de transert pourrait être utilisé pour favoriser le retour au travail et faire faire à l’économie un grand bond en avant.

Prenons seulement l’hypothèse du retour des 400 000 chômeurs, tout en nous souvenant que cet effet pourrait être multiplié par deux facilement, et par trois avec quelques efforts. Supposons que nous n’avons plus 3 100 000 travailleurs qui travaillent au Québec, mais 3 500 000 qui produisent en moyenne, en biens et services, le même output par tête que les travailleurs actuels. Notre PIB annuel passe alors de 177 à 196 milliards de dollars.

De ce PIB – sans rien modifier de la structure fiscale, ni de la distribution actuelle des revenus entre travailleurs, entrepreneurs et financiers ce qui est donc loin de l’idéal et de l’utopie! – on dégagerait 168 milliards de dollars de revenus dont le fisc préleverait 30,5 milliards de dollars, soit 3 milliars de plus que ce qu’il ne touche dans la situation actuelle. En fait, l’impôt étant progressif, ceci est une sous-estimation évidente des recettes de l’État. et nous n’avons même pas inclus les TPS/TVQ… ! Mais gardons le chiffre de 3 milliards.

Gardez ces 3 milliards en mémoire et voyez maintenant combien économiserait l’État si 400 000 chômeurs et assistés sociaux ne touchaient plus d’aide au revenu. Soyons modestes – en supposant qu’une part significative des nouveaux travailleurs sont de ceux qui ne touchent actuellement qu’un mimimum du BS – et fixons la moyenne des paiements actuels de transferts àu titre de l’assistance au revenu à 800 $ par mois. L’État vient d »économiser 400 000 x 800 x 12 = 3 840 000 000 $. Ajouter cette somme au 3 milliards $ d’entrées supplémenatires et vous avez 6, 8 milliards $ par année. Ça veut dire quoi ?

Ça veut dire que l’État pourrait subventionner le travail – et la production – de ces 400 000 travailleurs (qui actuellement ne travaillent pas) à la hauteur de 6,8 milliards, soit 17 000 $ par tête par année, et ne pas s’en trouver plus pauvre. On voit la marge de manoeuvre à partir de laquelle l’État peut tenir les entreprises indemnes des hausses de salaires horaires résultant du partage du travail. Et ceci est l’hypothèse la plus conservatrice. Ramenez aussi au travail 400 000 assistés sociaux aptes au travail – atteignant pratiquement le vrai « plein emploi »- et c’est de 13, 6 milliards de dollars dont vous disposez

Cette somme permettrait de faire passer la semaine de travail « moyenne » actuelle de 34 heures/semaine – qui signifie en réalité 40 heures pour certains, autour de 15 heures pour d’autres, et rien pour beaucoup! – à une nouvelle moyenne d’environ 27 heures/semaine pour 3 900 000 travailleurs (dont la plupart travailleraient vraiment entre 22 et 32 heures/semaine) pour un salaire moyen identique à celui de la semaine normale actuelle dans la profession/métier pour lesquels ils sont qualifiés.

Ceux qui reviendraient au travail seraient plus riches, puisqu’ils toucheraient désormais la rémunération moyenne annuelle du travailleur québécois, dont nous avons vu qu’elle se situe (1995) aux alentours de 25 000 $, plutôt que le 9 600 $ auquel est estimée l’aide au revenu. Et, naturellement, en parallèle, il y aurait ce revenu d’appoint considérable découlant de leur activité désormais légitime hors de la structure des emplois.

Les autres aussi seraient plus riches. Les autres travailleurs, l’État, nous… Non seulement l’État ne serait pas plus pauvre des efforts qu’il aurait consenti à financer la transition, mais la société – chacun d’entre nous – serait pas mal plus riche. La société serait plus riche, chaque année, de 19 ou 38 milliards de dollars en production accrue, selon qu’on prend l’hypothèse minimale ou optimale (voir ci-haut).

Remarquez que ceci n’implique AUCUNE REDISTRIBUTION de la richesse. On laisse les riches et les forts exploiter les pauvres et les faibles comme maintenant. On ne leur demande pas d’être plus compatissants, seulement d’être moins bêtes. Ne remettons pas pour le moment en cause le brigandage des financiers. Insistons simplement pour qu’on mette fin à la bêtise.

2.3.6.2 Le marché du travail parallèle

Tout ça est très bien… si on accepte qu’il y a un marché pour les services que peuvent produire les travailleurs hors de la structure de l’emploi. Les travailleurs autonomes pourront-ils vendre leurs services autonomes? C’est ici qu’il faut tirer les conclusions des coups de massue que nous assène chaque jour la réalité pour nous en convaincre.

Dans la réalité, on estime déjà que la vente des services au noir représente de 5 à 10 milliards de dollars par année. Ces services au noir, ce sont essentiellement les services autonomes que le travailleur peut produire en sus de son travail salarié. Si le revenu personnel augmente du tiers, que tous les travailleurs sont encouragés à vendre leurs services en parallèle plutôt que d’en être dissuadés et qu’une baisse de l’impôt sur les particuliers vient compléter le tableau, n’est-il pas raisonnable de penser que la population demeurera preneuse pour ces services qu’elle réclame?

Surtout si on comprend que le travailleur inactif qu’on ramène au travail a des besoins pressants; il n’est pas un candidat pour l’épargne et le placement, il est un consommateur enthousiaste. Il y a une demande énorme pour les services autonomes, de la consultation, à la rénovation, en passant par les garderies, les services domestiques et les cours de croissance personnelle. Quand on parle d’économie sociale on recoupe largement ces services. Le problème n’est pas de voir la demande pour ces services mais de la financer. L’approche que nous avons proposée ici est une façon de le faire.

2.3.7 UN BILAN POSITIF

On voit du premier coup d’oeil que tout le monde gagne au partage du travail. On gagne parce qu’on a travaillé plus: c’est le travail qui crée la richesse. Mais c’est quand on regarde plus attentivement qu’on comprend vraiment tous les avantages du changement. On a permis le rééquipement des entreprises et donc des hausses de productivité et un enrichissement collectif réel; on a mis l’accent sur la formation professionnelle qui est notre premier besoin d’avenir; on a maîtrisé le travail au noir qui est le premier péril de désintégration sociale; on a facilité l’évolution de la main-d’oeuvre vers le travail autonome. On a fait ce qu’il fallait faire.

2.5 UN MINISTÈRE DES RESSOURCES HUMAINES

Créer de nouvelles structures ne règle pas souvent les problèmes de fond. Quand on introduit un changement fondamental dans les responsabilités de l’État, il faut bien, néanmoins, encadrer adéquatement les organismes et les mécanismes qu’on met en place. Un ministère des Ressources humaines (MRH) – (c’est le Bureau international du travail (BIT) qui, depuis 30 ans, suggère cette appellation ) – doit d’abord regrouper les compétences nécessaires à l’identification et à la prévision quantitative et qualitative en continu de l’offre et de la demande de travail et faciliter l’adéquation entre les deux.

À cette fin, le MRH voit à la réalisation d’un premier inventaire professionnel et des suivis subséquents qui en assureront la mise à jour continue. Il veille aussi à la constitution et à la mise à jour de la maquette des tâches du système de production, en appliquant la procédure d’analyse des tâches du Ministère de l’Éducation qui, pour l’essentiel, est déjà un acquis. Il assure le fonctionnement du système informatisé de placement (appariement) et maintient une direction de la Recherche pour les fins de la prévision et de l’analyse.

Dans un deuxième volet, le MRH doit procéder à la répartition des emplois et donc prendre en charge la logistique d’implantation et de fonctionnement du programme de partage du travail, incluant les affectations à la formation et aux travaux d’intérêt collectif. Dans un troisième volet, il doit gérer les implications sur le revenu des travailleurs et sur les subventions aux entreprises du programme de partage du travail, incluant la distribution des fonds.

Il y a enfin une quatrième mission pour le MRH, sur laquelle nous reviendrons plus en détail: il doit prendre en charge la formation professionnelle spécifique en entreprise et, à ce titre, il doit faire l’interface avec le Ministère de l’Éducation qui demeure responsable de la formation générale.

3. RECOMMANDATIONS

Nous ne faisons ici que regrouper les suggestions que nous avons faites plus haut et préciser au besoin le fil conducteur qui les relie. Ne voulant pas en faire un ordonnancement- la présentation sur le Net en serait difficile – nous avons préféré les présenter ici simplement selon ce qui nous apparaît la séquence logique de leur mise en marche.
– Créer un ministère des Ressources humaines, responsable d’une politique de main-d’oeuvre, du programme de travail partagé, du revenu garanti et de la formation professionnelle spécifique en entreprise.

– Instaurer un système omnivalent de reconnaissance et de certification des acquis professionnels et académiques qui soit indépendant des modalités d’apprentissage.

– Compléter une analyse de tâches exhaustive permettant la description des postes de travail de l’ensemble des entreprises ayant plus de 20 employés; (à compléter plus tard pour les entreprises de 5 à 20 employés).

– Réaliser un inventaire de la population active, de façon à ce que les compétences de quiconque entend participer à la main-d’oeuvre soit connues et exprimées en un langage qui soit compatible, d’une part avec les descriptions des postes de travail et, d’autre part, avec la codification des modules d’enseignement et de formation du système d’éducation.

– Mettre en place un service d’appariement informatisé qui permettra, en tout temps: a) à tout travailleur, de connaître immédiatement tous les emplois pour lesquels il est qualifié ainsi que le cheminement de formation qui le qualifierait pour tout autre emploi; b) à tout employeur, de connaître immédiatement tous les travailleurs qualifiés pour les postes qu’il cherche à combler.

– Modifier la durée légale annuelle du travail – de façon sélective, par groupes professionnels – et procéder au partage du travail de sorte que chaque travailleur puisse être employé à temps partagé dans sa profession.

– Garantir à chaque travailleur un revenu annuel au moins égal à son revenu actuel, en considération de sa participation à la structure de travail salarié pour le nombre d’heures fixées pour son groupe professionnel et de sa disponibilité pour le recyclage ou les travaux d’intérêt collectif pour le temps d’emploi dont il est libéré par le programme de partage du travail.

– Planifier les opérations de recyclage et toute la structure de formation de façon à assurer, le plus vite possible, le passage des travailleurs des secteurs à surplus de main-d’oeuvre vers les secteurs à demande de main-d’oeuvre, égalisant ainsi à la baisse, dans un système de partage du travail, la durée annuelle du travail salarié.

– Éliminer les contraintes qui font obstacle au travail autonome exécuté par un travailleur en parallèle à son travail salarié, de même que celles qui font obstacle à l’embauche et au congédiement des travailleurs par les employeurs selon les besoins réels de la production.

– Dégager de toute obligation de recyclage le travailleur qui s’engage à déclarer au fisc, pour un travail autonome hors la structure d’emploi, un revenu annuel au moins égal à la rémunération, au salaire horaire d’après partage, des heures de travail dont il a été libéré.

– Financer, pour le démarrage de sa propre entreprise, par un prêt remboursable en dix ans égal à un pourcentage à déterminer de son revenu annuel garanti, tout travailleur employé de façon continue depuis cinq ans et qui soumet un projet raisonnable de travail autonome.

– Subventionner entièrement les employeurs pour la différence de coût horaire du travail résultant du partage du travail, pour autant que cette différence soit payée à un travailleur qui n’a pas travaillé durant l’année plus que la durée annuelle légale fixée pour sa profession, ces subventions provenant des fonds récupérés des paiements de transfert ainsi que des impôts supplémentaires prélevés sur le nouveau travail autonome.

– Ajuster le fiscalité de telle sorte que l’augmentation du revenu disponible soit suffisante pour rendre effective la demande pour les services offerts par les travailleurs autonomes.

Est-ce tout ? Non. Aujourd’hui, le partage du travail semble la solution à nos problèmes. Mais, si on veut régler vraiment la crise du travail – pour demain mais aussi pour longtemps ! – le partage du travail n’est pas suffisant; il faut également agir sur le travailleur lui-même. Il faut, si on peut dire, refaire le « monde ». Il faut consentir un effort sans précédent pour l’éducation/formation.

Ce sera l’un des éléments d’un prochain document concernant l’ÉDUCATION et la FORMATION PROFESSIONNELLE

Pierre JC Allard

2 commentaires »

  1. Superbe Jean-Claude ! Je crois que nos propres élus auraient intérêt à te lire. En particulier la section 335 où tu expliques, indirectement il est vrai, pourquoi, chez nous, l’application du concept des 35 heures n’a pas été à la hauteur de l’idée de base. Au passage je note qu’il est fait référence au « ministère du Travail et de la main-d’oeuvre vers la fin des années soixante ». Mon côté taquin m’entraîne à te demander qui était le ministre à l’époque…..
    Amicalement Jean-Pierre
    PS Pour ce qui est du travail non rémunéré, jette un coups d’oeil à mon site. Comme le disait si bien un de mes anciens patrons : this is a non-profit organisation. It was’nt done to be that way but this is the way it turnes out to be….

    Commentaire par Jean-Pierre Guélain — 21-12-12 @ 6:02

  2. Bonjour Jean-Pierre.

    Il faudrait que tu me donnes les coordonnés de ton site. Comme je connais ton style, je n’ai toutefois aucune réserve à t’inviter les yeux fermés à soumettre des articles a CentPapiers dont ne doute pas qu’ils seront publiés.

    PJCA

    p.s Je suis enfin a Buenos-Aires, où j’ai finalement choisi de passer cet hiver. Juste a temps, il vient de tomber 45cm de neige sur Montreal 😉

    Commentaire par pierrejcallard — 28-12-12 @ 6:29


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