Nouvelle Societe

07-02-05

T6 Demain, les autonomes

Filed under: Auteur — pierrejcallard @ 9:35

L’employeur ne demande qu’à remplacer un travailleur par une machine. L’avenir des postes de travail qui sont des agrégats de tâches, programmables et inprogrammables – et des services biens réels qu’en retire la population – n’est assuré que quand ces postes sont confiés à des travailleurs autonomes.

Ceux-ci, quand ils sont confrontés à la programmation de certaines de leurs activités traditionnelles, ne choisissent pas, en effet, de se mettre eux-mêmes au rancart… Ils poursuivent plutôt leur activité, en mettant l’accent sur le volet inprogrammable de leur fonction et en offrant au consommateur un service de meilleure qualité. J’aurais aimé, pour ma part, au lieu de supprimer leurs postes, qu’on eut permis aux réceptionnistes de prendre le temps de mieux nous informer.






Non seulement les emplois sont vulnérables à la tendance normale des employeurs vers l’optimisation de leurs profits, au détriment des aspects qualitatifs des postes de travail en mutation, mais l’emploi est intrinsèquement une mauvaise structure d’encadrement pour le travail inprogrammable: le travail de créativité, d’initiative et de relations humaines. Quand la main-d’oeuvre a émigré vers le tertiaire, ce sont bien des emplois qu’on a créés pour l’encadrer; mais c’était là une solution de facilité: on ne peut pas superviser la production des services comme celle des jujubes. Si on cherche à le faire, on constate vite que l’essentiel nous échappe.



Parce que l’essentiel des services est la satisfaction d’un besoin qui est qualitatif, subjectif, intangible. On ne peut pas calculer l’apport de chaque professeur à l’éducation d’un enfant, ni l’impact d’un sourire sur la santé d’un patient. On ne peut pas mesurer l’effet de l’objection posée par un fonctionnaire à une proposition de projet, ni celui des critiques d’un vice-président Marketing au vice-président Finances d’une société. On ne peut pas gérer l’activité inprogrammable de l’employé, parce que l’essentiel, qui est la satisfaction finale du client, ne peut pas être capté par les moyens de contrôle traditionnels propres à l’emploi.



Le système des emplois, originellement mis en place pour mesurer et contrôler un output quantifiable dans le secteur industriel, est inadapté aux activités inprogrammables. Il leur est même pernicieux, en ce qu’il démotive le travailleur et le distrait de son objectif réel qui est de fournir un service, en lui imposant un contrôle quantitatif qui repose sur le temps qui passe et des papiers remplis, au risque que le temps passe alors à remplir des papiers.



Une relation tripartite – employeur, employé, utilisateur – nuit au contact efficace entre celui qui offre et celui qui reçoit le service, puisque l’employé fait face au dilemme de se consacrer prioritairement à sa tâche réelle qui est de servir l’utilisateur… ou à sa tâche formelle qui est de satisfaire aux indicateurs quantitatifs de performance à partir desquels l’employeur jugera de son travail.



Le contrôle que permet la structure d’emploi de la qualité et donc de la valeur réelle du travail inprogrammable accompli par le travailleur est inadéquat. Faut-il donc s’étonner que l’entreprise de services cherche à éliminer la structure désuète des emplois pour favoriser la sous-traitance et la consultation? Faudra-t-il s’étonner, demain, si les grands réseaux de l’éducation et de la santé sont démantelés, pour permettre à de petits groupes de partenaires, vraiment motivés, d’assurer à la population un bien meilleur service? Un service dont l’État pourrait garantir le paiement et l’universalité tout comme aujourd’hui, mais à bien meilleur compte et, surtout, avec une qualité incomparablement supérieure.


Prenons le système d’éducation secondaire. Lycée en France, ou application/adaptation dans le reste du monde du « Comprehensive school » américain. Ce système ne répond pas à nos besoins. Il n’y a pas toujours d’insuffisances quantitatives à mesurer ; on trouve souvent dans les structures d’éducation des ratios employés/élèves bien satisfaisant. (1:16 au Québec) ! Mais le rapport des ressources au front à celles de l’intendance est vicié par le préjugé de la supériorité d’«organiser » sur « enseigner » et ne peut que se détériorer, tant qu’on ne comprendra pas qu’administrer de l’éducation n’est pas éduquer.

RIEN ne peut régler, par exemple, le problème des polyvalentes québécoises, si ce n’est une nouvelle structure qui établisse un lien HUMAIN entre l’élève et l’enseignant. Un enseignant salarié sous tutelle d’administrateur et qui doit comptabiliser ses heures n’éduque pas.



Ce sont des travailleurs autonomes, pas des employés, qui doivent fournir à la population les services inprogrammables dont elle a besoin. Ils le feront pour les services existants, particulièrement les services d’éducation à tous les niveaux et les services de santé. Ils le feront aussi pour les ajouts à ces systèmes et pour tous ces postes de travail en mutation, dont le système n’a pas encore décidé s’ils seraient conservés ou si on leur substituerait des machines.



Cette évolution vers l’autonomie du travail est inévitable. Elle correspond au besoin de laisser le travailleur, maintenant plus instruit et mieux formé, mettre à profit son initiative et sa créativité sans les contraintes rigides d’un emploi. Elle facilite du même coup l’évaluation de la performance du fournisseur de services. Pas en vérifiant les gestes qu’il pose – ni même sa façon de les poser, sauf dans un cadre très permissif – mais en évaluant les RÉSULTATS de son intervention.

Des résultats qui peuvent être objectivés, mais auxquels doit surtout s’ajouter l’évaluation de la SATISFACTION du client.. Au palier de l’utilisateur final, c’est sa satisfaction qui est le premier critère d’évaluation ; quand il d’agit d’une activité qui n’est qu’une étape d’un processus plus complexe, il faut évaluer dans quelle mesure l’extrant d’une activité est bien l’intrant que souhaite le responsable de l’exécution de l’activité en aval.

La structure « par emplois » a été créée parce qu’elle collait aux nécessités de la production en chaîne dans une structure industrielle. Elle ne répond pas aux besoins d’une économie de services, alors que c’est la relation humaine et la motivation qui sont les grandes exigences. Nous le comprendrons rapidement, et ce sont des travailleurs autonomes qui vont conquérir le marché des services.




Pierre JC Allard

4 commentaires »

  1. Pour faire court : dans te triangle employeur-employé-demandeur, il y a un facteur de trop : c’est l’employeur. C’est lui qui coûte le plus cher, en argent, et en frustration, il est donc à éradiquer partout. De gré, ou de force.

    Commentaire par babelouest — 06-11-14 @ 8:38

  2. @ Babelouest

    Oui. Dans une économie de serviceS, quand le rôle du facteur hunain croït et que celui du capital materiel diminue, l’employeur devient progressivement superflu. Il n’est cependant pas immediatement inutile, car il remplit la fonction de coordination qui ne pourrait exister commme composante independante que dans un processus de production totalement coherent, vers leuel on tend, mais sans jamais l’atteindre, puisque on veut toujours le voir comme perfectible. ATTENTION, AUSSI, QUE  » DE GRÉ DE FORCE » – QUI EST ‘EXPRESSION D’UNE NECESSITÉ TECHNIQUE – NE DEVIENNE PAS UN APPEL À LA VIOLENCE..

    PJCA

    Commentaire par pierrejcallard — 07-11-14 @ 8:18

  3. Dans ma pensée, le coordinateur n’est qu’un exécutant comme les autres d’une tâche collective. D’où ma proposition de supprimer l’employeur. Et le « de gré ou de force » traduit l’évidence que le plus souvent celui-ci, lointain et « anonyme » (fonds d’investissement, gros actionnaire privé caché derrière une banque…) n’est qu’un facteur de production inutile et nuisible à éradiquer, mais qui fera tout (y compris par violence précisément) pour rester présent.

    Cette nouvelle donne, bien entendu, appelle la disparition de ces aberrations que sont la monnaie et la propriété privée AU MOINS des moyens de production, mais plus généralement de tous les moyens (y compris d’utilisation). Volontairement je n’utiliserai pas le terme moyens de consommation.

    Commentaire par babelouest — 11-11-14 @ 9:32

  4. Vous oubliez quelque chose je crois : le statut de salarié est simple et le statut d’indépendant est compliqué.

    Être travailleur indépendant nécessite beaucoup plus de compétences, et dans davantage de domaines, que le statut de salarié. C’est forcément plus intéressant au quotidien d’être indépendant, mais il ne faut pas croire que le fait de gérer tout soi-même soit un détail, et que la liberté totale dont on dispose compense ces difficultés bien réelles. Ce statut convient à certains «fournisseurs de services» épris de liberté et ayant un très haut niveau de technicité, qui se «vendent» à titre personnel (ex: experts, conférenciers, chercheurs…), ou bien dont le talent est unique (ex: artistes), mais ça n’est clairement pas généralisable à toutes les personnes ni à toutes les professions.

    Être dans une relation de contrat de travail avec un employeur permet de se concentrer sur son métier au lieu de s’éparpiller dans toutes les tâches annexes à accomplir, par exemple de ne pas avoir à s’occuper du démarchage des clients, de ne pas avoir à gérer la paperasserie administrative, de ne pas avoir à gérer son temps aussi finement qu’un indépendant doit le faire, et le statut de salarié permet de beaucoup moins stresser pour l’argent qui rentre ou qui ne rentre pas tous les mois.

    Le recours à des sous-traitants est perçu comme la garantie d’un travail de qualité (grâce à l’obligation de résultat), mais ceci est souvent une illusion. Quand on confie la réalisation à un prestataire au lieu de la confier à un salarié qu’on recrute et qu’on forme, toute la problématique sera d’expliquer au prestataire ce que l’on veut dans le délai imparti. Avoir recours à un prestataire aboutit au paradoxe que cela augmente le travail de «cadrage» de la mission qu’on lui confie. Une fois le travail du prestataire terminé, on se retrouve avec une nouvelle tâche, l’intégration de ce qu’il a fait, la mise en valeur du résultat de son travail. Souvent on ne se retrouve pas avec de la qualité, souvent le prestataire sous-facture au début et sur-facture à la fin, souvent la relation de travail entre le donneur d’ordre et le prestataire est vénéneuse, haineuse, pleine de chantage et d’hypocrisies («je suis désolé, ce que vous me demandez n’est pas dans le cahier des charges»). De plus, s’il y a plusieurs prestataires, très souvent les sous-traitants n’ont pas les mêmes méthodes de travail, ni la même vision d’ensemble du projet, ce qui donnera un bien piètre résultat à la fin, car il est très difficile de «blinder» un contrat commercial afin d’y faire figurer toutes les choses qui sembleraient évidentes à un salarié (qui disposera, lui, de la culture de l’entreprise).

    C’est le grand rêve des possesseurs d’entreprises de prédire et de souhaiter la mort du salariat, car pour ces gens-là le salarié fait partie de la «masse salariale» qui leur «coûte» tous les mois quelque chose, et qu’ils veulent diminuer autant que possible.

    Mais le salariat n’est pas né par accident, il est devenu nécessaire quand la technicité des métiers a augmenté, et que les gens qui avaient des choses à faire faire, se sont trouvés incapables de trouver les personnes pour les réaliser à leur place.

    Aujourd’hui dans les pays occidentaux, les entreprises qui veulent gagnent de l’argent doivent innover, ce qui nécessite forcément des gens très impliqués, ayant une forte culture d’entreprise. Le recours à des prestataires n’est pas, pour ces entreprises, la bonne solution.

    Commentaire par Grégoire — 18-11-14 @ 1:30


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