Nouvelle Societe

11-03-08

153. Les blogues

Filed under: Auteur — pierrejcallard @ 7:32

Il se passe quelque chose dans la société: on commence à passer le micro…. Il y a quelques années, j’avais souligné qu’on ne pouvait espérer que se développe une société vraiment démocratique, puisqu’il était impossible, pour qui que ce soit, de faire connaître une idée DIFFÉRENTE.. Comment avoir un impact sur le modèle politique et donc sur la structure sociale, si tout ce qui est novateur ne peut être que chuchoté de bouche de bouche, ne pouvant être diffusé que par le canal étroit de quelques journalistes, au service d’une poignée de journaux inféodés au système en place? Droit de parole

Des journalistes qui, sans même qu’on le leur demande, sans même s’en apercevoir, n’obéissant qu’à ce qu’ils sont, s’assurent sans même y penser que rien ne soit publié qui n’ait été rendu « correct », concilié avec les valeurs d’une société, pourtant ô combien incorrecte !

J’avais dit, alors, que la liberté d’expression n’était pas acquise dès qu’on accordait le droit de parole aux gens, mais seulement quand on leur passait aussi le micro. J’avais suggéré que soit mise en place, avec les moyens de l’époque, une structure citoyenne permettant de vérifier TOUS les faits par témoins oculaires et de confronter TOUS les commentaires, TOUTES les opinions. Laplupart étaient bien d’accord, mais, avec les moyens de l’époque… Pas facile. Je m’étais donc résigné à ce que passent deux ou trois générations avant que les idées ne puissent circuler librement.

Mais les générations sont courtes. Mes tiroirs sont pleins de textes que j’ai moi-même écrits, il y a cinq ans, mais qui me semblent maintenant des témoignages d’une autre époque et que je relis avec le même attendrissement que m’inspirait, étant jeune, la lecture des papiers de mon défunt grand-père. Les générations se bousculent.

La génération del’Internet est venue et, au lieu de parler à quelques personnes ou d’écrire un bouquin qu’on vendra à 1 000 exemplaires, en y mettant 6 mois d’efforts titanesques, on peut maintenant recevoir 200 visiteurs par jour sur un site perso et avoir vite plus de lecteurs que n’en ont eus de leur vivant la vaste majorité des penseurs politiques du passé, le passé étant tout ce qui a précédé l’Internet.

L’Internet a apporté beaucoup. Maintenant, c’est la génération des blogues. Les blogues qui se réfèrent les uns aux autres et constituent un réseau qui véhicule des faits, des opinions, des idées. Un changement de paradigme, car le réseau des blogues vient de rendre la société transparente. Après des millénaires de censure, alors qu’on n’y croyait plus, tout à coup, la transparence est là.

Le réseau de blogues est apparu sans crier gare, car il s’est développé relativement inaperçu, sous terre, au niveau de ses racines, jusqu’à ce que brusquement, cette année, il apparaisse au grand jour, la plante trop grosse déjà pour qu’on puisse l’arracher. C’est la nouvelle étape dans l’évolution de la communication sociale.

Qu’est-ce qui distingue l’idée qu’on met sur un site perso de celle qu’on met sur le réseau des blogues ? Sur un site perso, une idée doit être raisonnablement bien ficelée avant d’être mise en ligne ; c’est à cette condition qu’elle peut susciter une réflexion, convaincre et, du moins on l’espère, avoir à terme un impact significatif. Les idées à mettre sur le réseau des blogues, au contraire, ne sont pas des idées tout faites. Elles n’ont pas à être savamment construites, elles gagnent même à n’être qu’ébauchées.

Ce qui fait la spécificité du blogue, en effet, c’est que, partant d’un simple fait assorti d’un commentaire, souvent un fait d’actualité, on amorce une réflexion ouverte sur un thème ciblé et l’on crée un univers en évolution. L’idée sur un blogue n’est pas là pour conclure, mais pour initier un débat. On peut pontifier sur un blogue, bien sur, comme n’importe où, on peut y émettre des opinions définitives… Mais ces idées qu’on voudrait bien arrêtées et qui veulent faire du bruit sont vite dépassées, car la caravane passe. L’intérêt du blogue est tout entier dans ce qui passe. Dans les idées en gestation.

De ce qui n’est au départ que l’opinion d’un quidam naît donc sur les blogues une pensée collective qui va pouvoir circuler librement et largement. Cette pensée va pouvoir se diffuser en s’enrichissant de l’apport successif de ceux qui la reçoivent, y réfléchissent et la transmettent, au lieu d’être vidée de son sens et de toute originalité au premier passage obligé par les médias du Système.

Il sort ainsi continuellement du réseau des blogues une multitude d’idées-propositions inachevées qui ne sont plus celles de qui que ce soit, mais qui manifestent l’esprit d’un consensus populaire implicite. Ces pensées et ces opinions viennent d’en bas. C’est une grande nouvelle

On a déjà tâté de ce procédé de consultation itérative. Le cheminement d’une idée sur le réseau des blogues ressemble à celui d’un projet « Delphi », une technique jadis populaire dans le milieu des affaires, qui faisait circuler un concept entre les participants, chacun y apportant ses annotations avant de le passer au suivant. On faisait deux, trois fois le tour. On en tirait des consensus. Intéressant.

L’ennui est qu’il fallaitun mois ou deux pour terminer la démarche et qu’il fallait y affecter une logistique importante. Le réseau des blogues, lui, arrive au même résultat en 72 heures, sans encadrement significatif, sans frais et tout le monde peut participer : c’est ça, le changement de paradigme.

Les conséquences sociales et l’impact sur la culture et la pensée de l’émergence du réseau des blogues seront spectaculaires, mais n’apparaîtront que peu à peu : le cerveau humain n’a pas été recâblé haute-velocité. Sur le plan politique, cependant, l’effet des blogues est immédiat.

Immédiat et brutal, car les médias conventionnels, institutionnalisés, favorisent le statu quo ante et les idées reçues. Mêmes les journaux révolutionnaires véhiculent leurs propres idées reçues, alors que, sur le réseau des blogues, le préjugé favorable n’est pas pour l’inertie, mais pour le changement. Les blogues sont les feuilles de chou de la révolution permanente. Sur les blogues, c’est l’idée novatrice qui a une influence et les blogues sont donc un facteur de volatilité.

Avec les blogues dans l’arène, les joutes électorales ne seront plus jamais jouées avant la dernière échappée, car il devient possible que de vastes pans de l’électorat changent d’allégeance en quelques jours. Pour que des événements politiques imprévisibles arrivent, il suffit d’un message auquel sa diffusion confère une crédibilité et qui vole de blogues en blogues, sans que les médias puissent le discréditer.

Dangereux ? Bien sûr. Les rumeurs, la calomnie peuvent envahir le réseau. Mais il y a bien trop de vrais témoins, bien trop de point de vue pour qu’elles puissent y survivre longtemps. Les rumeurs sont testées de milliers de petits coups d’épingles et les calomnies sont vite dégonflées… La médisance, elle, fait son nid, mais la vérité y gagne et nous protège de la rectitude politique qui, peu à peu, est à peindre le monde des idées politiques dans ce même gris qu’on disait rose des sociétés totalitaires.

Le danger est bien là, aussi, que les politiques, qui ont vite compris le pouvoir des blogues, en fassent un outil de manipulation. Ils font déjà des efforts considérables pour noyauter le réseau, mais s’aperçoivent, à leur grand dam, que celui-ci est naturellement immunisé contre le microbe de la propagande, car celui qui fréquente les blogues n’est pas passif, il veut collaborer à la genèse d’une idée.

Il ne veut donc pas des réponses, mais des questions et le format même du blogue est ainsi fait qu’il met en évidence tout ce qui ressemble à une tentative de manipulation. La louange immodérée sur un blogue apparaît ridicule. Tout ce qui apparaît comme un message répétitif, tout ce qui semble vouloir convaincre plutôt que susciter un débat est perçu comme SPAM sur les blogues et rejeté sans effort, automatiquement. Les politiques peuvent aboyer, mais ils restent derrière. La caravane passe. en route vers l’imprévisible.

En France, c’est le candidat Bayrou qui, bousculant comme des fétus de pailles les organisations traditionnelles présumées invincibles de ses adversaires, a rejoint le peloton de tête en quelques semaines et pourrait bien sortir gagnant. Ce qui serait une surprise cataclysmique dans le paysage politique français et mettrait fin sans retour à ce gauche-droite qui encadre le jeu politique depuis plus de cent ans. Cette dichotomie traditionnelle pourrait bien disparaître d’un coup, sans même que la France y porte attention, d’un pays que les blogues auraient convaincu sa population de le diviser plutôt, comme dirait Daninos, en soixante millions de Français. Les choses ne seront plus comme avant.

Au Québec, 2007 apparaît pour les blogues comme un Mai 68 ou un Printemps de Prague. Ce n’est que sur les blogues que de vraies idées sont émises et même les journaux se sont mis en mode blogue. On le noterait moins, si un Grand Projet était soumis aux électeurs, mais, dans le cadre d’élections dont la signifiance reste hermétique, c’est le travail de déboulonnage des programmes mal ficelés et des candidats mal choisis que font les blogues qui est mis en évidence.

Pas plus que celle de Bayrou en France, les médias bien-pensants n’arrivent plus au Québec, à briser la dynamique de Dumont, la dynamique de l’imprévisible. Il est clair sur les blogues, là où elle peut le dire en ses propres mots, que la population ne demande pas vraiment à Dumont un programme, seulement de la débarrasser des autres partis !

Simultanément, deux « petits partis », que les médias traditionnels font tout pour négliger, conservent néanmoins, grâce aux blogues, les faveurs de 12% de l’électorat. C’est un niveau d’appui inusité. Une autre situation imprévisible, car ils se parlent par blogues interposés et vont choisir, in extremis, eux et d’autres avec eux, entre un ralliement stratégique aux partis qui peuvent gagner… et le plaisir de manifester jusqu’au bout leur ras-le-bol.

Dans le premier cas, leur appui fondra, mais, dans le second, il pourra bondir à 15, voire à 18%, déterminant en ce cas le vainqueur par l’absurde, puisque privant de leurs votes le parti qui aurait été leur second choix, leur défection pourra avoir été le facteur déterminant de la victoire de celui dont ils n’auraient voulu à aucun prix.!

Les blogues rendent probable l’imprévisible. Même si l’ADQ ne gagne pas ce scrutin et si les « petits partis » ne prennent pas 15 % du vote populaire, un scrutin fédéral, dans quelques mois, va venir donner un deuxième souffle au phénomène des blogues. Les gens se parlent. Ce que les gens pensent devient important. Les choses ne seront plus jamais comme avant.

Pierre JC Allard

ADDENDUM:   Cet article a été écrit le 3 mars 2007.   Le 3 mai 2011 est venu sa confirmation

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