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Jacques Attali, avec sa cautèle habituelle, remet en question la démocratie que nous avons.
Blasphématoire. Mais voyant les fruits que notre démocratie nous donne, est-il si téméraire de se demander ce que nous ferions sans elle ? N’y a-t-il pas ‘autre chose‘ APRES la démocratie ?
Après ? J’aurais pu dire aussi « en attendant », la démocratie, car il n’y aura sans doute pas plus de fin au désir de ceux qui sont gouvernés de participer à leur gouvernance, qu’il n’y aura de fin à cette l’Histoire, dont on nous a prématurément annoncé qu’elle était révolue… La démocratie, ça part et ça revient, cyclique comme les bourgeons et les feuilles mortes.
J’aurais pu. … Mais c’eût été trompeur. C’eût été, disons « poétique », comme parler de l’herbe qui pousse lorsque les enfants meurent. La réalité, c’est l’automne. C’est qu’il n’y a plus de vraie démocratie et qu’il ne faut pas compter qu’il y en aura avant quelque temps. La saison ne s’y prête pas…
Pourquoi ? D’abord, parce que le monde s’est « technicisé ». Le monde est devenu une grosse machine à produire et à obtenir des résultats… quand on sait comment opérer cette machine et tous ses éléments. À tous les niveaux, quel que soit son rôle formel dans l’organigramme, celui qui commande est celui qui sait, celui qui à la compétence de faire fonctionner les choses … Dire que le pouvoir doit appartenir à un vaporeuse entité collective de quidams qui n’y connaissent rien n’est donc pas dans le zeitgeist actuel…
On peut réunir tous les experts en tout du monde entier – et à plus forte raison ceux qui ne le sont en rien – et les consulter ad nauseam sur la façon de gérer l’éducation, la santé, les finances et la défense nationale; mais, en bout de piste, on sait bien que rien ne fonctionnera correctement que ce qui aura été mis en place et sera maintenu par ceux qui s’y connaissent… et eux seuls.
On sait bien que ce qui, au contraire, l’aura été en obéissant à ceux qui ne savent pas – aient-t-ils été élus démocratiquement – ne fonctionnera pas, ou pire, atteindra des objectifs occultes, fonctionnant au profit de ceux dont la compétence consiste à manipuler « ceux qui savent », pour détourner toute action de sa finalité propre et en faire un outil de LEURS objectifs personnels. Ce talent pour détourner est aussi une compétence; c’est celle qu’on dit politique, qui est bien réelle, mais pas toujours altruiste.
En démocratie, cette compétence politique prétend s’imposer comme supérieure a toute autre compétence. Il en naît inévitablement de l’inefficacité et des distorsions, car cette compétence ne crée pas de richesse réelle : elle se borne à la mouvoir. Celui qui a cette compétence politique ne peut donc mieux la rentabiliser qu’en étant au service de ceux qui ont déjà la richesse.
Depuis deux générations, les détenteurs de capitaux ont pris les politiciens à leur service. L’explosion des connaissances et l’augmentation de productivité qu’a apportées le progrès n’ont donc servi à accroître que la « richesse » des détenteurs de capitaux. Richesse factice, d’ailleurs, car la limite apparaît vite des biens et services réels que l’argent peut acquérir. Les riches vite repus de consommation, leur but et l’activité des politiciens, banquiers et autres « experts en détournement » à leur solde deviennent par défaut un pur jeu de pouvoir.
Ce « Jeu du détournement » de la richesse – de l’action et de la production vers sa simple possession et la spéculation – s’est imposé comme le seul jeu de société qui en vaille la peine; sa maîtrise est considéré comme le plus important des savoirs …et ce jeu des uns est devenu plus important que la vie des autres.
Pendant ce temps, ceux qui savent « autre chose » que la politique n’ont plus voix au chapitre au palier de la décision, mais seulement de l’exécution… et sous étroite surveillance. La richesse UTILE n’augmente plus, mais les inégalités, elles, augmentent toujours.
Les temps ne sont pas bons pour la démocratie. Non seulement parce que le monde s’est « technicisé », mais aussi parce que la technique du détournement des objectifs sociaux a été de celles qui ont fait le plus de progrès. Ceux qui en sont devenus les experts contrôlent parfaitement l’outil démocratique. L’éducation d’abord, l’information par les médias ensuite, donnent au citoyen lambda sa pensée correcte.
Une pensée qui inclut même une petite dose de saine contestation. Il est fortement encouragé de protester futilement dans les rues, où l’on pourra corriger vos déviances velléitaires à coup de trique ; il est mal vu, cependant, de s’embusquer avec une arme et d’abattre « traîtreusement » l’un ou l’autre de ceux qui veulent penser pour vous…
Dosant savamment l’information que distillent les médias et disposant des avancées de la psychosociologie – nous sommes à des années-lumière de Bernays et Goebbels – les systèmes démocratiques mis en place peuvent désormais faire élire n’importe qui, n’importe quand, et ce sera toujours le « peuple » qui aura choisi celui qui lui fera voir 6 doigts…
Des techniques permettent aussi, maintenant, de sondages en sondages, de savoir EXACTEMENT jusqu’où l’on peut aller dans la manipulation du comportement humain face à la richesse et à son ombre, la monnaie Les petits rats blancs vont où l’on veut. La démocratie peut jouer le rôle sédatif du violon sur le chemin des douches… Pourquoi violer les foules quand on peut si facilement les séduire ? N’avez vous pas VU, de vos yeux VU, Hollande plus beau que Sarkozy ? Six doigts, comme Smith dans 1984… Notre démocratie est un leurre.
Une vraie participation du peuple à sa gouvernance est-elle possible ? Certes, et elle viendra, car c’est un désir humain qui ne disparaîtra pas. À long terme, la démocratie reviendra. En fait, on ira au-delà de la démocratie. Pour presque tout, le CONSENSUS s’imposera, puisque la complémentarité qu’exige une société de haute technicité rendra un large consensus incontournable. Quand tout le monde est indispensable, il faut bien tenir compte de l’avis de tous …
À court terme, toutefois, ce n’est pas un piano nobile libertaire sur un socle démocratique qui remplacera notre démocratie discréditée. Mieux vaut prévoir une phase « néo-paternalisme » assumée, une gouvernance éclairée « à la Platon », prenant la forme d’une dictature de la compétence. On n’élit déjà pas nos généraux, ni nos banquiers, pas plus que nos médecins ou nos ingénieurs, nos chercheurs ou les pilotes de ligne. Comment peut-on croire que des politiciens élus pour leur charisme ou leur roublardise sauraient nous gouverner et nous voudraient vraiment du bien ?
Dans une société complexe où l’efficacité est la première vertu, la compétence doit être reine, et ce n’est pas une option d’avenir de penser en soumettre les diktats aux caprices et aux magouilles de politiciens dont la seule compétence aura été de convaincre d’autres ignares de la pertinence de leurs élucubrations. Dans une société technique évoluée, on voit mieux qu’à chaque problème correspond UNE solution optimale et une seule. Cette solution doit être identifiée et elle doit s’appliquer sans ergoter.
« Optimale » au vu des critères que choisit une société, bien sûr. Il faut donc garder de la démocratie une intervention du peuple au palier du choix de ces critères. Mais il doit intervenir par des choix binaires simples, consensuels ; des vetos ou des acquiescements référendaires qui « plébiscitent »…
Si on est confronté à un clivage sérieux au sein de la population, mieux vaut s’abstenir d’agir, car les faits nouveaux qu’apportera l’évolution de la situation détermineront bientôt une majorité plus claire… et des décisions plus « éclairées ». Quand on a un consensus raisonnable, c’est alors le travail des experts -de « ceux qui savent » – de faire en sorte que la solution choisie soit appliquée sans plus de palabres. Pendant qu’ils y travaillent, il faut les tenir indemnes de la critique oiseuve et de la corruption. C’est là la clef.
La démocratie, aujourd’hui, est devenue un incessant grenouillage pour finasser, changer le sens des mots et la pondération des facteurs, créer des dilemmes talmudiques, avant et pendant l’exécution des projets de société. On vise ainsi à favoriser les intérêts personnels de tous ceux qui y participent et qui y voient alors une rente de situation, plutôt qu’un mandat sacré qu’on leur a confié et qu’ils devraient remplir. Il faut se défaire de cette démocratie qui n’est que prétexte à enfumage et corruption.
Ce faisant, on aura gardé l’essence de la démocratie, qui est de faire ce que le peuple veut. On aura seulement renoncé à faire de la politique un sport de combat ou d’astuce rivalisant avec le foot pour contrer la morosité d’une société qui a perdu ses valeurs.
Un jour, plus tard, quand chacun aura appris et saura mieux, on pourra consulter la population sur des aspects plus détaillés des objectifs à atteindre. Mais on évitera alors, encore et toujours, le piège populiste de prétendre donner un droit de regard sur l’exécution des projets à ceux qui, n’y connaissant rien, peuvent être trop facilement persuadés de vendre pour un plat de lentilles un droit d’aînesse dont ils ne soupçonnent pas la valeur.
Pierre JC Allard