Nouvelle Societe

07-02-05

T5 Le tout-précarisé

Filed under: Auteur — pierrejcallard @ 9:27

Quand on veut vraiment travailler pour produire, on programme tout ce qui peut être programmé. On affecte les ressources humaines à la satisfaction de ce qui ne peut pa l’être et on met en place une structure de formation qui les capacitera de façon efficace. Il y a peu de postes de travail dans le système de production qui ne puissent bénéficier de la programmation de certaines de leurs tâches.

Dans le secteur industriel « taylorisé », dont presque toute relation directe producteur-client avait été extirpée au départ, les emplois disparaissent donc bien vite quand le rapport des coûts machine/main-d’oeuvre atteint le seuil qui justifie leur programmation. La programmation des emplois du secteur des services, au contraire, après que toutes les composantes programmables en ont été programmées, laisse presque toujours place à l’évaluation d’une composante inprogrammable résiduelle qui peut encore justifier l’existence de postes de travail pour des humains. Il y a donc souvent des choix à faire.

Parfois, on choisit de croire que la composante créative, décisionnelle ou relationnelle – et donc « humaine » – du poste est sans importance. C’est ce qu’on fait actuellement pour les réceptionnistes, remplacées par des messageries vocales, ou comme on se prépare à le faire pour les caissier(e)s de banque, auquel cas les emplois disparaissent.

En d’autres cas, on choisit plutôt de croire que cette composante constitue l’essentiel même du service et on maintient l’emploi. La programmation d’une partie des tâches transforme alors la nature du poste, permettant soit une réduction de la main-d’oeuvre, soit une amélioration de la qualité des services rendus, soit une situation qui tienne un peu de ces deux options à la fois.

C’est de cette évaluation largement arbitraire de l’importance relative de la composante inprogrammable (humaine) des divers postes de travail que dépendra, dans l’avenir immédiat, la suppression ou le maintien, voire l’augmentation du nombre des emplois de services. C’est cette évaluation qui déterminera quels services seront améliorés par l’introduction de machines plus performantes… et lesquels seront abolis parce qu’on leur substituera un « service » totalement mécanisé. Cette évaluation est arbitraire, mais elle n’est pas aléatoire, ni surtout innocente; elle découle d’un rapport de forces. Ce rapport de force ne penche pas en faveur du maintien des emplois.

En théorie, c’est le consommateur qui décide en dernier ressort du nombre des emplois qui seront préservés. En effet, quand il existe au poste un aspect inprogrammable, c’est que la machine, par définition ne peut pas faire exactement ce que peut faire un être humain ; quand on lui offre un service mécanisé de substitution, le consommateur perd donc un élément du service qui lui était rendu par le travailleur. Il peut refuser d’accepter cette perte, si elle lui semble intolérable, ou il peut l’accepter et « faire avec », si le produit de substitution lui offre un rapport qualité/prix qui lui semble plus avantageux.

Le consommateur exprime ainsi, par ses décisions d’achat, le rapport de prix qu’il considère équitable entre le produit à composante humaine et le substitut mécanisé qu’on lui propose, déterminant de cette façon les parts de marché des deux options et donc combien de postes de travail « humains » seront maintenus. C’est ainsi qu’on a vu, il y a quelques décennies, les électroménagers se substituer presque totalement aux travailleurs domestiques.

C’est ainsi qu’on voit aujourd’hui des articles jetables remplacer des produits de qualité faits pour durer, lesquels sont meilleurs, mais coûtent désormais trop cher à réparer. C’est ainsi qu’on verra peut-être bientôt, sur le marché des services, beaucoup plus de « systèmes-experts » sur ordinateurs et bien moins de certains types de professionnels

C’est le consommateur qui choisit… en théorie. En pratique, toutefois, ce choix du consommateur n’intervient que si le service est rendu par des travailleurs autonomes, ou si des travailleurs autonomes sont au moins en concurrence avec des salariés pour le lui rendre. S’il s’agit d’un service rendu exclusivement par des salariés – des caissières et caissiers de banque, par exemple – l’employeur peut, sans grande contrainte, favoriser dès le départ l’option de la substitution et optimiser ainsi ses coûts et ses profits en limogeant ses employés; le consommateur n’aura mot à dire que si certaines banques se désolidarisent des autres et lui offrent une alternative, ce qui n’est pas probable. Où est le choix du consommateur? Envolé… Et les banques ne sont qu’un oligopole. Supposons que l’employeur soit un monopole…



Que peut faire le consommateur, si un monopole – le Ministère de la Santé aujourd’hui, le Ministère de l’Éducation demain – mettant à profit l’amélioration des techniques et des communications, juge que la composante inprogrammable de certains postes de travail ne justifie plus leur maintien et qu’un automate programmable peut très bien faire une « laparo »? Ou qu’un vidéodisque interactif peut enseigner la philosophie? Où serait le choix du consommateur? Pourtant, nous savons tous, intuitivement, que « prendre soin » et « éduquer » sont des fonctions essentiellement humaines, même si la transmission des connaissances et la distribution des remèdes peuvent être en grande partie programmées.



On peut dire de l’État-employeur qui limoge ses employés et qui cherche à optimiser ses coûts, plutôt que d’affecter les gains du progrès technologique à l’amélioration des services, qu’il ne remplit pas son rôle d’État. On peut même dire qu’il ne mérite pas non plus d’être un employeur. Mais là n’est pas le fond du problème. L’exemple bien d’actualité de l’État-employeur qui coupe dans les services de santé n’est qu’une illustration.

Le fond du problème, c’est que l’évaluation de l’opportunité de remplacer l’homme par la machine sera toujours arbitraire au palier des services, puisqu’il s’agira toujours, d’évaluer du qualitatif, de l’inquantifiable et que la décision sera toujours biaisée, quel que soit l’employeur, puisque l’intérêt de ce dernier sera toujours de favoriser la substitution de machines à des travailleurs, lesquels seront toujours relativement de plus en plus coûteux.



Même sans tenir compte d’une collusion, hélas facile, entre fournisseurs de services, l’employeur est toujours de trop dans la relation entre celui qui fournit un service et celui qui en bénéficie. il n’y a que des travailleurs autonomes pour garantir la permanence et la qualité des services.

Pierre JC Allard

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