Nouvelle Societe

20-01-14

Tome 4: Le Travail et l’Argent

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tome4

NOUVELLE SOCIETE

Tome 4 –  Le Travail et l’Argent

Pierre JC Allard

 

 AVANT-PROPOS

Les trois (3) premiers volumes de cette collection NS ont traité de la production. La production est  la pierre d’assise d’une Nouvelle Société, puisque ce qui caractérise celle-ci  est l’abondance succédant aux millénaires de pénurie et que la production EST la richesse.  Nous avons vu que tout est là, aujourd’hui, pour l’avènement d’un nouveau paradigme: un monde privilégiant la collaboration  plutôt que l’affrontement.  Pourquoi la paix n’a-t-elle donc pas encore partout replacé la guerre, puisque l’abondance est là ? Parce que le changement dans les esprits n’a pas rejoint celui de notre rapport à la nature.

Les esprits se colmatent dans le déni de l’abondance, car voir résolus   les  problèmes quotidiens  et matériels  de la vie  force  à une réflexion  sur ceux, autrement plus complexes, qui transcendent la matière et l’aujourd’hui.  À la vraie pauvreté a donc succédé la PEUR de la pauvreté. L’anxiété et inquiétudes ont remplacé les vraies menaces de pénurie. La terreur de l’inconnu et d’une perte de sens s’est traduite dans un recul shakespearien:  le choix  de Hamlet, des « maux dont nous  souffrons plutôt que de ceux dont nous ignorons tout ».

L’indigence et les pénuries vaincues, on continue le combat contre leurs ombres; on prolonge VOLONTAIREMENT  la misère, pour ne pas être privé du défi  gratifiant de lutter contre elles. On se complait à répéter les  pirouettes qu’on a maîtrisées  et on retarde le saut périlleux vers la raison d’être. Les plus angoissés deviennent des psychopathes, affamés de pouvoir et d’une richesse devenue exclusivement ostentatoire; les autres s’étourdissent et feignent la satisfaction, pour que ne soient pas aussi privés de sens leurs efforts déjà consentis.     Chacun choisit son camp, entre une ambition vide, dérisoire, et une docilité, servile qui est un repli sur l’insignifiance.

Entre nous et le dépassement des souffrances et des conflits liés aux pénuries de l’humanité pré-industrielle, il y a deux (2) obstacles à franchir qui sont deux (2) redistributions à faire: 1)  une partage plus équitable du travail  – qui est l’expression par le FAIRE de notre relation active à la nature – et 2) un partage plus équitable de l’AVOIR,  qui est le symbole de notre maitrise acquise sur cette nature, mais aussi, hélas, de notre volonté de maitrise sur les autres qui est la manifestation la plus évidente de l’égoïsme qui est  le mal en nous.

C’est de ces deux  (2) partages, partage du travail et partage de la richesse, que nous parlons dans ce volume. Je rappelle encore une fois que cette collection  n’a pas la prétention apporter des réponses définitives, mais de poser les bones question en termes que tout le  onde peut comprendre, de montrer des pistes … et de lancer  la reflexion dont pourra sortir une Nouvelle Société quand chacun aura apporté sa pierre au chantier.

***

LE TRAVAIL

01 Le travail en crise

Rien n’est plus important que le travail, car le projet prioritaire de tout individu est de satisfaire ses besoins et ses desirs, en transformant ce qui est en ce qu’il voudrait qui soit. C’est ce qu’on appelle produire et le moyen d’y parvenir est le travail.

On peut dire à juste titre que les individus s’assemblent d’abord en société pour assurer leur défense en commun, mais, dès qu’une société existe, c’est produire qui devient la priorité de tous les instants et c’est la division du travail que permet la vie en société qui devient le meilleur argument pour qu’on accepte les contraintes que celle-ci exige. La place du travail dans la société est primordiale.

Le travail est à la fois la clef de la production et donc de l’activité économique et la pierre d’assise de la structure sociale, puisqu’il est la forme privilégiée de distribution du revenu qui permet la consommation consensuellede cette production. Or, ajourd’hui, le travail est en crise. Aujourd’hui, nous avons une crise financière qui fait les manchettes, mais, derrière cette crise qui met en interaction des symboles, il y a le problème réel d’une production mésadaptée aux besoins et celui, encore plus grave, de l’exclusion systématique d’une part croissante de la main-d’oeuvre de toute participation significative à la satisfaction des besoins de l’humanité.

Une exclusion de la production qui sert à justifier son exclusion la consommation équitable du produit. Son exclusion concomitante, aussi, tout processus de décision et donc de tout engagement profond envers l’évolution et le développement de cette société dont cette main-d’œuvre laissée oisive est aliénée. C’est cette cette aliénation qui est le problème prioritaire auquel la société contemporaine doit faire face.

Cette aliénation, dans les pays développés, prend la forme emblématique du chômage. Dans les pays sous-développés ou en voie de développement, la non-participation à l’effort productif, prend d’autres noms et d’autres formes et exige des mesures remédiales tout aussi radicales, mais des mesures différentes dont nous parlerons ailleurs. Dans la présente section, c’est une solution au problème pour les pays développés de la remise au travail de tous leurs sociétaires que nous chercherons. C’est la clef d’un avenir de prospérité et de paix.

La solution au problème de la remise au travail passe d’abord par la compréhension, de la distinction entre travail et emploi. Le travail, c’est un effort qu’on consent pour obtenir un résultat. Aussi longtemps que tous nos besoins ne seront pas comblés et que tous nos désirs ne seront pas satisfaits, il y aura toujours du travail à accomplir, Dite que l’on manque de travail est une absurdité. Le problème actuel n’est pas que nous manquions de travail, mais que nous manquions d’emplois, ce qui n’est pas du tout la même chose.

L’emploi n’est qu’une façon de travailler; c’est celle qui consiste à exécuter certaines tâches, ou à s’acquitter de certaines fonctions, en considération d’un salaire déterminé. Il y a d’autres façons de travailler et d’autres modes de rémunération. Avant la révolution industrielle, l’emploi comme nous le connaissons aujourd’hui, n’existait guère que pour les domestiques qu’on « engageait » – et qui recevaient leurs « gages » -et pour les soldats, qui touchaient leur « solde ». Serfs et artisans, commerçants, troubadours, la masse de la main-d’oeuvre était constituée de travailleurs autonomes. Ceux-ci manquaient souvent de revenus, mais jamais de travail.

C’est avec l’industrialisation que la majorité des travailleurs ont cessé d’être autonomes pour devenir dépendants d’une machine sans laquelle leurs efforts n’avaient plus qu’une valeur dérisoire. Dans cette situation de dépendance du capital fixe, l’emploi à salaire fixe apparaissait comme un progrès social, remplaçant la rémunération à la pièce qu’on pouvait dire inhumaine, même si des cyniques pourraient penser que cette dernière a surtout été mise au rancart parce qu’elle avait le tort d’être incompatible avec le travail à la chaîne…

L’emploi – le « job » – est la meilleure façon de travailler à la chaîne, quand on peut diviser le travail en ses éléments constituants les plus simples et superviser l’exécution de chaque élément en mesurant son output immédiat. Pour fabriquer des souliers ou des jujubes, par exemple, le « job » est imbattable. Dans le travail à la chaîne, chaque travailleur, comme une machine, a son « programme » qui est son « job »; le système agence l’output de chaque travailleur et tout le monde trouve, au bout de la chaîne, chaussure à son pied et des jujubes à son goût. C’est la façon de travailler qui correspond le mieux à une production industrielle, quand le travailleur exécute du « travail en miettes ».

Mais aujourd’hui, nous n’en sommes plus là. Maintenant, ce sont de vraies machines qui font – et qui feront de plus en plus – ce que faisaient ces ouvriers industriels de jadis qu’on traitait comme des machines. Le problème, c’est que, pour le travail qui exige encore une intervention humaine directe dans une production tertiaire, l’emploi n’est simplement pas la meilleure structure d’encadrement et de rémunération. D’autres façons de travailler correspondent mieux aux exigences des sociétés postindustrielles.

Les emplois sont donc en voie de disparition. Les emplois disparaissent parce qu’ils sont devenus une forme désuète d’encadrement du travail.

Les emplois disparaissent? Où est la surprise? Il y a deux siècles qu’on remplace des travailleurs par des machines ! La crise que nous vivons n’est pas une surprise, elle est simplement la phase ultime de la révolution industrielle.

Nous utilisons des machines de plus en plus performantes et la conséquence pour la main-d’oeuvre – discutées ad nauseam depuis des décennies! – était inévitable et parfaitement prévisible : une même main-d’œuvre allait produire de plus en plus… ou une production industrielle constante exigerait une main-d’oeuvre de plus en plus réduite.

Parler de récession et de conjoncture pour expliquer le chômage actuel est donc un pieux mensonge. Il faut d’abord accepter cette évidence d’une incontournable baisse de la demande de travail quand un seuil de satisfaction est atteint. Ensuite, il faut en tirer les conséquence et faire ce qu’il faut faire. Après, on devra très certainement s’en réjouir…

02 Le défi de la productivité

La productivité accrue qui est venue avec l’industrialisation a conduit peu à peu à une saturation de la demande effective dans toutes les branches du secteur de production secondaire au fur et à mesure qu’elles ont pu être mécanisées. Un seuil important a été atteint, il y a une cinquantaine d’années, quand le pourcentage de la main-d’œuvre dans le secteur secondaire a plafonné et a commencé à décroître.

C’est un signal qui semble anodin, mais qui annonçait pourtant clairement que nous entrions dans la phase terminale de l’industrialisation. Avant 1955, il s’agissait de produire plus pour satisfaire à une carence de biens de consommation; plus de machines ne voulait donc pas dire moins de travailleurs, mais plus de production. Mais, en 1955, aux USA – puis dans tous les autres pays industrialisés – le pourcentage de la main-d’oeuvre employée dans le secteur industriel a commencé à décliner…

On avait atteint le point de saturation de la demande effective, ce qui signifiait que, globalement, les baisses de prix découlant d’une mécanisation plus poussée ne pouvaient plus rendre les produits accessibles à une nombre suffisant de nouveaux consommateurs pour justifier que l’on garde au travail tous les travailleurs en place pour produire au niveau de productivité accrue que permettaient les nouveaux équipements.

La demande effective pour les produits manufacturés allait désormais augmenter plus lentement que la productivité-machine, de sorte qu’il faudrait de moins en moins de travailleurs pour produire les biens industriels que nous choisirions de consommer. Les travailleurs devraient dorénavant produire autre chose que des biens industriels, ou ils ne travailleraient pas. Ce n’est pas une hypothèse, mais un fait. En 1955, il y avait 54% de la main-d’oeuvre dans le secteur industriel aux USA; aujourd’hui, en 2009,il en reste 13 %… et le reste du monde suit.

Une baisse des emplois dans le secteur industriel n’a pas à signifier une baisse de production. Au contraire, l’objectif peut être de produire plus de biens industriels que jamais avec de moins en moins de travailleurs. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, augmenter la demande pour les biens industriels exige simplement d’augmenter l’équipement.

En fait, nous ne pouvons même pas sérieusement penser qu’une augmentation de la demande des biens industriels que nous consommons pourrait exiger de mettre au travail un seul travailleur de plus. Il y aura de moins en moins d’emplois industriels, jusqu’à ce qu’il n’en reste presque plus. C’est ça, la réalité. Mais, comme nous le verrons, ce « presque » est crucial….

Il y aura normalement de plus en plus de travailleurs industriels en surnombre. Nous n’y pouvons strictement rien changer et, surtout, nous ne DEVONS rien y changer. Cette évolution n’est pas un malheur, c’est l’inévitable verso d’un phénomène dont le recto est la productivité accrue et donc l’enrichissement collectif. C’est la production que nous voulons, pas le labeur; souvenons-nous que le travail n’est pas un bien en soi: c’est la Première Malédiction!

Nous ne devons pas freiner l’exode des travailleurs hors du secteur industriel. Il y sont encore trop nombreux pour que nous puissions produire au meilleur coût et en retirer cet enrichissement optimal de notre société que nous espérons et qui dépend essentiellement des gains de productivité. Cette migration des travailleurs,d’ailleurs n’est pas sans précédent.

Au début du XXe siècle, en Amérique du Nord, on a mécanisé l’agriculture quand d’autres ne le faisaient pas. Dès 1950, Wassilli Leontieff constatait que ce qui faisait de l’économie des USA – et de très loin à l’époque! – la plus riche du monde, ce n’était pas tant ses industries de pointe – même en pays pauvres, ces industries sont productives – que l’incomparable productivité de son agriculture! Aujourd’hui, il ne reste pas en Amérique du Nord 3 % de la main-d’oeuvre dans le secteur agricole et on exporte des surplus ! Et c’est encore surtout pour ça, qu’on y est riche…

Nous ne le resterons que si nous acceptons maintenant, sans retard, un accroissement de productivité dans le secteur industriel comparable à celui que nous avons obtenu dans le secteur agricole, il y a trois générations. Nous n’avons pas le pouvoir d’empêcher l’évolution des techniques de production, ni donc vraiment celui de stopper la migration de la main-d’oeuvre hors des usines. Seulement celui d’accélérer ou de freiner cet exode, un qui correspond à deux (2) scénarios.

Le premier, c’est que les industries s’équipent au plus tôt des automates programmables les plus modernes, licencient dans l’ordre l’excédent de main-d’oeuvre industrielle et produisent de la façon la plus efficace. Dès que nous supprimerons les contraintes aux licenciements, il y aura évidemment une chute brutale de la main-d’oeuvre dans le secteur industriel. Il n’y restera plus alors 10% des travailleurs, mais, guidée dans sa transformation, cette main-d’œuvre produira autre chose.

Il en résultera un essor de la productivité et un enrichissement collectif. Les pays qui prendront cette voie auront une longueur d’avance sur la concurrence internationale et deviendront plus riches. Mais si nous persistons à freiner le passage au tertiaire, ce sera à grand risque pour notre avenir.

Le deuxième scénario, c’est celui des pays récalcitrants où, sous prétexte de préserver des emplois, on ne permettra pas cette mise à jour des équipements. Leurs industries, équipées de façon de plus en plus désuète – et devant nécessairement payer des salaires conformes à leur standard de vie acquis – ne pourront pas concurrencer la production à vil salaire des pays du tiers-monde, ni celle des pays développés qui se seront munis des équipements adéquats. Leur production industrielle, devenue non compétitive, périclitera.

Leur main-d’oeuvre industrielle baissera de toute façon sous la barre des 10%, mais sans l’apport concomitant d’une demande satisfaite pour des services qui aurait permis de financer le recyclage des travailleurs en surplus, hors du secteur industriel où ils sont un obstacle à la productivité et vers des activités où ils seraient utiles. Les récalcitrants cesseront d’être les « riches » et prendront leur place parmi les « pauvres » de la planète.

03 La haute technologie et le havre du tertiaire

Il y en a encore aujourd’hui des gens pour souhaiter  qu’on cherche la solution au problème du chômage dans une « création d’emplois » dans le secteur secondaire, dans le domaine de la « haute technologie » et des « secteurs de pointe ».  C’est une aberration.

C’est un non-sens de penser qu’on va utiliser une main-d’oeuvre abondante dans l’industrie de pointe, puisque le propre de la haute technologie est justement qu’elle n’utilise pas  une main-d’oeuvre abondante. Elle est introduite précisément pour qu’on n’ait PAS à utiliser une main-d’oeuvre abondante !

Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas développer la haute technologie dans toute la mesure du possible, c’est-à-dire à la pleine mesure des investissements qu’on peut y affecter. Un pays doit le faire pour s’assurer une production à prix concurrentiel, pour rester dans la course à la productivité et maintenir sa place comme pays industriel. Ce faisant, il créera certes quelques emplois ; mais il ne doit pas le faire sous prétexte de créer ces emplois, car il en crée bien peu de cette façon…

Prenons l’exemple de l’Aluminerie Alouette, mise en place au Québec dans les années « 80, qui a coûté 1,6 milliard de dollars de l‘époque et créé 700 emplois permanents. Pour justifier cet investissement, on a laissé croire à la population que ce genre d’initiatives était la solution miracle pour remettre la main-d’œuvre au travail… Une absurdité, car avec plus de 2 millions de dollars d’investissement par poste de travail créé, comprend-t-on qu’il aurait fallu investir 20 fois le PIB du Québec pour remettre les sans-travail du Québec au travail dans cette « haute technologie » ?

Même en posant au départ l’hypothèse saugrenue que, cet investissement consenti, l’intensité-capital de la production n’augmenterait plus, on ne pouvait espérer  y arriver avant 100 ans. Un siècle, durant lequel il aurait fallu maintenir des niveaux inouïs d’épargne ou d’importation de capital et exporter presque totalement une production pour laquelle il n’existerait jamais une demande domestique suffisante…

Sous le masque d’un investissement en haute technologie, construire Alouette était une politique de pays tiers-mondiste exportant à son plus brut une ressource primaire, ici une capacité hydroélectrique. Sous prétexte de « création d’emplois », on bradait une ressource dont la valeur dépassait celle de tous les salaires qui seraient jamais payés à l’ensemble des travailleurs de l’entreprise. Bien sûr, personne n’a pensé sérieusement à multiplier les expériences du type Alouette et à en faire une stratégie globale de développement. Mais on l’a laissé supposer et ce mensonge n’était pas du tout innocent… En fait, seule une migration massive vers le secteur tertiaire permet de garder des emplois….  C’est l’évidente solution.

Presque toute la main-d’œuvre, en effet,  quitte bien le secondaire et passe au tertiaire. Non seulement il n’y a pas d’espoir d’une résurgence de l’emploi dans le secteur industriel, mais même le niveau actuel d’emploi n’y est maintenu que par des contraintes artificielles qui sont nuisibles. Subventions arbitraires, contraintes aux licenciement, fabrication  de l’inutile et du factice, souvent du dangereux…  Si on ne facilite pas la migration en bon ordre des travailleurs industriels vers de nouveaux défis dans le tertiaire, c’est en panique qu’on on risque de les voir presque tous chassés hors des usines où ils auront de moins en moins leur place.

C’est le choix à choix à faire, Il y a maintenant soixante-dix ans que la main-d’oeuvre abandonne le secteur industriel et migre vers les services.   Mais ce hâvre est-il sûr ? Moins qu’on  ne le pense et  il y a des questions à regler… D’abord, on a tort d’y voir une panacée pour la création d’emplois, car tous les travailleurs dont le travail est répétitif sont en sursis de chômage. Même dans le secteur tertiaire,  il y a toute une classe d’activités répétitives qui sont maintenant assimilables, pour les fins de l’emploi, à ces tâches du secteur secondaire qu’on confie aux machines. Ces activités ne seront plus une source d’emplois. Avec les progrès de l’informatique,  tous ceux dont le travail n’est qu’application d’une procédure immuable, ou qui vivent de faire des déductions logiques à partir de prémisses parfaitement connues, sont  aussi en sursis de chômage: la machine répète, applique et déduit plus vite que quiconque et elle ne fait pas d’erreurs.

En sursis aussi, tous ceux qui servent uniquement de courroies de transmission dans la chaîne qui va des décideurs aux exécutants , puisque, d’une part, l’exécutant est plus instruit, mieux formé, et travaille désormais de plus en plus sans supervision constante au simple su des objectifs.  Parce que, d’autre part, le contrôle du travail par l’examen des résultats est maintenant facilité par l’ordinateur. Le cadre intermédiaire est donc , comme le travailleur à la chaîne, une espèce en voie d’extinction.

Il ne faut pas présumer qu’on créera toujours des emplois dans le secteur tertiaire. Pour beaucoup d’activités du secteur tertiaire, la machine peut remplacer le travailleur.  Il y aura des tempêtes dans le havre du tertiaire. Il y aura toujours du travail dans le secteur des services – qui devient d’ailleurs par défaut la catégorie large de convergence de toutes les activités qui ne sont pas indiscutablement « industrielles » – mais, comme nous le verrons plus loin, ce travail ne prendra plus toujours la forme d’un EMPLOI….  Car quand une intervention humaine est nécessaire ou souhaitable, voulons-nous vraiment que ce soit des salariés qui nous les fournissent ? Hors de la fonction publique, il ne pourrait que, tous secteurs confondus, on ne crée plus que bien peu d’emplois dans une Nouvelle société.

04 L’inprogrammable

Pour les fins de l’emploi, la vraie distinction utile,  n’est plus entre les secteurs primaire, secondaire et tertiaire; il faut plutôt considérer les activités selon qu’elles sont ou non « programmables » et susceptibles  ou non d’être exécutées par des machines, des ordinateurs, des automates programmables.

Il y a, même au tertiaire,  des activités dont les machines, ordinateurs et automates, peuvent s’acquitter et dont on peut dire qu’elles sont  déjà « programmées »… et il y a les autres. Or,  Il n’y a qu’un un seul critère indiscutable pour décider de la programmation d’une tâche : sa programmabilité, absolue ou relative.  Le reste est affaire de temps.

Il y a aujourd’hui des activités dont la programmation est déja techniquement un fait accompli, mais pour lesquelles, pour des motifs économiques, on laisse encore des travailleurs s’agiter  dans une concurrence impossible avec la machine, en mettant a profit les écarts de niveaux de vie entre régions et pays.  On le fait sous divers  prétextes, dont le plus convaincant – même si moralement abject – est que les salaires que touchent les travailleurs  sont si bas que l’investissement en capital fixe  pour les remplacer par des machines n’est pas rentable pour le producteur.   Mais que veut dire « rentable » ?

Il est vrai que parfois, dans l’état actuel de la technologie et au coût actuel de la main-d’oeuvre qualifiée pour les exécuter,  la valeur ajoutée qui en découle ne justifie pas encore pour l’investisseur le coût d’implantation d’une machine. Mais  la société y perd en production et la production d ebiens ou services est la seule  est la seule VRAIE richesse matérielle qui s »ajoute a ce que le nature nous sonne déjà. Le reste est illusions ou arnaque.

On comprend que c’est une situation en équilibre instable, en constante évolution… et dans un seul sens.  Puisque nos technologies s’améliorent chaque jour et que le coût moyen du travail augmente constamment en fonction de notre enrichissement collectif, nous devons accepter que, tôt ou tard, la  contrainte de la demande effective fera disparaitre les emplois  qui regroupent ces tâches qui programmables, mais ne sont pas non encore  programmées  dans les faits.

Ces emplois, du tertiaire comme du secondaire  seront adaptées, programmées et confiées à des machines.  Il est évident que, même dans le tiers-monde le plus pauvre, on doit s’attendre à ce que l’offre comme la demande pour ces emplois périclite… et il n’y aura pas de rémission.   Il faudra  escorter hors de leurs emplois et vers un autre travail utile ceux qui occupent ces fonctions.  Ces travailleurs sont aussi en sursis de ne plus travailler.

Ce qui nous crée un dilemme, car on ne peut pas aujourd’hui négliger d’affecter des ressources humaines à ces activités; nous y serons tenus jusqu’à ce que la programmation en devienne rentable, ce qui, pour certaines d’entre elles, prendra quelque temps. Mais il ne faut pas rêver que l’on fera l‘économie de cette transformation. Inéluctablement, leur programmation viendra et contribuera aussi à la disparition progressive des emplois. Une politique de main-d’oeuvre doit donc désormais tenir compte de cette imminence de la programmation des diverses tâches qui constituent la maquette de production des services, tout autant que de celles qui constituent la maquette de production des biens.  Pour chaque tâche, métier, profession, Il faut prévoir  aussi la durée du sursis…

Quels travailleurs ne sont PAS en sursis ?  Par-delà tout ce que l’on sait qui sera programmé, il y a ce qui nous semble ne devoir jamais l’être :  le domaine des activités « inprogrammables ». Certaines  activités, nous apparaissent aujourd’hui  totalement « inprogrammables », parce qu’elles exigent de la créativité, de l’initiative ou le talent d’établir et de maintenir une communication interpersonnelle efficace et gratifiante, ce qu’une machine ne peut pas faire. Du moins nous le croyons…   Ce sont celles qui nous intéressent le plus.

Ce domaine semble le havre idéal pour la main-d’œuvre. Peut-on établir notre politique de main-d’œuvre sur cette prémisse ? Les activités « inprogrammables » constituent-elles la vraie part réservée au travail humain dans le processus de production ? Ce serait suffisant: il y a certainement assez de désirs humains dont la satisfaction exige l’exécution de tâches qui nous paraissent  « inprogrammables », pour garder tout le monde au travail jusqu’à la fin des temps! Mais il faut tout de même se garder une double réserve.

D’abord, les postes de travail actuels qu’on dit « inprogrammables » sont en fait des agglomérats de tâches, dont certaines exigent des caractéristiques humaines, mais dont les autres sont souvent éminemment programmables. Ces postes vont être en constante mutation au cours des prochaines années, au fil des avancées de la technologie, et il est bien hasardeux de prédire ce qui restera d’inprogrammable quand la dissection aura eu lieu. Plus on progressera, plus petite la part qui en restera pour l’humain.

Ensuite, l’inprogrammable va certes être la source de la demande de travail, mais ce travail se fera-t-il dans le cadre d’un emploi? Rien n’est moins sûr. Qu’une activité soit inprogrammable, est une réalité technique objective; mais toute fonction à exercer ou toute tâche à remplir n’est pas ipso facto une invitation à créer un emploi. L’emploi, nous l’avons dit, n’est qu’une des modalités du travail et ce ne sera sans doute pas celle que  privilégiera une société tertiaire.

Pour régler la crise actuelle, il ne faut donc pas penser « chômage » et vouloir créer des emplois ; il faut penser production et voir le travail comme une contrainte, comme LA malédiction  biblique qui est fâcheusement un intrant nécessaire à la production. Il ne faut plus vouloir « produire pour travailler », mais « travailler pour produire » et cesser de prétendre qu’on accomplit une mission enrichissante pour la société, quand on réussit à faire exécuter par deux ou plusieurs travailleurs une tâche pour laquelle un seul suffirait.

05 Le tout-précarisé

Quand on veut vraiment travailler pour produire, on programme tout ce qui peut être programmé. On affecte les ressources humaines à la satisfaction de ce qui ne peut pa l’être et on met en place une structure de formation qui les capacitera de façon efficace. Il y a peu de postes de travail dans le système de production qui ne puissent bénéficier de la programmation de certaines de leurs tâches.

Dans le secteur industriel « taylorisé », dont presque toute relation directe producteur-client avait été extirpée au départ, les emplois disparaissent donc bien vite quand le rapport des coûts machine/main-d’oeuvre atteint le seuil qui justifie leur programmation. La programmation des emplois du secteur des services, au contraire, après que toutes les composantes programmables en ont été programmées, laisse presque toujours place à l’évaluation d’une composante inprogrammable résiduelle qui peut encore justifier l’existence de postes de travail pour des humains. Il y a donc souvent des choix à faire.

Parfois, on choisit de croire que la composante créative, décisionnelle ou relationnelle – et donc « humaine » – du poste est sans importance. C’est ce qu’on fait actuellement pour les réceptionnistes, remplacées par des messageries vocales, ou comme on se prépare à le faire pour les caissier(e)s de banque, auquel cas les emplois disparaissent.

En d’autres cas, on choisit plutôt de croire que cette composante constitue l’essentiel même du service et on maintient l’emploi. La programmation d’une partie des tâches transforme alors la nature du poste, permettant soit une réduction de la main-d’oeuvre, soit une amélioration de la qualité des services rendus, soit une situation qui tienne un peu de ces deux options à la fois.

C’est de cette évaluation largement arbitraire de l’importance relative de la composante inprogrammable (humaine) des divers postes de travail que dépendra, dans l’avenir immédiat, la suppression ou le maintien, voire l’augmentation du nombre des emplois de services. C’est cette évaluation qui déterminera quels services seront améliorés par l’introduction de machines plus performantes… et lesquels seront abolis parce qu’on leur substituera un « service » totalement mécanisé. Cette évaluation est arbitraire, mais elle n’est pas aléatoire, ni surtout innocente; elle découle d’un rapport de forces. Ce rapport de force ne penche pas en faveur du maintien des emplois.

En théorie, c’est le consommateur qui décide en dernier ressort du nombre des emplois qui seront préservés. En effet, quand il existe au poste un aspect inprogrammable, c’est que la machine, par définition ne peut pas faire exactement ce que peut faire un être humain ; quand on lui offre un service mécanisé de substitution, le consommateur perd donc un élément du service qui lui était rendu par le travailleur. Il peut refuser d’accepter cette perte, si elle lui semble intolérable, ou il peut l’accepter et « faire avec », si le produit de substitution lui offre un rapport qualité/prix qui lui semble plus avantageux.

Le consommateur exprime ainsi, par ses décisions d’achat, le rapport de prix qu’il considère équitable entre le produit à composante humaine et le substitut mécanisé qu’on lui propose, déterminant de cette façon les parts de marché des deux options et donc combien de postes de travail « humains » seront maintenus. C’est ainsi qu’on a vu, il y a quelques décennies, les électroménagers se substituer presque totalement aux travailleurs domestiques.

C’est ainsi qu’on voit aujourd’hui des articles jetables remplacer des produits de qualité faits pour durer, lesquels sont meilleurs, mais coûtent désormais trop cher à réparer. C’est ainsi qu’on verra peut-être bientôt, sur le marché des services, beaucoup plus de « systèmes-experts » sur ordinateurs et bien moins de certains types de professionnels

C’est le consommateur qui choisit… en théorie. En pratique, toutefois, ce choix du consommateur n’intervient que si le service est rendu par des travailleurs autonomes, ou si des travailleurs autonomes sont au moins en concurrence avec des salariés pour le lui rendre. S’il s’agit d’un service rendu exclusivement par des salariés – des caissières et caissiers de banque, par exemple – l’employeur peut, sans grande contrainte, favoriser dès le départ l’option de la substitution et optimiser ainsi ses coûts et ses profits en limogeant ses employés; le consommateur n’aura mot à dire que si certaines banques se désolidarisent des autres et lui offrent une alternative, ce qui n’est pas probable. Où est le choix du consommateur? Envolé… Et les banques ne sont qu’un oligopole. Supposons que l’employeur soit un monopole…

Que peut faire le consommateur, si un monopole – le Ministère de la Santé aujourd’hui, le Ministère de l’Éducation demain – mettant à profit l’amélioration des techniques et des communications, juge que la composante inprogrammable de certains postes de travail ne justifie plus leur maintien et qu’un automate programmable peut très bien faire une « laparo »? Ou qu’un vidéodisque interactif peut enseigner la philosophie? Où serait le choix du consommateur? Pourtant, nous savons tous, intuitivement, que « prendre soin » et « éduquer » sont des fonctions essentiellement humaines, même si la transmission des connaissances et la distribution des remèdes peuvent être en grande partie programmées.

On peut dire de l’État-employeur qui limoge ses employés et qui cherche à optimiser ses coûts, plutôt que d’affecter les gains du progrès technologique à l’amélioration des services, qu’il ne remplit pas son rôle d’État. On peut même dire qu’il ne mérite pas non plus d’être un employeur. Mais là n’est pas le fond du problème. L’exemple bien d’actualité de l’État-employeur qui coupe dans les services de santé n’est qu’une illustration.

Le fond du problème, c’est que l’évaluation de l’opportunité de remplacer l’homme par la machine sera toujours arbitraire au palier des services, puisqu’il s’agira toujours, d’évaluer du qualitatif, de l’inquantifiable et que la décision sera toujours biaisée, quel que soit l’employeur, puisque l’intérêt de ce dernier sera toujours de favoriser la substitution de machines à des travailleurs, lesquels seront toujours relativement de plus en plus coûteux.

Même sans tenir compte d’une collusion, hélas facile, entre fournisseurs de services, l’employeur est toujours de trop dans la relation entre celui qui fournit un service et celui qui en bénéficie. il n’y a que des travailleurs autonomes pour garantir la permanence et la qualité des services.

06 Demain, les autonomes

L’employeur ne demande qu’à remplacer un travailleur par une machine. L’avenir des postes de travail qui sont des agrégats de tâches, programmables et inprogrammables – et des services biens réels qu’en retire la population – n’est assuré que quand ces postes sont confiés à des travailleurs autonomes.

Ceux-ci, quand ils sont confrontés à la programmation de certaines de leurs activités traditionnelles, ne choisissent pas, en effet, de se mettre eux-mêmes au rancart… Ils poursuivent plutôt leur activité, en mettant l’accent sur le volet inprogrammable de leur fonction et en offrant au consommateur un service de meilleure qualité. J’aurais aimé, pour ma part, au lieu de supprimer leurs postes, qu’on eut permis aux réceptionnistes de prendre le temps de mieux nous informer.

Non seulement les emplois sont vulnérables à la tendance normale des employeurs vers l’optimisation de leurs profits, au détriment des aspects qualitatifs des postes de travail en mutation, mais l’emploi est intrinsèquement une mauvaise structure d’encadrement pour le travail inprogrammable: le travail de créativité, d’initiative et de relations humaines. Quand la main-d’oeuvre a émigré vers le tertiaire, ce sont bien des emplois qu’on a créés pour l’encadrer; mais c’était là une solution de facilité: on ne peut pas superviser la production des services comme celle des jujubes. Si on cherche à le faire, on constate vite que l’essentiel nous échappe.

Parce que l’essentiel des services est la satisfaction d’un besoin qui est qualitatif, subjectif, intangible. On ne peut pas calculer l’apport de chaque professeur à l’éducation d’un enfant, ni l’impact d’un sourire sur la santé d’un patient. On ne peut pas mesurer l’effet de l’objection posée par un fonctionnaire à une proposition de projet, ni celui des critiques d’un vice-président Marketing au vice-président Finances d’une société. On ne peut pas gérer l’activité inprogrammable de l’employé, parce que l’essentiel, qui est la satisfaction finale du client, ne peut pas être capté par les moyens de contrôle traditionnels propres à l’emploi.

Le système des emplois, originellement mis en place pour mesurer et contrôler un output quantifiable dans le secteur industriel, est inadapté aux activités inprogrammables. Il leur est même pernicieux, en ce qu’il démotive le travailleur et le distrait de son objectif réel qui est de fournir un service, en lui imposant un contrôle quantitatif qui repose sur le temps qui passe et des papiers remplis, au risque que le temps passe alors à remplir des papiers.

Une relation tripartite – employeur, employé, utilisateur – nuit au contact efficace entre celui qui offre et celui qui reçoit le service, puisque l’employé fait face au dilemme de se consacrer prioritairement à sa tâche réelle qui est de servir l’utilisateur… ou à sa tâche formelle qui est de satisfaire aux indicateurs quantitatifs de performance à partir desquels l’employeur jugera de son travail.

Le contrôle que permet la structure d’emploi de la qualité et donc de la valeur réelle du travail inprogrammable accompli par le travailleur est inadéquat. Faut-il donc s’étonner que l’entreprise de services cherche à éliminer la structure désuète des emplois pour favoriser la sous-traitance et la consultation? Faudra-t-il s’étonner, demain, si les grands réseaux de l’éducation et de la santé sont démantelés, pour permettre à de petits groupes de partenaires, vraiment motivés, d’assurer à la population un bien meilleur service? Un service dont l’État pourrait garantir le paiement et l’universalité tout comme aujourd’hui, mais à bien meilleur compte et, surtout, avec une qualité incomparablement supérieure.

Prenons le système d’éducation secondaire. Lycée en France, ou application/adaptation dans le reste du monde du « Comprehensive school » américain. Ce système ne répond pas à nos besoins. Il n’y a pas toujours d’insuffisances quantitatives à mesurer ; on trouve souvent dans les structures d’éducation des ratios employés/élèves bien satisfaisant. (1:16 au Québec) ! Mais le rapport des ressources au front à celles de l’intendance est vicié par le préjugé de la supériorité d’«organiser » sur « enseigner » et ne peut que se détériorer, tant qu’on ne comprendra pas qu’administrer de l’éducation n’est pas éduquer.

RIEN ne peut régler, par exemple, le problème des polyvalentes québécoises, si ce n’est une nouvelle structure qui établisse un lien HUMAIN entre l’élève et l’enseignant. Un enseignant salarié sous tutelle d’administrateur et qui doit comptabiliser ses heures n’éduque pas.

Ce sont des travailleurs autonomes, pas des employés, qui doivent fournir à la population les services inprogrammables dont elle a besoin. Ils le feront pour les services existants, particulièrement les services d’éducation à tous les niveaux et les services de santé. Ils le feront aussi pour les ajouts à ces systèmes et pour tous ces postes de travail en mutation, dont le système n’a pas encore décidé s’ils seraient conservés ou si on leur substituerait des machines.

Cette évolution vers l’autonomie du travail est inévitable. Elle correspond au besoin de laisser le travailleur, maintenant plus instruit et mieux formé, mettre à profit son initiative et sa créativité sans les contraintes rigides d’un emploi. Elle facilite du même coup l’évaluation de la performance du fournisseur de services. Pas en vérifiant les gestes qu’il pose – ni même sa façon de les poser, sauf dans un cadre très permissif – mais en évaluant les RÉSULTATS de son intervention.

Des résultats qui peuvent être objectivés, mais auxquels doit surtout s’ajouter l’évaluation de la SATISFACTION du client.. Au palier de l’utilisateur final, c’est sa satisfaction qui est le premier critère d’évaluation ; quand il d’agit d’une activité qui n’est qu’une étape d’un processus plus complexe, il faut évaluer dans quelle mesure l’extrant d’une activité est bien l’intrant que souhaite le responsable de l’exécution de l’activité en aval.

La structure « par emplois » a été créée parce qu’elle collait aux nécessités de la production en chaîne dans une structure industrielle. Elle ne répond pas aux besoins d’une économie de services, alors que c’est la relation humaine et la motivation qui sont les grandes exigences. Nous le comprendrons rapidement, et ce sont des travailleurs autonomes qui vont conquérir le marché des services.

07 La ruée vers l’autonomie

Ce sont des travailleurs autonomes qui vont remplacer les travailleurs salariés dans la majorité des postes de travail de l’économie essentiellement tertiaire d’une Nouvelle Société. Pourquoi ? Parce que, dans une économie de services, le mot-clef pour optimiser le travail est MOTIVATION. La motivation s’accommode mal de contraintes externes – menaces et même promesses – et rien n’optimise tant la motivation que l’internalisation des facteurs qui la suscitent.

Un peu tout le monde qui travaille à rendre des services tend à devenir un créateur autonome de valeur. La relation employeur/employé de l’ère industrielle va donc tendre à disparaître d’une société post-industrielle. Dans une société post-industrielle, où c’est l’échange de services qui prédomine, ce n’est plus le travailleur salarié, mais le travailleur autonome, mieux motivé, qui devient nécessairement la norme. Il faut paver la voie au travail autonome.

Le travailleur-type d’une société post-industrielle est un travailleur autonome. Il n’a plus un patron, mais un – ou parfois une multitude – de « clients » et doit assumer de multiples fonctions. Création et fourniture d’un service principal pour lequel il existe une demande et qui lui sert d’identifiant, bien sûr, mais aussi, souvent, des services connexes qui facilitent la création et la fourniture de ce service principal.

Souvent, dans une économie tertiaire, le créateur autonome de services assume ainsi les fonctions de publiciste, de distributeur et de vendeur du service qu’il peut apporter, ce qui fait de son poste de travail une occupation spécifique qui ne ressemble à rien d’autre, se développe à sa mesure et dont lui seul peut prendre charge. Il doit recevoir une formation différente, exécuter des tâches différentes et les exécuter autrement. Sa relation avec le travail est complètement transformée.

La structure des relations de travail doit aussi se transformer, pour passer de la relation patron-employé de la période industrielle à cette relation fournisseur-client adaptée à une économie de services. Cette transformation de leur relation les conduit tous deux, celui qui produit et fournit un service comme celui qui le consomme, à adopter des attitudes et des comportements différents.

Il nous faut des travailleurs autonomes, capables d’entreprendre et d’innover et de ne rendre de compte qu’aux utilisateurs de leurs services . L’évolution débutera par la remise en liberté des travailleurs dont le rôle est décisionnel, dans tous les cas où une objection dirimante – nous verrons ces cas dans un autre texte – ne s’oppose pas à ce qu’ils le soient.

Toute production – en fait, toute activité – est une séquence où s’intercalent en ordre information, décision et exécution. Quand on procède à la programmation de tout ce qui peut l’être, les décideurs sont là pour rester.

C’est la prise de décision, en fait, qui devient la caractéristique première des postes de travail auxquels on assignera un travailleur humain plutôt qu’une machine. Non que l’ordinateur ne puisse pas suivre logiquement un arbre de décision, pondérer toutes les variables et identifier la meilleure solution, on le lui permettra pour un volet ou un autre d’un ensemble, mais parce que nous ne voulons pas que l’ordinateur ait le dernier mot. Décider est notre prérogative d’être humain, à titre d’espèce dominante sur cette planète. Laissez la décision finale à la machine est un scénario de science-fiction qui ne nous plait pas.

L’initiative est une activité inprogrammable, mas cela ne laisse pas entrevoir la créations d’une masse d’emplois, car nous savons très bien qu’il n’y a pas de meilleur décideur, ni de plus dévoué, que celui qui supporte personnellement les conséquences de sa décision. La tendance des entreprises sera donc vers la consultation plutôt que l’emploi, vers la sous-traitance plutôt que l’emploi, vers l’impartition plutôt que l’emploi, vers n’importe quel statut plutôt que l’emploi. Le temps travaille ici pour l’autonomie.

C’est pour ça que, dès qu’on s’écarte de la grande industrie manufacturière où un investissement colossal est requis, les PME concurrencent si avantageusement les multinationales. C’est pour ça que, plus bas dans l’échelle des équipements requis, les travailleurs autonomes concurrencent de même les PME. C’est pour ça que les grandes entreprises ripostent en se scindant en « divisions » autonomes et en « centres de profits », cherchant à motiver leur personnel et à impliquer à fond leurs décideurs, liant autant que possible la rémunération de chacun au bien-fondé des décisions qu’il prend.

Tout va plus vite quand c’est celui qui décide qui agit. Tous va mieux quand celui qui décide porte les conséquences fastes ou néfastes de sa décision. Aujourd’hui, nous assistons à la suppression des cadres intermédiaires. Dans une économie de services, le gigantisme est un inconvénient et les petits piranhas dévorent les requins. Demain, nous verrons la constitution d’équipes de travail autonomes au sein même de l’entreprise, chaque équipe ayant son budget, déterminant son propre plan de travail et étant rémunérée par les « profits » que son efficacité lui permet de réaliser. Il faut être aveugle pour ne pas déceler cette tendance.

Quand l’activité est inprogrammable – et décider est une activité inprogrammable – les travailleurs ne sont plus interchangeables; leur motivation devient un facteur important et il est inefficace de les payer à salaire. La participation au profit est déjà une forme acceptée de rémunération des hauts dirigeants d’entreprise; attendons-nous à ce que cette approche soit adaptée dans toute la mesure du possible aux autres niveaux de décideurs, jusqu’aux opérateurs de machines complexes dont le salaire sera aussi progressivement remplacé par une participation au profit découlant de leurs décisions…. qui sont la composante essentielle de leur travail. La production, quand on en retire l’élément programmable qui a été confié aux machines, peut se définir comme un ensemble de microdécisions.

Quand c’est la décision qui est rémunérée et que la rémunération est liée aux résultats, la relation de travail devient plus égale, plus motivante, mais elle peut devenir bien plus précaire. On dira peut-être encore des décideurs et des travailleurs participant aux profits qu’ils ont « un emploi », mais leur statut sera complètement différent de celui d’un employé salarié d’aujourd’hui. Pour les fins qui nous intéressent, ce seront des travailleurs autonomes.

08 Les services simples

On fera des décideurs des travailleurs autonomes.  Et « décider » ne s’applique pas que dans un contexte de hiérarchie corporative, mais de haut en bas de l’échelle des compétences. Le statut qu’on accorde au travailleur doit être celui qui lui permet le mieux d’accomplir les fonctions du poste de travail qui lui est confié. Or, quand on regarde les services que l’on attend des travailleurs et les circonstances dans lesquelles ils doivent les rendre, il semble bien que l’autonomie prévaudra et que ce sont des travailleurs autonomes qui s’accapareront de la majorité des postes de travail au sein de la main-d’œuvre, des plus simples aux plus complexes.

Il y a des services « simples » – que quiconque peut rendre avec un minimum d’habileté et sans longue préparation – et des services « complexes » qui exigent une formation préalable, disons supérieure à trois (3) mois. Ce choix d’une durée est ici arbitraire ; affaire de sémantique et d’opportunit taxinomique. Le plus court le délai qui permet de bien identifier une compétence, le plus utile… mais le plus exigeant pour les planificateurs.

Programmer tout apprentissage qui exige plus de trois mois et en faire la base d’une certification professionnelle est un objectif déjà ambitieux. N’en cherchons pas plus et disons que ce qui exige moins de trois mois de formation est un service… simple. Laver des vitres est un service simple, une opération à coeur ouvert est un service complexe. Les deux sont des activités en partie « programmables, mais non-programmées », même si l’on peut penser que la première sera tôt ou tard entièrement mécanisée, alors que la seconde ne le sera sans doute pas. Simples ou complexes, les services seront surtout exécutés par des travailleurs autonomes.

D’abord, voyons les services simples, le domaine des « petits boulots ». Nous parlons de services, mais nous pourrions dire tout travail qui ne requiert pas une structure industrielle de production. Il y a une demande pour les biens de production artisanale, tout comme pour les services. Il y a une infinité de services simples qui peuvent être rendus dans notre société et on peut augmenter indéfiniment le nombre des fournisseurs de services simples – pensez aux jeunes volontaires qui se précipitent pour nettoyer votre pare-brise..

L’élasticité de la demande pour un service en fonction de son prix n’est pas infinie.  La demande, pour tout service, cesse tout bêtement quand le besoin est satisfait – pensez à votre façon de réagir à l’ »offre de travail » du deuxième volontaire laveur de pare-brise -…  mais elle varie grandement selon le prix qu’on en demande. La demande pour une large part des petits boulots ne peut être satisfaite  que par des travailleurs autonomes. Pourquoi ?

Parce que l’offre de travail pour les petits boulots dépasse si largement la demande, qu’on peut difficilement dorénavant en tirer un revenu de subsistance. En l’absence d’une aide massive de l’État pour assurer son recyclage et sa formation, le travailleur chassé du secteur industriel ne peut se convertir qu’en fournisseur de services simples et rien d’autre.  L’offre de main-d’oeuvre  pour les exécutants de « petits boulots » est donc énorme et le salarié n’a pas sa chance…

La profitabilité des compagnies qui affectaient des employés à la prestation de services simples s’est  effondrée. L’entrepreneur qui paye le salaire horaire syndical pour un travail exécuté selon les règles syndicale – la rénovation domiciliaire en est un bon exemple – ne peut concurrencer le travailleur autonome qui va accepter de travailler au niveau de subsistaance que grâce à des subventions déguisées, à des coalitions qui réduisent illégalement la concurrence, à une réglementation coercitive et à des moyens de pression dont la légitimité est souvent douteuse. L’emploi est ici bien précaire.

D’autant plus précaire que la barrière du niveau de subsistance n’est plus ici infranchissable. Il y a une limite au nombre de ceux qui peuvent « vivre » de la prestation de services simples. Un nombre bien supérieur de travailleurs peuvent toutefois en tirer un revenu d’appoint satisfaisant , en parallèle à un revenu d’assistanat.  Le prix du service peut alors s’ajuster sans limite à la demande effective et un prix suffisamment attrayant peut susciter une demande nouvelle, rendant le client conscient d’un besoin qu’il avait jusque là ignoré.

La rémunération des travailleurs autonomes qui ont choisi de faire ce travail,  est donc vite tombée SOUS le niveau de subsistance et la migration des travailleurs du secteur industriel vers les services simples a provoqué un effet pervers: le « travail au noir« .

 Une partie croissante de ces services a été rendue illégalement pour un revenu d’appoint complémentaire aux paiements de transfert qui constituent la couverture sociale d’assistanat.

Non seulement il en est résulté une perte fiscale qu’on estime à des milliards par année, mais ces revenus d’appoint, dont la distribution et l’importance sont difficiles à cerner, rendent impossible une analyse rigoureuse de l’adéquation des paiements de transferts aux besoins réels des sans-travail.

Les services simples – de la rénovation au gardiennage en passant par toutes les formes de bricolage et de services personnels – répondent à un besoin manifeste et vont créer une somme énorme de travail au cours des années qui viennent. Mais ils ne peuvent pas être considérés comme une source féconde d’emplois. Celui qui voudrait retirer un plein revenu-salaire de ces petits boulots ne pourra jamais concurrencer ceux qui n’en veulent en tirer qu’un revenu d’appoint.

Le marché des petits boulots appartiendra donc de plus en plus aux travailleurs autonomes – jusqu’à maintenant, des travailleurs au noir – à moins que l’État n’en assume une part croissante des coûts, par subventions, crédits d’impôt ou autrement, comme il le fait présentement  pour la rénovation. Si l’État prend cette voie contre nature, il en résultera pour la collectivité des services de moins bonne qualité et à des coûts plus élevés.

Le travail au noir ne peut pas être éliminé, il répond à un besoin et à une demande effective. Il ne peut être que blanchi. C’est le travailleur autonome qui conservera les petits boulots; il ne s’agit pas de les lui enlever pour créer des emplois, seulement de modifier intelligemment la struture du travail et la fiscalité.  Nous en parlons dans un autre texte.

09 Les services complexes



Il y a une offre de travail excédentaire pour les petits boulots, mais pas pour les services qui exigent une formation longue. Ici, les ouvriers manquent et la demande est pratiquement infinie. Dans tous les pays, c’est une armée de fournisseurs de services complexes qu’il faudra préparer,pour répondre à cette demande. Deux (2) contraintes économiques rendent cependant bien difficile la création massive d’emplois dans le domaine des services complexes.

La première contrainte économique, c’est que la prestation de services complexes, tout comme la production industrielle, exige un investissement préalable. C’est l’éducation/formation qui est ici le multiplicateur qualitatif de la productivité des services, comme la machine est le multiplicateur quantitatif de la production industrielle. Il existe cependant une différence essentielle entre un investissement dans l’industrie et un investissement en éducation/formation: la machine peut demeurer la propriété de l’investisseur et lui rapporter un profit ou un dividende, alors que l’éducation/formation ne peut être appropriée; elle profite entièrement au travailleur.

À partir de cette donnée, il y a un choix social à faire. Soit qu’on laisse à l’étudiant la charge de payer son éducation/formation, au risque de rendre celle-ci quasi-héréditaire et don un privilège au lieu d’un droit…, soit que l’État accepte la facture, ce qui n’est pas une mesure aussi progressiste qu’il y paraît…

Si c’est l’individu qui paye, le nombre des individus qui peuvent consentir cet investissement est restreint par leur propre capacité financière; si c’est l’État, ses ressources disponibles pour cette fin sont limitées par ses autres priorités et par la capacité de payer de la sociét qui est, par définition, sans plus, celle de l’ensemble des contribuables. Leur capacité et leur VOLONTÉ de payer pour l’éducation/formation; car, ne l’oublions pas, c’est celui qui reçoit l’éducation/formation qui en sera le premier bénéficiaire. Le contribuable, lui, n’en retirera un avantage que s’il paye encore une fois, plus tard, pour le service rendu… et il le payera cher.

Il le payera ou on le payera pour lui, mais le service rendu sera chèrement payé. La deuxième contrainte économique à la création massive d’emplois dans le domaine des services complexes est que si, dans l’abstrait, la demande pour de tels services est infinie, la demande EFFECTIVE pour de tels services est sévèrement limitée par le prix qu’en exigent ceux qui les rendent.

L’étudiant/travailleur, quand il est devenu fournisseur de services complexes, veut un retour avantageux sur son investissement en éducation/formation. Il veut ce retour conforme à la prévision qu’il en a faite, au vu du prix de ces services quand il a pris la décision d’investir. Il veut ce retour même s’il n’a investi que son temps, ce qui est déjà beaucoup. Il le veut à plus forte raison s’il a assumé le coût total de son éducation/formation.

L’État a un choix social à faire. Mais que ce soit l’individu, comme aux USA, ou la société comme dans la plupart des pays civilisés qui ramasse la facture, le nombre des fournisseurs de services complexes est vite limité par la capacité, individuelle ou collective de payer pour leurs services.

Si aujourd’hui notre société restreint les inscriptions en faculté de médecine, ce n’est pas parce que les médecins chôment; c’est parce que c’est nous, collectivement, qui payons les médecins et que nous n’avons pas les moyens de payer à plus de médecins une rémunération de médecin. Ceci, d’ailleurs, a mené dans certains pays à la scandaleuse absurdité de payer des médecins compétents pour qu’ils cessent d’exercer leur professions !

Il est clair que le développement de notre société passe par l’affectation d’un pourcentage croissant des travailleurs à la prestation de services complexes. Ceci, toutefois, n’est possible que si on trouve une solution au problème du financement d’un effort d’éducation/formation qui, avec l’accélération du rythme des changements technologiques, deviendra inévitablement encore plus important qu’il ne l’est déjà… et si, simultanément, on peut convaincre les fournisseurs de services complexes d’en exiger une rémunération moindre.

Il n’est pas impossible de convaincre celui qui reçoit une formation d’en payer le coût. Son espérance d’un gain accru quand il s’est form est bien suffisante pour justifier qu’il fasse cet investissement. Il faudra bien le faire, car la population n’acceptera plus longtemps la prise en charge des coûts de toute la formation qui sera requise. Mais il faut au moins lui prêter cet argent… !

On peut aussi, en augmentant le nombre de ceux qui les rendent, réduire la rémunération moyenne des fournisseur de services complexes sans diminuer leur espérance de gain en deça du seuil où ils accepteront d’investir dans cette formation. Il le faudra aussi, car si leur nombre augmente et que c’est le travailleur moyen de l’avenir qui devient un fournisseur de services complexes… il faudra bien que sa rémunération moyenne devienne celle du travailleur moyen…

Ce sont des décisions politiques qu’il faut prendre, même si elles ne sont pas immédiatement populaires. Quand nous les prendrons, toutefois, ce ne sont pas des emplois qu’il faudra créer, mais des travailleurs autonomes à qui on devra confier ces tâches. L’intervention d’un employeur entre celui qui rend un service et celui qui le reçoit est néfaste.

Pourquoi tant de gens payent-ils aujourd’hui de leurs deniers des soins de médecine disons, non conventionnelle, dont la valeur n’est pas nécessairement meilleure – et est même parfois douteuse – plutôt que de s’en remettre à de professionnels de la santé qui sont des employés et des fonctionnaires ? Ne serait-ce pas largemet pour échapper à la morgue du salarié et obtenir d’un fournisseur autonome la considération à laquelle ils considèrent qu’ils ont droit plutôt que l’attention ennuyée des fournisseur officiels ?

Ce message ne doit pas être perdu. Il faut rétablir le contact direct entre celui qui offre un service et celui qui le reçoit. Les services complexes gagneront en qualité quand ils seront fournis pas des travailleurs autonomes, encore payés par l’État par capitation, mais dont la rémunération dépendra ainsi ultimement de la satisfaction de leurs clients.

10 Le filet sous le trapèze

L’entrepreneuriat doit prévaloir à tous les paliers du marché du travail. En haut, les professionnels de haut calibre qui nous offrent les services rares que nous voulons en toute priorité, doivent nécessairement travailler dans un cadre d’autonomie pour donner leur plein potentiel… En bas, les petits boulots doivent être exécutés par des non-professionnels autonomes, sans quoi, si elle doit rémunérer à la fois un travailleur et son patron, la demande pour ces services s’effondre, car elle n’est pas effective au prix où ces services devraientt alors être vendus

Il nous faut des travailleurs autonomes. Infiniment mobiles, prêts à des sauts périlleux pour s’adapter aux exigences mouvantes d’une structure fluide de production tertiaire. La motivation accrue du travailleur, qui va de paire avec son autonomie, ne peut s’exprimer correctement, toutefois, que si cette autonomie vient du libre choix du travailleur. Fera-t-il ce choix ?
OUI. Si on le rassure…. Le travailleur salarié est aujourd’hui bien inquiet. Il voit un système de production où tout doit nécessairement changer très vite et où les compétences doivent souvent être révisées ou substituées par d’autres sans préavis. Il aimerait bien jouir d’une autonomie qui lui donnerait ses coudées franches et lui permettrait parfois de monnayer son expérience et sa sagacité à meilleur prix, mais il ne veut pas vivre l’angoisse du risque d’être privé de son salaire ; ce revenu est la clef de voûte de tout l’édifice de sa vie. Il ne veut pas être condamné par l’autonomie à une plus grande précarité.

Il veut, au contraire, être totalement rassuré quant à son revenu. Pour que le travailleur veuille sauter de son plein gré dans la créativité et l’initiative – ce qu’il serait opportun qu’il fasse – il lui faut un filet sous le trapèze… Difficile ? Il a chaque jour sous les yeux un million d’exemples pour lui montrer que cette sécurité est possible: la fonction publique.

Le travailleur ne demanderait rien tant que de pouvoir s’appuyer sur un droit que lui garantirait la collectivité à un revenu ferme lié à sa compétence. Comme elle le fait pour les fonctionnaires… Il voudrait que ce revenu lui soit garanti, indépendamment des activités concrètes que le système jugerait opportun d’exiger de lui, en considération des efforts qu’il a mis à acquérir cette compétence et de sa disponibilité. Que la disponibilité de sa comptence soit sa contribution… comme elle l’est pour les fonctionnaires.

L’État doit s’adapter à l’évolution vers l’autonomie et l’entrepreneuriat en garantissant au travailleur la sécurité d’avoir droit en tout temps un emploi garanti à un salaire revenu conforme à sa compétence reconnue. Il ne s’agit pas de faire de tous les travailleurs des employés de l’État, mais au contraire de favoriser l’entrepreneuriat. La société doit reconnaître sa responsabilité collective pour le sort de chaque travailleur, lequel, seul, n’a aucun pouvoir sur l’évolution de l’économie ni d’autre responsabilité pour son intégration à la main-d’œuvre que sa bonne volonté pour utiliser sa compétence ou en acquérir une nouvelle.

Il suffirait que la société assume sa responsabilité et mette en place un système de travail-revenu garanti, image-miroir du statut actuel des fonctionnaires, pour que la peur de l’entrepreneuriat disparaisse de la psyché du travailleur. Le travailleur serait intrépide, s’il y avait sous ses voltige le filet dans lequel on peut tomber sans mal et d’où on peut remonter sur le trapèze. Quand cette protection existera – ce pourrait être demain – la structure de production désuète établie sur l’emploi se transformera presque sans délai en une structure d’impartition et de sous-traitance où la majorité des intervenant deviendront avec enthousiasme des travailleurs-entrepreneurs, autonomes et responsables.

Le travailleur d’une Nouvelle Société entrepreneuriale aura toujours droit à un emploi salarié. On affectra le travailleur qui en fait la demande à un poste de travail en tenant compte de ses circonstances personnelles et de ses préférences, mais le premier critère d’affectation sera de faire la meilleure utilisation de ses compétence pour optimiser la production globale au profit de la collectivité.

Durant ses périodes fastes, le travailleur ne cherchera pas à se prévaloir de ce droit à un emploi garanti ; l préférera ses coudées franches. Cet emploi, est son assurance, sa sécurité. Quand il s’y astreint, elle est sa contribution aux objectifs de production de la société. C’est en échange de cette contribution que, comme citoyen, il reçevra, quoi qu’il arrive, un revenu conforme à sa compétence et toujours suffisant pour vivre avec dignité.

Le travailleur qui demande et accepte un emploi salarié ne renonce pas pour autant au défi de l’autonomie. Sa contribution à l’effort productif commun est complètement satisfaite par le temps qu’on exige de lui dans cet emploi salarie garanti qui ne l’occupera qu’une fraction de son temps. Puisqu’on ne lui aura rien donné qu’il n’ait mérité par son travail, le travailleur qui se sera acquitté des tâchesde son emploi salarié pourra légitimement, dans ses temps libres, poursuivre une activité autonome parallèle et en tirer un autre revenu.

Il pourra le faire sans renoncer à son emploi salarié, ni au revenu que cet emploi lui procure. Il n’est pas tenu d’exercer une activité autonome parallèle. Il préférera peut-être exercer une activité gratuite, artisanale, artistique, intellectuelle, voire strictement ludique plutôt que professionnelle…; mais, quoi qu’il fasse, c’est par cette activité autonome qu’il exprimera son ambition, son initiative et sa créativité.

Beaucoup de travailleurs se prévaudront de cette discrétion pour mettre à profit leurs talents et en retirer un revenu supplémentaire, en offrant à titre autonome, un service qui, offert au prix du marché, répondra alors à une demande effective. Les services ainsi offerts viendront satisfaire la demande croissante pour des services, professionnels et non-professionnels, pour lesquels la demande n’est effective que s’ils ne visent à rapporter au travailleur qu’un revenu d’appoint. Un gain net pour l’économie réelle et ces services en viendront à représenter une part non négligeable de la production globale.

Rien n’est plus essentiel aujourd’hui que la mise en place d’un régime de travail-revenu garanti. L’avenir commence par ça et, sans ce travail-revenu garanti, toute politique sociale sera insatisfaisante.

11 Le revenu garanti

La prochaine étape du développement social est un revenu garanti pour tous. La sécurité du travailleur ne doit plus dépendre d’un droit toujours précaire à son emploi, mais d’un droit que lui garantit la collectivité a un revenu ferme lié à sa compétence acquise.

Ce revenu doit lui être garanti indépendamment des activités concrètes que le système peut juger opportun d’exiger de lui. C’est sa disponibilité qui doi être sa contribution. Il est absurde que dans tous les pays développés il n’existe pas déjà un revenu annuel garanti pour tous.

Absurde, parce qu’un revenu garanti est plus équitable, plus valorisant, et ne coûte pas plus cher, que le saupoudrage erratique d’assistances ponctuelles qui est offert présentement un peu partout. C’est une grande source de confusion, d’injustice et de frustrations que de s’en remettre à des douzaines de programmes de soutien au revenu et à l’emploi pour faire face à la crise actuelle et, plus généralement, pour vivre le passage d’une struture industrielle d’emploi vers une économie tertiaire.

Garantir le revenu ne coûte pas plus cher, puisque chaque pays développé, sous divers masques, assure déjà un minimum vital à toute sa population. Il le fait parce que l’éthique collective ne supporterait pas qu’on laisse mourir de soif au bord de la fontaine, mais aussi, plus cyniquement, parce qu’une société de consommation exige, pour le bien de ceux qui produisent – qui sont ceux qui ont le pouvoir – que la demande de ceux qui consomment soit maintenue effective.

L’argent est là et on en met beaucoup. Mais, en l’accordant sous forme d’aumône, d’une façon vexatoire et humiliante, notre société perd son argent (notre argent!) de trois façons. D’abord, on démotive et on marginalise ceux qui reçoivent cette assistance financière; ensuite, on augmente les coûts de distribution de ce revenu; enfin, on renonce à la richesse réelle considérable en biens et services que représenterait le produit du travail de tous ces travailleurs qu’on a laissés pour compte.

Ce qui est absurde va bientôt devenir intolérable. Non pas intolérable pour quelques-uns, mais intolérable pour vous, pour moi et pour tous, à la mesure de l’insécurité croissante que va introduire pour tous l’accélération de la transformation des méthodes et des modalités de travail. Aujourd’hui, avoir travaillé dix ans dans une activité programmable sans avoir été recyclé, c’est déjà vivre en sursis de chômage et jouir d’une chance inespérée.

Demain, si nous voulons demeurer à la pointe du progrès, les méthodes de travail devront se transformer encore plus vite. Le travailleur ne doit plus espérer exercer un même travail ni occuper une même fonction plus de dix ans; ce serait une contrainte insupportable pour le système de production.

Au contraire, le travailleur doit se préparer à consacrer désormais 10% et bientôt 20% de sa vie active à la formation et, après chaque recyclage, il devra aller vers le poste le plus productif pour lequel il sera devenu le mieux qualifié. Un poste différent de celui qu’il aura quitté. C’est à ce prix que nous bâtirons le système de production le plus performant et que nous pourrons assurer au travailleur le meilleur niveau de vie. Nous serons loin de la sécurité d’emploi, qui est un anachronisme. Il faut penser sécurité du revenu.

Le travailleur n’acceptera de bon gré ces incessants changements de sa vie professionnelle que s’ils ne mettent pas en péril son revenu. Il aura bien raison, car ce n’est pas lui qui fixe les taux d’intérêts et qui établit les politiques fiscales et douanières. Ce n’est pas lui qui choisit les infrastructures à créer et qui privilégie ainsi une avenue de développement plutôt qu’une autre; ce n’est pas lui qui finance le développement technologique, qui évalue les besoins de main-d’oeuvre à tous les niveaux et qui planifie les programmes d’éducation et de formation.

Le travailleur n’a aucun contrôle sur toutes ces décisions qui font que l’offre et la demande de main-d’oeuvre s’ajustent ou ne s’ajustent pas. il est la victime innocente d’un jeu de hasard, une « loto du chômage » que la société est d’accord pour tolérer parce que, collectivement, nous en retirons l’avantage d’un progrès plus rapide.

Le changement que nous vivons profite à tout le monde, c’est pour ça que nous invitons le changement. Le système a choisi d’optimiser son rendement d’une façon brutale, en défenestrant sans avis les moins agiles et les malchanceux. Le sans-travail n’a pas à être pénalisé, encore moins culpabilisé…

Pourquoi serait-ce sa responsabilité de porter le poids des ajustements et serait-il mis au chômage sans qu’on lui garantisse la continuité de son revenu? C’est toute la collectivité qui doit assumer le coût du changement, pas l’individu

On a prévu jusqu’à présent de petits filets pour ceux qu’on précipite dans le vide; maintenant que nous allons évoluer de plus en plus vite sur le trapèze du changement et du recyclage continu, à la vitesse qu’imposera le rythme de l’évolution des technologies, il y a fort à parier que TOUT LE MONDE, au cours des prochaines décennies, aura l’occasion de profiter de la solidarité collective le temps nécessaire à son recyclage.

Il faut donc cesser de parler avec condescendance des « chômeurs » et des « assistés sociaux ». « There, but by the grace of God go I … »

 Il faut que chacun puisse en profiter sans subir de pertes matérielles et sans humiliation. Il faut mettre en place immédiatement un régime de revenu garanti.

À quel niveau de revenus? Au niveau, d’abord, qui correspond pour chacun à la valeur déjà établi du travail qu’il fournit. Au départ, il faut s’en tenir aux revenus qui découlent des normes du marché du travail actuel. Non pas que ces normes ne devraient pas être modifiées, elle le devraient certainement, mais parce qu’il ne faut surtout pas que la décision technique de remplacer une foule de paiements ponctuels par un revenu garanti se transforme en un débat sur l’opportunité de donner plus ou moins aux défavorisés.

Ce débat paralyserait toute action. Il faudra faire aussi ce débat sur le redistribution de la richesse, mais gardons-le soigneusement à l’écart de celui sur la mise en place du revenu-travail garanti.

12 Le travail assuré

ll est absurde qu’il n’existe pas, aujourd’hui, dans chaque pays développé, un système adéquat de revenu garanti. Les fonds pour faire fonctionner un tel système sont toujours là, puisqu’ils sont déjà utilisés ! Personne ne meurt de faim dans un pays développé. Mais on y meurt parfois d’angoisse et de désespoir. Il faut arrêter cette barbarie.

Seules empêchent la mise en place d’un système de revenu garanti les luttes sordides de pouvoir au sein de la caste dominante pour maximiser le rendement sur un capital qui, souvent, s’est monétarisé au point d’être dépourvu de toute réalité. On laisse mourir des êtres humains pour modifier des préséances symboliques dans un monde imaginaire.

Il faut que le revenu garanti soit mis en place. Il serait absurde qu’il ne le soit pas, mais tout aussi absurde, cependant, que quiconque est apte au travail touche un revenu de la société sans avoir à travailler. Il faut mettre un terme à cette aberration que trois travailleurs sur quatre aient continuellement à partager le fruit de leur labeur avec le « quatrième travailleur» », lequel reste oisif parfois parce qu’il est une profiteur, mais le plus souvent simplement parce que notre société est trop bête pour utiliser correctement ses services.

Nous avons bâti un assistanat tentaculaire, qui n’est pas une réponse à la mauvaise distribution de la richesse, mais une activité complice de l’exploitation. En donnant au travailleur exclus son plat de lentilles, on lui instille insidieusement la peur d’en être privé et on lui retire donc de facto le droit de protester ou de proposer une alternative. Ne parlons donc plus d’un revenu minimum garanti sans contrepartie.

Le revenu garanti doit aller de paire avec une prestation adéquate de travail, sans quoi nous allons à la ruine. Nous y allons sans autre excuse que la négligence, car il est possible de remettre tout le monde au travail à brève échéance. Il faut exiger de tous une contribution à l’effort collectif. Pour que cette contribution soit possible, il faut que l’État à qui on demande de garantir un revenu à tous les travailleurs, garantisse aussi à chacun d’eux un travail. L’État doit absolument mettre au travail le « bénéficiaire de la solidarité collective ». S’il ne le fait pas, les conséquences négatives s’accumulent.

D’abord, il est injuste pour les autres travailleurs que celui-ci soit payé à ne rien faire; ensuite, notre société n’a pas les moyens de perdre la valeur que représente le travail de l’inactif; troisièmement, la nature humaine étant ce qu’elle est, il est probable que le bénéficiaire qu’on laisse inactif fera quelque travail au noir, sabotant un peu plus le marché du travail légal; enfin, le bénéficiaire ne peut retrouver sa dignité que s’il redevient un participant à l’effort de production collectif. Il faut qu’il travaille.

Ce doit être la responsabilité absolue de l’État de procurer un emploi à chaque travailleur. Tout travailleur apte au travail, s’il ne trouve pas un emploi par ses propres moyens, doit pouvoir se présenter à un « Bureau du Travail  » et y recevoir sur-le-champ une affectation compatible avec sa compétence. Idéalement, cette affectation ferait appel à toute ses compétences, mais cela ne sera pas toujours possible. Disons donc un emploi qui utilise la plus grande part possible de ses compétences. Si, sain de corps et d’esprit, il refuse cette affectation, il n’y a pas à lui donner un revenu.

D’autre part, s’il l’accepte, il mérite son salaire. Pas une aumône, mais son plein salaire, un salaire de manoeuvre s’il est manoeuvre, de plombier s’il est plombier, de médecin s’il est médecin, Il doit être payé le salaire qui correspond aux compétences qu’il a acquises et que la société lui a reconnues. L’État doit assurer au travailleur un salaire selon ses qualifications reconnues.

Exceptionnellement, on devra peut-être affecter un travailleur à des fonctions inférieures à sa compétence, mais pourquoi serait-ce alors au travailleur de supporter une perte de revenu quand il est évincé de son emploi par des changements technologiques ? A-t-il commis une faute? Que l’État assume le coût de la différence entre le prix payé par le marché pour la fonction qu’on va lui confier et celui qui correspond à sa compétence.

Quelle est la rationalité de payer un salaire d’architecte, par exemple, pour un travail de dessinateur ? Celle de la disponibilité. La disponibilité a une valeur et doit avoir son prix.Tout comme les employés d’une entreprise et les fonctionnaires sont payés pour être à la disposition de leur employeur – et que c’est à celui-ci de bien les utiliser – l’État doit être responsable du plein-emploi. Il est l’employeur de dernier recours: qu’il assume ses responsabilités.

C’est la structure de planification et de formation de l’État qui a conduit a créer un travailleur ayant les caractéristiques de celui qui est tout à coup sans emploi. La structure, ce faisant, a voulu qu’il soit disponible. Une ressource en réserve. Il doit recevoir le prix qu’on lui a implicitement offert, en lui laissant croire qu’il y avait un emploi exigeant cette compétence.

Comment déterminer le revenu auquel le travailleur a droit ? Au départ, on utilisera des indicateurs, dont son salaire actuel s’il est salarié, et aussi les normes de la Fonction publique. Ceci ne signifie pas que ces normes soient parfaites, loin de là, mais elles ont le mérite d’être immédiatement disponibles et représentent une forme de consensus, puisqu’elles on déjà été négociées par les parties pour que soient acceptées les conventions en vigueur entre l’État et les diverses catégories de ses fonctionnaires. Ces normes sont une base de départ. À partir de cette base, on pourra modifier ou compléter au besoin.

Ces indicateurs, toutefois, sont des outils d’estimation transitoires. Le principe de base vers lequel on ira est que le revenu garanti de l’individu est établi selon ses compétences acquises, reconnues par une « Certification » dont nous parlons à l’article suivant. La valeur relative des compétences, elle, est déterminée par une négociation interprofessionnelle dont nous verrons dans un autre texte les conditions d’application

13 La certification professionnelle

Le salaire versé à celui qui se prévaut de son droit à emploi garanti est celui correspondant à la certification la plus élevée qu’il a obtenue. Une Nouvelle Société distingue entre le diplôme – qui fait foi d’une compétence – et la Certification professionnelle qui, prenant cette compétence pour acquise, est en fait un contrat qu’accorde la société au diplômé pour l’utilisation de ses services. Un contrat sous condition suspensive, qui crée une responsabilité pour la société et une sécurité pour le travailleur, mais ne prend effet que quand ce dernier le veut bien.

Au moment de cesser ses études à temps complet et d’accéder au marché du travail, chaque individu d’une Nouvelle Société obtient du système d’éducation un diplôme modulaire faisant foi des compétences qu’il a acquises. Au moment de commencer formellement à travailler, il a donc une compétence reconnue par diplôme. Ce diplôme ne marque pas la fin de sa formation, loin de là ; il pourra ensuite, tout au long de sa vie professionnelle, augmenter indéfiniment sa compétence, sans autres limites que celles de ses aptitudes et de sa volonté de le faire, mais il a et aura toujours une compétence reconnue. « Certifiée ».

La société doit mettre à la disposition de ses citoyens de tous les moyens de se réaliser par le savoir. Cela dit, il est impossible que les aspirations des individus coïncident parfaitement avec les besoins de l’économie. Au droit de l’individu de se former sans limites doit correspondre celui de la collectivité de n’utiliser que les compétences dont elle a besoin.

Dans une économie libérale, c’est le marché qui choisit ceux qui tireront profit de leur formation et ceux qui auront acquis cette compétence en vain. Il le fait en fonction du prix qu’en demandent ceux qui la possèdent. Les travailleurs sont assimilés à une matière première. Avant que le choix du marché ne s’effectue, la valeur marchande de la compétence aura oscillé, pouvant se dévaloriser sans raison valable en démotivant ceux qui ont fait le choix de s’y investir.

Une Nouvelle Société procède autrement. Elle informe les travailleurs qui veulent se former des besoins de la société, avec autant d’anticipation que les techniques de prévision le permettent, puis elle régularise par concours ce marché des compétences. La certification régularise le flux de l’offre de travail et en maintient donc la valeur. Le nombre des diplômés est illimité, mais celui des travailleurs certifiés est bien contrôlé.

La certification professionnelle n’est pas un examen – tous les postulants sont présumés compétents – mais un concours où sont choisis « les meilleurs ». La certification est accordée au nombre précis de postulants qui correspond à la demande effective de la société pour les divers agencements de compétences qui constituent des professions. Celui dont la compétence a été reconnue par diplôme peut se présenter à des concours périodiques fréquents pour obtenir sa certification.

La certification fait de celui qui l’obtient un « professionnel ». Elle garantit à son titulaire qu’en tout temps, s’il demande un emploi, il sera embauché et rémunéré au niveau de salaire correspondant aux postes pour lesquels cette certification le qualifie, même si le poste de travail qu’on peut alors lui confier ne fait appel qu’à une partie de ses compétences et est de niveau inférieur à celui dont fait foi sa certification.

Si, au contraire, le rapport de l’offre à la demande sur marché du travail est tel que l’on doive affecter un travailleur à un poste de travail exigeant une certification professionnelle qu’il n’a pas, un concours de certification doit avoir lieu dans les trente (30) jours qui suivent. Tous ceux ayant le diplôme pertinent peuvent s’y présenter et, le seuil de passage s’ajustant à la demande, leurs chances de réussir ce concours sont d’autant meilleures que le marché est alors en manque de professionnels de ce type.

On doit accorder immédiatement à celui qui a réussi le concours de certification, tous les avantages qui s’y rattachent. On s’assure ainsi que l’inévitable clivage entre travailleurs professionnels et non-professionnels est géré en toute justice. Ne pas obtenir la certification professionnelle n’est donc que partie remise ; c’est un contretemps qui ne doit jamais marquer pour aucun travailleur la fin du progrès ni de l’espoir.

La certification crée des professionnels et leur garantit un standard de rémunération. Elle augmente la sécurité des travailleurs sans conduire la collectivité à la ruine, car c’est toujours la demande effective qui détermine le nombre de travailleurs auxquels est accordée la certification. Pourquoi ne pas supprimer la distinction qui apparaît vexatoire entre travailleurs professionnels et non-professionnels ? Pour deux (2 raisons.

La première, c’est que la certification vise à établir une adéquation par catégories fines entre l’offre et la demande de travail. La certification ne pourrait être exhaustive que si les analyses de tâches et les estimations des besoins étaient parfaites, ce qu’on ne peut espérer. Si une occupation n’est pas l’objet d’une certification, ce n’est donc pas parce qu’elle est indigne de l’être, mais parce qu’il n’est pas possible d’en définir le contenu cognitif pour fin de formation, que ce contenu varie trop rapidement ou que l’estimation est impossible du nombre de travailleurs dont on a besoin pour répondre à cette demande de travail. Ces conditions s’appliquent à certaines tâches indifférenciées exigeant peu de compétence, c’est vrai, mais pas nécessairement à toutes ces tâches et encore moins uniquement à celles-là !

La deuxième raison, c’est que tout travail ne peut pas être analysé ni sa valeur évaluée. Le travail inprogrammable ne peut pas l’être et la tendance lourde de la main-d’œuvre va justement vers l’inprogrammable. Une hausse du pourcentage des professionnels dans la société ne reflètera pas tant une augmentation de la compétence générale qu’une meilleure prévision des besoins.

Le statut de professionnel, d’ailleurs, ne sera que l’un des objectifs que le travailleur peut poursuivre. Dans une société de création et d’initiative, à mesure que la compétence de chacun deviendra de plus en plus unique et indéfinissable et qu’une part croissante du travail aura lieu hors du cadre des emplois, la professionnalisation deviendra un simple outil pour fixer le revenu garanti.

14 Les professionnels

La certification scinde la main d’œuvre entre professionnels – auxquels on garantit le niveau de revenu correspondant à leur compétence – et non-professionnels, auxquels n’est garanti que le revenu de base. Nous parlons ici des premiers et il faut d’abord distinguer chez ces derniers entre professionnels salariés et autonomes.

Pour le salarié, la certification détermine son revenu-plancher. Laissons ici de côté ceux pour qui l’emploi salarié n’est qu’un en-cas en attendant mieux et pour qui le statut professionnel n’est donc qu’une bonification. Voyons ceux dont on prévoit qu’un salaire demeurera la principale source de revenu. Les professionnels qui vont rester salariés sont ceux auxquels des circonstances exceptionnelles ne permettrent pas que l’on offre une forme de compensation plus motivante. Qui sont-ils?

Dans les secteurs primaire et secondaire, ces salariés seront généralement des experts à compétences très pointues, irremplaçables, et dont on ne voudra à aucun prix qu’ils désertent, ni surtout qu’ils amènent ailleurs des renseignements précieux. Ils seront peu nombreux. Avec le temps, même pour ces relations qu’on veut permanentes, on remplacera aussi le salariat par un partenariat à long terme. Ils ne disparaîtront pas, mais leur nombre ne pourra que décroître dans une structure où l’impartition et la sous-traitance deviendront les formes privilégiées du travail,

Au secteur tertiaire public, les professionnels salariés seront les fournisseurs de services dont la nature des tâches est telle qu’on ne peut pas faire dépendre leur rémunération de ceux qui sont l’objet de leur attention – juges, militaires, policiers – et ceux, comme les gouvernants et les administrateurs publics, dont l’évaluation de la performance ne pourrait être objective.

Tous ceux, qu’ils soient nommés ou élus qui, à divers paliers, décident et engagent la responsabilité et la réputation de l’État doivent être des salariés. Dans le tertaire public, c’est ce fonctionnariat « décisionnel », dont on attend une totale loyauté, qui va constituer les effectifs professionnels salariés . Dans le tertiaire privé, le statut de salarié sera pour ceux – gestionnaires et mandataires – dont on attend cette même loyauté. Demeurant autonomes ceux dont on exige une obligation de résultat.

Il y aura peu d’autres professionnels salariés permanents. Beaucoup le seront à titre temporaire, toutefois, car les travailleurs professionnels comme non–professionnels ont droit en tout temps à un emploi garanti et s’en prévaudront pour de brèves ou longues périodes. L’autonome professionnel, quand il rate le trapèze, atterrit mieux que le non professionnel dans le filet d’un emploi que lui procure l’État. Il ne s’y laissera choir qu’en cas de nécessité, cependant, car son taux de rémunération salarié sera sciemment prévu légèrement inférieur à ce qu’il pourrait retirer d’un travail autonome.

Ce sont des professionnels autonomes qui fourniront les services qu’offrent aujourd’hui les grands réseaux gérés par l’État, comme l’éducation et la santé. Aux services dont l’État assure dès à présent le paiement, viendront s’en ajouter d’autres, à mesure que l’enrichissement de la société le permettra et qu’un consensus social acceptera que soit haussé le seuil minimal de ce qui est jugé essentiel.

Dentistes, optométristes, chiropraticiens et bien d’autres seront sans doute intégrés vite au système de rémunération par l’État. Tous ces services liés à la santé, s’ils ne le sont pas déjà, seront rendus par des professionnels autonomes. L’État prendra aussi en charge la rémunération des professionnels de diverses autres disciplines dont on souhaitera que chaque citoyen puisse bénéficier des conseils ou des services.

Comment concilier ce statut de travailleur autonome avec l’engagement de l’État d’assumer le financement des services auxquels la société juge qu’en principe tout citoyen a droit ? En utilisant la formule de la capitation, dont nous parlons d’abondant dans un autre texte. La capitation permet que le professionnel garde son autonomie, que l’utilisateur garde le choix de son professionnel et que l’État s’acquitte de son obligation de paiement, sans que ne soit rompu le lien essentiel qui aujourd’hui fait parfois défaut entre la satisfaction de celui qui reçoit un service et la rémunération de celui qui le rend. Pour ceux dont le revenu est ainsi payé par capitation, un statut professionnel est essentiel pour en bénéficier, car on ne peut garantir un revenu sans savoir à combien de professionnels il profitera.

La majorité des professionnels autonomes, toutefois, ne seront du secteur public. Il seront au secteur privé et offriront leurs services à la population contre rémunération, à titre privé et selon les termes des ententes dont ils auront convenu avec leurs clients. Ils seront des entrepreneurs. Pour eux, l’importance du statut professionnel va décroitre, pour deux (2) raisons.

La première, c’est que quiconque le souhaite pourra offrir à la population, contre paiement, tous les services légitimes qui trouveront preneurs, à la seule condition de ne faire aucune fausse représentation quant à sa compétence, sa certification, ses appartenances professionnelles, les résultats qu’il a obtenus ou ceux qu’il s’engage à obtenir. La transparence doit être parfaite, mais il n’y a pas d’interdits. Certains d’entre eux offriront des services du même type que ceux dont le coût est pris en charge par l’État, mais en s’adressant alors à la demande pour la part de ces services qui excèdera le seuil fixé par le consensus social en deçà duquel ils sont jugés essentiels.

La seconde, c’est que la complexification croissante des spécialités rendra difficile leur certification efficace. Le statut professionnel fera foi d’une compétence indéniable, mais à laquelle pourront s’être ajoutés d’autres modules, voire d’autres bribes de compétences encore mal identifiées, conduisant le professionnel à agir hors du champ de sa compétence certifiée. Chacun deviendra unique,

Le prestige et le succès sont aussi des obstacles à la standardisation stricte qu’implique un statut professionnel. Certains innoveront et leur revenu pourra augmenter de façon illimitée. Bravo. Ils sont des entrepreneurs. Ils doivent seulement demeurer conscients que, s’ils veulent se prévaloir de la garantie d’un emploi salarié, leur rémunération ne sera pas à la hauteur des revenus qu’ils auront tirés de l’exercice autonome de leur profession comme entrepreneurs. Comme salariés, elle sera en conformité du barème de la certification professionnelle la plus élevée qu’ils auront obtenue.

15 Les surquallifiés

Quand le nombre des professionnels – les travailleurs dont la compétence aura été certifiée par concours et le revenu garanti – augmentera dans une Nouvelle Société – ce sera un avantage pratique pour fixer le revenu garanti, mais il ne faudra pas accorder à ce phénomène une importance exagérée, ni surtout se méprendre sur sa signification.

C’est la certification qui crée les professionnels et celle-ci, étant fonction de la demande, devient une maesure des besoins estimés de main-d’œuvre par catégories professionnelles et de notre connaissance de ces besoins plutôt qu’un indicateur des compétences disponibles. C’est la diplômation qui est un estimateur efficace des compétences disponibles et donc du niveau d’éducation/formation réel de la société. C’est au palier de la diplômation qu’on pourra voir tous les progrès réalisés.

Selon ce critère, la main-d’œuvre d’une Nouvelle Société sera hyper-éduquée et hyper-formée. Le nombre de professionnels augmentera, en effet, mais le nombre de travailleurs diplômés augmentera encore davantage. Même en faisant tous les efforts possibles pour définir des catégories d’appartenance nouvelles permettant la professionnalisation, il faudra accepter qu’une partie seulement des postes de travail d’une société sans cesse plus complexe puisse s’inscrire adéquatement dans les catégories nécessairement rigides des professions qu’on aura identifiées.

La main-d’œuvre apparaîtra donc globalement surqualifiée, avec des effets ambivalents. C’est le choix conscient d’une Nouvelle Société que les compétences y soient surabondantes, tant pour encourager un meilleur développement de l’individu que pour réduire le pouvoir exorbitant que pourraient acquérir sur le fonctionnement de la société, à mesure que la division du travail se raffine, des groupes de plus en plus restreints de spécialistes dont les exigences pourraient devenir intolérables.

Les travailleurs agiront donc de plus en plus hors du champ de leur certification. Ce sera pour beaucoup l’occasion d’un dépassement dans l’autonomie, mais beaucoup aussi – parfois les mêmes dans le cadre d’un emploi salarié – travailleront en deçà du niveau auquel leur qualification professionnelle la plus élevée leur permettrait d’accéder.

Les conséquences monétaires de cette surqualification seront corrigées pour les professionnels, puisque leur rémunération d’emploi sera fixée par leur certification la plus élevée, mais cette correction n’existera pas pour le non-professionnel. C’est justement la limitation de leur nombre par le processus de certification qui permettra à la société d’assumer les frais du revenu garanti. Le non-professionnel, n’aura la garantie que du revenu minimum. Même si ce revenu minimum est fixé au niveau le plus élevé que permet la richesse de la société et le consensus social, le non-professionnel sera dans une situation relativement inconfortable. Frustrante, s’il est surqualifié.

Qui sont les non-professionnels surqualifés ? Les travailleurs diplômés qui n’ont pas réussi le concours de certification. Leur échec, à un concours qu’on a voulu ni plus ni moins ardu que ce qu’il faut pour départager le nombre de postulants correspondant à la demande effective, ne signifie pas qu’ils soient incompétents ; ils possèdent, au contraire, une compétence reconnue par diplôme bien similaire à celle de ceux qui l’ont réussi. Ils n’ont pas été « les meilleurs », mais quand les appelés sont nombreux et les élus peu nombreux, la différence entre les meilleurs et les autres tend à devenir bien mince, aléatoire même.

Ces non-professionnels seront en attente de devenir des professionnels. On peut penser que s’ils maintiennent leurs connaissances à jour et persistent à se présenter aux concours, comme ils en gardent toujours le droit, ils deviendront aussi, un jour, des professionnels certifiés, pour tout ou partie des compétences qu’ils ont acquises, dès qu’une estimation différente de la demande le justifiera. Peut-être.

Peut-être, mais ce n’est pas certain, car leur certification éventuelle ne dépendra pas tant d’une amélioration de leurs connaissances que des fluctuations de l’économie et du nombre comme de la qualité de ceux qui, malgré des taux de certification bas et la publicité dissuasive qui sera faite de l’inscription à la formation pour des professions où il y a surnombre, n’en voudront pas moins tenter leur chance d’obtenir cette qualification

Ces non-professionnels dans les limbes de la professionnalisation sont dans une situation malheureuse. Pourquoi l’accepter ? Parce que les deux autres solutions sont pires. D’un côté, il y a le verrouillage de la profession à l’entrée, ce qui ne permet pas la meilleure sélection, puisque celle-ci ne peut alors tenir compte de la diligence qu’auraient mise les postulants rejetés à acquérir les compétences requises. De l’autre, il y a la certification universelle des diplômés, encore pire, car elle sature l’offre et rend utopique la mise en place d’un revenu garanti qui tienne compte des compétences, une différentiation essentielle pour qu’existe la motivation pour une formation permanente.

La situation du non-professionnel surqualifié est le moindre des maux, mais elle est regrettable. Comment l’adoucir ? En ne permettant pas que l’échec au concours de certification interdise de pratiquer une activité professionnelle. Les diplômés qui ont échoué le concours doivent pouvoir exercer sans contrainte à titre autonome une profession qui exige normalement une certification, pourvu qu’ils précisent CLAIREMENT aux utilisateurs de leurs services qu’ils n’ont PAS obtenu cette certification.

Même si on leur permet d’exercer cette profession à ces conditions, il reste deux (2) lourds inconvénients pour les diplômés non certifiés :

A – ils ne sont pas inclus parmi ceux entre lesquels se partage la charge de travail des divers services essentiels rendus à la population et ils ne peuvent donc pas obtenir de l’État le paiement par capitation qui est le moyen par lequel celui-ci en assume le coût. Il est impossible de les en faire bénéficier, puisque le but de cette forme de paiement est justement de déterminer, par la certification, le nombre de ceux qui peuvent obtenir cette rémunération et donc de permettre l’équilibre du budget de l’État ;

B – lorsqu’ils exercent leur droit de demander un travail salarié, leur revenu ne peut s’établir qu’au seuil fixé par le consensus social pour les travailleurs non-professionnels.

Les diplômés non-certifiés auront le choix d’offrir des services de type professionnel à la population malgré ces restrictions… ou de ne fournir que des services de niveau non-professionnel.

16 Les non-diplômés

Les non-professionnels sont les travailleurs qui n’ont pas obtenu par concours la certification de leur compétence. Certains sont des diplômés en attente d’une éventuelle certification et peuvent agir au palier professionnel, mais sans en avoir tous les avantages ; ce sont les « surqualifiés » dont nous parlons dans un autre texte.

D’autres ne sont simplement pas diplômés. Il y aura de moins en moins de ces derniers, à mesure qu’une analyse plus exhaustive des tâches qui constituent le marché du travail permettra d’identifier de nouvelles professions dont la complexité sera moindre que celle des professions auxquelles on pense aujourd’hui. On souhaiterait qu’il n’y en ait aucun, mais on doit néanmoins fixer un seuil minimal de certification.

Ce seuil est arbitraire. Une convention d’opportunité qui changera. Posons au départ l’hypothèse que ce sont les tâches qui n’exigent pas une formation spécifique d’une durés égale ou supérieure à trois (3) mois qui seront dites « à formation courte » et réputées de niveau non-professionnel.

Les travailleurs qui effectuent ces tâches de niveau non-professionnel qui ne requièrent pas de dilpômes seront présents partout. Dans les secteurs primaire et secondaire, où ils s’acquitteront des tâches de type manutention, entretien simple ou gardiennage, mais c’est surtout au secteur tertiaire, qu’on les retrouvera. Ils constitueront la masse de ceux qui effectueront ce qu’on appelle maintenant les « petits boulots ». Ils le feront comme travailleurs autonomes à temps plein ou, souvent, exerceront ce travail en parallèle à un emploi salarié.

Est-ce à dire que tous les non-diplômés qui n’ont pas de formation spécifique égale ou supérieure à trois (3) mois constitueront une masse de travailleurs interchangeables ? Ce serait le cas si seule la formation contribuait à la nature d’un service, mais il est clair que la réalité est tout autre, puisque l’avenir, dans une société tertiaire, est aux fonctions inprogrammables de créativité, d’initiative et d’empathie. Ce sont des fonctions largement indescriptibles et donc que peuvent occuper indifféremment ceux qui ont été ou n’ont pas été diplômés

Les travailleurs de la créativité, de l’initiative et de l’empathie n’ont pas à être certifiés. Ils ne peuvent pas l’être et ils ne doivent pas l’être. Ils n’ont pas être diplômés non plus. Il ne faut donc pas penser que les travailleurs non-diplômés occuperont nécessairement le bas de l’échelle sociale, mais comprendre que, dans une societe entrepreneuriale, ce qui est hors-norme n’est pas nécessairement en-dessous, mais peut être en retrait… ou carrément au-dessus.

La médiane des non-diplôms se situera sans doute, tout comme aujourd’hui, à un niveau de prestige et de revenu plus bas que la médiane des dipl^més. Dans une Nouvelle Société, toutefois, tout comme aujourd’hui, mais encore plus, cependant, ce sont des travailleurs non-certifiés, ou certifiés, mais n’agissant pas dans le domaine de leur certification professionnelle, qui occuperont la base mais aussi le faîte de la pyramide des revenus. Avec l’expansion des communications, la voie royale vers la richesse et la célébrité sera plus que jamais, d’offrir un bien ou un service simple que tout le monde veut… Artistes, sportifs et entrepreneurs divers deviendront donc encore davantage les grands gagnants de la société.

En reconnaissant un clivage entre professionnels et non-professionnels, une économie tertiaire ne renonce donc pas à l’émancipation sociale de ce vaste segment de la population ; elle prend smplement acte d’une réalité : l’exigence opérationnelle d’une garantie du revenu et des balises qu’il faut mettre à cette garantie. La distinction entre professionnels et non-professionnels est une telle balise ; on la pose, mais c’est pour mieux agir sur cette réalité. Avec le revenu garanti, une Nouvelle Société, introduit le meilleur outil d’émancipation sociale.

La condition des non-professionnels est en effet transformée par la garantie inconditionnelle d’un emploi à quiconque peut et veut travailler et l’occasion désormais toujours disponible d’exercer simultanément à cet emploi une activité d’appoint, autonome et légitime. Dans le cadre d’un emploi industriel « à la chaîne », le non-professionnel ne pouvait être qu’un rouage de la machine ; dans une Nouvelle Société, il a la sécurité de revenu et son autonomie. Ceci ne lui donne pas seulement la possibilité d’augmenter son revenu à la mesure de ses talents et de ses efforts, mais lui donne aussi le TEMPS nécessaire pour se réaliser hors du domaine de la production et du travail.

Or c’est ce temps de sécurité et de liberté qui est la véritable clef de l’émancipation. Personne n’a plus à n’être qu’un producteur-rouage ; chacun peut être aussi « autre chose » de son choix : c’est ça, le commencement de l’émancipation. Au rythme où va croître encore l’abondance dans une économie tertiaire et où deviendra plus trivial l’effort requis pour la satisfaction des besoins essentiels, l’assimilation de la valeur de l’individu à sa seule fonction productive va s’estomper et tendre à disparaître.

Dans tous les pays économiquement développés – et en proportion directe de leur richesse – il existe déjà aujourd’hui des sous cultures de non-travailleurs vivant volontairement de l’aide sociale et au sein desquelles se sont développés des critères de gratification et de valorisation qui ne doivent rien à ceux d’une majorité de la société.

Cette situation est aujourd’hui malsaine, puisque ces sous-cultures ne contribuent pas à l’effort commun et abusent donc simplement des travailleurs. Un malaise grandit de ce parasitisme qui donne un sens nouveau aux mots « exploitation » et « aliénations », car il n’est pas conforme à la nature humaine que le loisir soit distribué en fonction inverse du prestige et de la richesse. Une correction pourrait venir et être brutale.

Dans une Nouvelle Société où, au contraire, quand chacun doit fournir un apport, mais où la richesse de la société permet que fournir cet apport puisse cesser d’être la principale préoccupation de l’individu, c’est avec respect que seront traités ceux dont le but dans la vie, lorsqu’ils ont fourni cet apport, sera de se réaliser par « autre chose ». On verra en ces travailleurs non conventionnels, diplômés ou non, une source bienvenue de créativité et donc une richesse pour toute la société. C’est ce respect qui complétera leur émancipation …

17 Les non-travailleurs

Il y a dans toute société le groupe de ceux qui ne travaillent pas. On ne parle pas ici de ceux dont la participation est simplement occultée mais sera reconnue– comme aujourd’hui celle de la femme au foyer, dont nous parlons ailleurs – mais de ceux qui ne peuvent pas participer à l’effort de production. Une société doit poser les bases de sa relations avec ceux-ci en acceptant deux (2) principes complémentaires

D’abord, celui que tous les sociétaires devraient participer à l’effort collectif . Non seulement la participation de tous est-elle indispensable pour maximiser le produit obtenu, mais le sentiment de justice en chacun de nous qui est l’ultime arbitre de nos différends sociaux n’est satisfait que si la distribution de ce produit découle essentiellement à l’apport de chacun à la création des biens et services qui constituent la richesse.

Ensuite, celui qu’à cette justice commutative doit s’ajouter une justice distributive, imposant à la collectivité de subvenir aux besoins de ceux qui sont empêchés pour juste cause de travailler. Cette solidarité n’est pas ue exception, mais la norme. L’élimination des non-productifs dans l’Allemagne nazie à été une phénomène isolé dans l’Occident moderne.

Cette responsabilité de « péréquation » – au sens étymoloqique – est généralement acceptée. Elle ne sera parfaitement satisfaite, cependant, que quand les non-travailleurs involontaires ne reçevront pas une pitance, mais jouiront de conditions de vie comparables à celles de qui peuvent contribuer à la production.

Dans une Nouvelle Société, seuls les enfants, sont absolument exclus de l’effort de production collectif, jusqu’à l’âge dont décide le consensus social. Ceux qui souffrent d’un handicap physique ou mental qui limite leurs activités en sont totalement ou partiellement exemptés, mais à la mesure de ce handicap. Les aînés sont pensionnés à partir d’un âge dont décide aussi le consensus social, mais peuvent continuer de participer à l’effort collectif, à leur discrétion, sous réserve d’une évaluation objective de leur capacité résiduelle.

Dans une Nouvelle Société, les non-producteurs sont dotés d’un revenu d’assistanat à la hauteur de l’évaluation médicale qui est faite de leur handicap physique ou mental. La pension versée aux vieillards et qui leur permet de vivre dans la dignité est la même pour tous. Elle est individuelle et non par famille ou ménage, ces structures sociales étant désormais instables.

L’entretien des incapacités pour motif d âge ou de handicaps constitue déjà une ponction incontournable sur les ressources communes de toute société. Dans une société de haute technicité, toutefois, vient s’ajouter une autre catégorie de « non-producteurs » qui prend une importance énorme et qui peut représenter une charge financière tout aussi considérable: celle des travailleurs en formation. Ils seront de plus en plus nombreux

L’éducation et la formation, sous une forme ou une autre, sont toujours nécessaires et ont toujours existé. Dans une économie avancée, elles vont constituer un prélèvement d’importance sans cesse croissante sur le revenu global de la société. Dans une économie industrielle, à mesure que le travail sous son aspect compétence est apparu comme le facteur le plus critique de la production, on a constaté que le travailleur formé était un « capital fixe » : le plus important et le plus coûteux des investissements pour obtenir une production efficace

Si l’investissement dans la formation du travailleur est déjà la condition sine qua non de la production industrielle d’un bien d’une quelconque valeur, cette exigence est encore exacerbée quand on passe à une économie société postindustrielle.Dans une économie tertiaire, dont la quasi-totalité des activités économiques consiste en services, on voit bien que chaque service est l’expression DIRECTE d’une compétence. Sans cette coompétence, le service n’existe simplement pas ! La formation devient donc la plus importante des activités à promouvoir.

La croissance exponentielle des sciences et des techniques nous a menés au point où un employeur ou un professionnel autonome consciencieux devrait déjà consacrer une part significative de son temps à la mise à jour de sa compétence. Nous en sommes au point où bien des employeurs, dans les secteurs dit « de pointe », reconnaissent se fixer l’objectif à court terme d’avoir continuellement en formation 20% de la main-d’œuvre.

Cela, pour aujourd’hui, mais nul ne sait où cette tendance s’arrêtera. Le besoin de formation augmente quand se réduit le temps qui sépare la découverte d’une nouvelle technique de son application. Le pourcentage de formation augmente, aussi, quand on grimpe dans la hiérarchie des fonctions. Au palier de la recherche, on tend vers 100%, alors que se confondent recherche et apprentissage.

Rien ne nous assure que 30%, 50% ou même plus du temps de la vie professionnelle active du travailleur ne devra pas bientôt être consacrée à sa formation. En production de masse, on tente d’eviter ce grignotage du temps de travail de production réelle par l’apprentissage en réorganisant nos façons d’enseigner et de former, mais il n’est pas dit qu’un jour on ne passera pas plus de temps à apprendre qu’à appliquer ce que l’on aura appris.

Il serait bien trompeur d’assimiler ceux qui sont en formation à des non-travailleurs : la formation est une partie essentielle du travail. Il reste que la formation ne crée pas une valeur qu’on peut consommer sur le champ et constitue donc une épargne forcée, puisqu’il faut en assurer le financement. L’étudiant est un travailleur, mais, dans l’instant présent, il n’est PAS un producteur.

Tout ce temps d’apprentissage pendant lequel il ne produit pas constitue un déboursé énorme pour la société. Une charge que celle-ci ne peut évidemment refuser, puisqu’elle est une condition indispensable de son développement, mais qu’elle doit tenter de détourner de la collectivité vers l’individu.

Que la croissance du nombre des non-producteurs ces variations soit le fait de la démographie, de nos politiques de migration, ou de nos choix sociaux concernant la durée du travail, de l’éducation/formation et du loisir, c’est l’une des variables du travail dont il faut tenir compte. On ne peut gérer correctement la main-d’œuvre que si on tient compte de ses éléments qui ne sont pas « en exploitation » et que l’on en gère les fluctuations.

18 La fin de l’Âge du Labeur

La révolution industrielle nous a apporté l’abondance, mais aussi le chomâge, qui est notre incapacité à réaffecter à des tâches utiles une RESSOURCE précieuse – la main-d’œuvre – dans une structure basée sur l’emploi. Mais nous sommes maintenant dans une économie post-industrielle où le capital humain a la primauté sur le capital matériel.

Cette primauté ne résulte pas de la bienveillance d’une quelconque providence, mais de la simple et rigoureuse logique de la rareté relative des facteurs « capital » et « travail » et des contraintes techniques à leur appropriation respective. C’est la logique du marché elle-même qui soumet désormais le capital au travail en production.

On doit en tirer les conclusions qui s’imposent quant à une inévitable transformation de la nature et du rôle du travail dans la société. Les emplois vont peu à peu disparaître et avec les emploi disparaît aussi le chômage. L’avénement d’une structure de production sous le signe de l’autonomie et de l’entrepreneuriat des travailleurs marque non seulement la fin de l’Ère Industrielle, mais la fin de l’ « Âge du Labeur ». Faisons le point. Facile, car tout tient à un seul sorite.

1. Les emplois dans le secteur industriel doivent disparaître pour assurer la productivité: le travail de jadis, ce sont maintenant des machines qui le font et elles peuvent produire bien plus que nos besoins matériels l’exigent. La haute technologie ne créera qu’un nombre infime d’emplois et, si un investissement en équipement n’est pas rentable, c’est le travail à vil prix des pays en voie de développement qui prend la relève. Nous n’avons donc besoin que de moins en moins de travailleurs industriels. Ce dont nous avons besoin, désormais, c’est de produire plus de services dans les secteurs éducation, santé, culture, loisir, sécurité, communications, distribution, et d’assurer la gestion courante et le progrès de notre économie et de notre qualité de vie.

2. Même dans le secteur tertiaire, les emplois répétitifs vont de plus en plus être confiés à des ordinateurs et la hausse de notre niveau de vie, qui découlera de la rationalisation du secteur industriel, rentabilisera la programmation de toute une gamme de services « simples », éliminant encore d’autres emplois.

3. Les services « simples » qui ne seront pas programmés ne pourront offrir à court terme qu’une rémunération au niveau de subsistance ou plus bas; ils vaudront uniquement pour apporter un revenu d’appoint. Il en sera ainsi jusqu’à ce que le développement de l’éducation ait ouvert à la masse des travailleurs l’accès à la fourniture de services complexes, ce qui prendra … disons quelque temps. En attendant, le revenu découlant des services simples restera inévitablement « au noir » et nous créera des problèmes croissants, jusqu’à ce qu’on ait enfin la sagesse de le « blanchir ». Le blanchir, c’est le traiter comme un revenu d’appoint acceptable qui doit être accessible à tous, en parallèle à un emploi salarié quand faire se peut, et sans que ce revenu d’appoint ne remette en cause le salaire qui joue le rôle auparavant dévolu aux paiements d’assistanat.

4. À moyen terme, tout ce qui peut être fait par une machine sera fait par une machine. Le plus tôt sera le mieux, car il n’y a rien d’évolutif à demander à un être humain un travail d’automate. Le travail digne d’un être humain, ce sont les fonctions de créativité, d’initiative et de relations humaines, celles dont la machine ne peut pas s’acquitter. Tous les emplois qui ne font pas appel à une ou plusieurs de ces trois aptitudes fondamentalement humaines doivent disparaître et VONT disparaître. Toutes les fonctions et tâches qui ne consistent pas uniquement à appliquer ces aptitudes « inprogrammables » seront modifiées pour s’y restreindre.

5. Dans le domaine des activités inprogrammables, il y a un travail infini à faire, mais un emploi salarié
traditionnel n’est pas le meilleur encadrement pour ce genre de travail. Les employeurs privilégient donc la substitution des travailleurs par des machines et la réduction des coûts qui en écoule, plutôt que l’amélioration des services, tandis que la structure d’emploi empêche l’utilisateur, qui est le seul capable de le faire, de contrôler les aspects essentiels de la qualité du service inprogrammable qui lui est rendu. Ce sont donc des travailleurs professionnels autonomes qui prendront peu à peu la relève des employés.

6. Quant à la masse des décideurs, à tous les niveaux de la structure de production, la tendance est claire vers de nouvelles modalités de relations de travail et de rémunération qui se rapprochent bien plus du travail autonome que de l’emploi traditionnel. Il restera toujours des salariés dans le secteur public – juges et ministres, par exemple – mais ce sera ceux dont on peut raisonnablement supposer que le salaire n’est pas le seul éléments de leur motivation. Pour l’immense majorité des travailleurs, le travail salarié est une structure désuète d’encadrement.

La marche vers l’autonomie est irreversible. Cessons donc de nous leurrer et d’agir comme si nous vivions une récession comme les autres et que demain, l’année prochaine, ou dans 20 ans, on devait espérer qu’il y aura comme avant « une job steady et un bon boss » pour tout le monde. Nous ne vivons pas une simple récession, mais la phase finale engagée depuis quelques décennies d’une transition en marche depuis le début de la révolution industrielle.

Nous ne vivons pas au Québec une crise québécoise, ou en France une crise français, mais une crise mondiale. Il y aura de moins en moins d’emplois, jusqu’à ce qu’il n’en reste que ce qu’il faut pour encadrer avec souplesse et protéger une masse de travailleurs autonomes qui ne penseront pas en termes de dur labeur, de sueur et de corvée, mais en termes de recherche, de reflexion, d’initiative et de communication.

L’Âge du Labeur est fini. L’avenir du travail, c’est le travailleur qui découvre qu’il est un entrepreneur…. et l’entrepreneur qui comprend qu’il a été un précurseur dans un monde où travailler prend un sens nouveau. Un monde où il n’y a plus se salariés à exploiter, mais encore des financiers dont il faut parfois se méfier…

19 Au-delà des emplois

Quand le travailleur redevient autonome, c’est un gain net pour la qualité de vie et la dignité humaine. À court terme, toutefois, nous vivons une transition extrêmement pénible pour ceux qui en sont victimes: les exclus du marché du travail.

Cette transition, difficile en elle-même, le devient encore plus parce que nos gouvernants ne prennent pas les mesures nécessaires pour la gérer. Ils ne les prennent pas, à cause d’un malentendu: on s’acharne à vouloir créer des emplois, alors que le vrai défi est bien de remettre tout le monde au travail, mais de le faire principalement hors de la structure de l’emploi. L’emploi est une façon désuète de travailler et il y en aura de moins en moins.

Considérant les inactifs, le système des emplois ne fournit plus, en moyenne, qu’une vingtaine heures de travail salarié par semaine au travailleur d’un pays occidental développé. C’est peu pour tous, ou rien pour beaucoup. Il est dangereux de ne pas le dire, car, en gardant le silence, on retarde la prise des mesures nécessaires pour faire face à cette situation. Disons-le clairement: il n’y a pas d’espoir raisonnable à court terme que des emplois en nombre suffisant soient créés et que la crise du travail se résorbe d’elle-même.

À long terme, la crise du travail peut se terminer d’elle-même, bien sûr, comme un incendie qui se termine quand il n’y a plus rien à brûler. La crise du travail se terminera d’elle-même quand tous les emplois salariés qui exigent de la créativité, de l’initiative ou une communication interpersonnelle autre que coercitive – c’est-à-dire la majorité des emplois actuels et la quasi totalité des emplois potentiels futurs – auront été remplacés par d’autres modalités d’encadrement du travail et de rémunération.

Ceci arrivera qu’on le veuille ou non; c’est une conséquence directe de l’évolution du marché du travail qui accompagne la satisfaction de ce qui était auparavant nos seuls besoins, connus et standardisés et donc largement produits en industrie… et la prise de conscience de l’importance croissante de nos nouveaux besoins : du sur-mesure… et des services. Une production qui exige des travailleurs autonomes et une structure entrepreneuriale.

Les besoins changent. On peut « laisser faire », dans le strict respect du dogme libéral et, quand il ne restera plus rien de l’ancien à brûler, le marché du travail retrouvera un nouvel équilibre; la crise sera terminée. On peut laisser faire. Mais est-ce bien notre choix de société de tolérer sans intervenir la somme de souffrances personnelles et tous les bouleversements sociaux qui découleront de cette attitude de laisser-faire?

L’immense majorité des travailleurs actuels – qu’il faudrait recycler et réaffecter à une production de services et de produits sur mesure en mode quasi-artisanal – n’ont pas reçu l’éducation ni la formation professionnelle qui leur permettrait de s’adapter à cette nouvelle structure du travail et de devenir des travailleurs autonomes. Ils n’ont pas les ressources financières requises pour lancer une entreprise, ni les connaissances techniques pour la gérer. Le système ne les aide pas à acqurir ce qui leur manque pour effectuer la transition. Il ne leur donne pas la SECURITE de revenu qui leur permettrait de prendre le risque de l’initiative dans l’autonomie.

Privés de leur emploi par les progrès de la technologie, beaucoup de travailleurs deviennent des chômeurs, puis quittent définitivement un marché du travail où ils n’ont plus leur place et sont réduits au statut d’assistés. 

Au lieu de lutter pour une réintégration au systeme de production de ceux qui ne travaillent pas, l’État,  pour maintenir la demande effective, mise  sur un assistanat d’appoint. On estindifférent à la déconstruction de la psyché des travailleurs comme à celle de la structure normale des échanges qui doit maintenir dans une société les principes de la justice commutative, sous peine que cette société ne se désagrège.

Ne parlons même pas ici des deux-tiers de la planète, où les trois-quarts des travailleurs ne produisent plus rien pour l’économie globale, se limitant à travailler d’expédients pour leur autoconsommation ou des opérations de troc primaire. Ne parlons pour l’instant que du quart de la main-d’oeuvre des pays développés qui a déjà été marginalisé ou exclu du système de production. Demain, on déguisera peut-être le phénomène sous des masques différents , mais d’autres travailleurs seront exclus à leur tour, à un rythme qui ira s’accélérant.

Les sans-travail actuels – et une bonne partie de ceux qui sont encore au travail, mais qui en seront bientôt chassés par des machines plus performantes – ne pourront revenir au travail que comme travailleurs autonomes. Le problème est de financer leur transition vers l’autonomie. On ne peut pas continuer à soutenir cette transformation infiniment trop lente en imposant davantage le revenu de ceux qui travaillent pendant qu’une partie croissante de la population ne travaille pas.

 Il faut créer de la richesse en mettant tout le monde au travail. TOUT DE SUITE.

Il faut redistribuer le travail salarié et aider à la création de travail autonome, sans quoi une part croissante de la population vivra l’exclusion, pendant que le fardeau fiscal deviendra de plus en plus insupportable pour une classe moyenne de travailleurs encore au travail dont les effectifs décroîtront et que l’on pousse ainsi à la banqueroute et à la révolte.

Quand on a compris que l’avenir du marché du travail est à l’entrepreneur, à l’artisan, au créateur et au communicateur, il faut relever le défi d’une croissance rapide du travail autonome et promouvoir un nouvelle structure de la main-d’oeuvre qui soit adaptée à ces exigences d’une production post-industrielle.

Pendant que nous mettons en place une structure de travail qui encadrera des professionnels autonomes plutôt que des employés, il ne faut pas, cependant, perdre les acquis de sécurité qui devraient aller de paire avec le développement de notre richesse collective. Il faut conserver les acquis sociaux et instaurer un TRAVAIL REVENU GARANTI. C’est ça, le défi qu’il faut relever. On ne peut y arriver à court terme que par un partage équitable de la masse de travail.

20 Le travail partagé

Pour que l’État puisse garantir un revenu chaque travailleur, il doit se responsabiliser pour le placement des travailleurs. Il faut, pour cela, que des postes de travail conformes aux qualifications de chaque travailleur sans emploi existent en nombre suffisant.  Or, il est clair que ces postes de travail actuellement n’existent pas.

Ils le deviendront à moyen terme, puisque l’on tiendra compte des exigences du marché du travail pour former les futurs travailleurs. C’est ce que fera une politique de main d’œuvre intelligente et, particulièrement, le processus de certification par concours dont nous avons parlé. À court terme, cependant, l’équilibre ne peut être atteint que si l’on procède au partage du travail.

Essentiellement, il s’agit d’affecter un plus grand nombre de travailleurs à l’exécution de chaque objectif de production, ce qui conduit à une réduction du temps de travail de chacun, Le principe est simple, la réalisation est complexe et nous en parlons dans les textes suivants, mais il faut d’abord en comprendre le principe de base et écarter deux (2) idées fausses: celle pernicieuse que le travail partagé mène à travailler moins … et l’autre, erronée, que le but soit de créer des emplois.

Il ne s’agit pas de travailler moins. Le but du partage du travail n’est pas de hâter le saut dans la la civilisation des loisirs. C’est le travail qui crée la richesse et une société où l’on travaille moins est une société qui s’appauvrit. Le partage du travail est une façon de relever le défi de la transformation de notre structure de travail basée sur l’emploi en une structure de travail autonome: une structure mieux adaptée à l’exécution des tâches inprogrammables qui constituent la véritable demande de travail d’une société post-industrielle. Il s’agit de travailler plus et de travailler mieux.

Travailler plus, globalement, parce que le travail partagé fait que l’on travaille tous. On réintègre les chômeurs, les assistés sociaux et les décrocheurs, ceux qui ont cessé de participer, les « déserteurs par résignation » de la population active. L’apport productif de ces gens que l’on remet au travail est un gain net pour la société qui les entretient aujourd’hui sans compensation, dans la mesure où ce qu’ils produiront vaudra plus que la différence entre les prestations qu’ils touchent présentement et les salaires qu’ils gagneront. Il n’y a rien là que d’enrichissant.

Travailler mieux, parce que l’objectif du travail partagé est aussi de libérer une part croissante de la population active d’une partie de ses tâches salariées – lesquelles sont de moins en moins adaptées à nos vrais besoins – pour lui permettre de faire un travail de créativité, d’initiative et de relations humaines pour lequel il y a une demande effective. On a donc tout à fait tort, quand on réclame une équivalence entre la réduction du travail salarié et le nombre d’emplois créés. C’est là, justement, ce que l’on ne veut pas! Ce qu’on veut, c’est un travailleur libéré des heures salariées et qui devienne productif hors de la structure des emplois.

En libérant peu à peu le travailleur du salariat, tout en garantissant son revenu, on lui permet de se recycler sans heurts dans l’encadrement plus motivant du travail autonome et de produire des services mieux adaptés à la demande actuelle dans des activités inprogrammables qui correspondent vraiment à la demande. Le critère incontournable de son utilité est que, s’il en tire un revenu il y a une demande effective pour le service qu’il offre.

Ce passage progressif à l’autonomie est le véritable but. Le partage du travail prend sa vraie dimension et devient une solution valable à nos problèmes, quand on cesse de le définir de manière simpliste comme une réduction du travail en général, pour préciser qu’il ne s’agit d’une réduction progressive que du TRAVAIL SALARIÉ, cette réduction permettant une redistribution de la charge de travail hors de la structure traditionnelle des emplois.

Le partage du travail est un réaménagement des ressources humaines pour qu’elles produisent plus efficacement les services dont nous avons besoin. C’est le passage obligé vers une participation croissante plutôt que décroissante de la population à l’effort de production collectif. Celui dont la semaine de travail salarié passe de 40 à 35, à 30 ou a 20 heures ne reçoit pas un « ticket pour la plage ». On s’attend de lui, au contraire, à ce qu’il contribue encore plus de travail à la société.

Il pourra le faire dans le cadre d’un emploi à temps partiel pour son salaire garanti; mais durant la partie de son temps dont il aura été libéré par le partage du travail, il agira en parallèle comme travailleur d’autonome ou participera à un programme d’apprentissage. Le travailleur reçoit son revenu garanti en échange d’un emploi; c’est la responsabilité absolue de l’État de le lui procurer s’il en fait la demande. Simultanément, il développe – ou met à profit s’il la possède déjà – une compétence supplémentaire dont il pourra tirer un revenu comme travailleur autonome. Un revenu à la mesure de ses efforts, de son talent et de son ambition.

La sécurité du revenu est le premier pas. En garantissant à tous la sécurité du revenu, on élimine le besoin de défendre la permanence dans quelque emploi que ce soit, ce qui ouvre la porte à un réaménagement de la production, à un accroissement accéléré de la productivité dans le secteur de production des biens – et donc à un enrichissement collectif. Le second pas, c’est le partage du travail qui rend la mobilité possible, accroît la production  et permet d’affecter plus de travailleurs à la formation.

Rémunéré pour des heures d’emploi salarié, le travailleur, hors du cadre des emplois, assume sa créativité et son initiative ou améliore ses compétences par recyclages successifs. Il saute d’un emploi salarié à un contrat de services, à un statut de travailleur autonome, à une entreprise personnelle… ne retombant que bien involontairement dans le cadre contraignant d’un emploi salarié, lequel sera devenu pour lui un simple filet de protection sous ses voltiges. C’est le travail autonome qui va devenir la norme… et personne ne sera plus jamais exclu.

021 La problémstique séduisante du travail partagé

Tout d’abord, précisons qu’il ne s’agit pas de contester cette évidence qu’une société où l’on travaille moins est une société qui s’appauvrit. Nous sommes bien d’accord: c’est le travail qui crée la richesse. Ceci dit, là n’est absolument pas le fond du débat quant on parle de «travail partagé». Le fond du débat, c’est que les emplois ne constituent plus une structure adéquate du travail dans une société où le travailleur n’a plus à exécuter de tâches répétitives. Dans cette nouvelle société, le défi est désormais de créer une structure du travail qui permette au travailleur de contribuer à la production ce que les machines et les ordinateurs ne peuvent fournir : la créativité, l’initiative et l’entregent.

Cette structure devra promouvoir le travail autonome et professionnel, l’entre-prise personnelle, la sous-traitance, le travail par équipes coopératives plutôt que les emplois. Elle devra aussi, toutefois, garantir la sécurité du revenu et un partage équitable de la masse de travail, sans quoi nous ne pourrons maintenir et améliorer notre niveau de vie. Il y a environ quarante ans que notre système cherche à accoucher de cette nouvelle structure. C’est une transition difficile et nous sommes dans la dernière phase du processus. On n’arrêtera pas cet accouchement; il s’agit de le rendre moins pénible.

Le travail partagé est une façon de le rendre moins pénible. Comme le revenu annuel garanti, comme une formation professionnelle adéquate, comme la mise en place d’une éducation de base raisonnable. Tous ces éléments sont complémentaires. Essentiels à la naissance réussie d’une nouvelle société. Le Travail partagé en est un volet qu’il faut comprendre. Partager le travail (salarié) ne veut pas dire travailler moins – on ne travaillera moins que quand tous nos besoins seront satisfaits, ce qui n’est pas bientôt ! – mais travailler autrement. Le partage du travail ne nous appauvrit pas; il nous enrichit. Doublement.

D’une part, il s’agit, bien sûr, de réintégrer les chômeurs, les assistés et les décrocheurs, ces « déserteurs par résignation » de la population active. L’apport productif de ces gens remis au travail sera un gain net pour la société – laquelle les entretient aujourd’hui sans compensation – dans la mesure où ce qu’ils produiront « vaudra » plus que la différence entre les prestations qu’ils touchent présentement et les salaire qu’ils gagneront. Rien là que d’enrichissant, et nous ne parlons pas dans cette vision « économique » du bénéfice social de cette réintégration, tout en notant qu’il n’est pas négligeable.

D’autre part, l’objectif du travail partagé est aussi de libérer un part croissante de la population active d’une partie de leur tâche salariée – laquelle est de moins en moins adaptée aux besoins et à la demande – pour lui permettre de faire un travail de création, de décision, de relations humaines. Car Bariteau à bien raison de dire que, si on réduit la semaine de travail, il y aura baisse des revenus à moins qu’il n’y ait « autre chose pour compenser ». Il faut que cet « autre chose » soit là, et cet « autre chose » est le travail autonome. Ceci nous enrichit encore plus.

En effet, celui dont la semaine de travail passe de 40 à 30 heures – ou de 39 à 32 comme on le souhaite en France – ne reçoit pas un ticket pour la plage. On s’attend de lui, au contraire, à ce qu’il contribue une activité productive encore plus grande à la société. Mais une activités autonome. Kahn, de l’Événement du jeudi , a tout à fait tort quand il réclame une équivalence entre la réduction du travail salarié et le nombre d’emplois créés. C’est là, justement, ce que l’on ne veut pas.

Ce qu’on veut, c’est un travailleur libéré des heures salariées qui devienne productif hors de la structure des emplois. Productif immédiatement – ou à terme, s’il doit être recyclé pour assumer sa nouvelle fonction de travailleur de la créativité et de l’initiative – mais productif dans des activités de services qui correspondent vraiment à la demande actuelle, le critère simpliste mais incontournable de son utilité étant que, s’il en tire un revenu, il y a une demande effective pour les services qu’il offre.

On veut que le travailleur, « employé » à mi-temps, redevienne par étapes un travailleur à plein temps. Indépendant. Professionnel. Le travail partagé, c’est une transition: le saut inéluctable vers le travail autonome, avec une sécurité d’emploi comme filet sous le trapèze. Le vrai défi du travail partagé est logistique: l’insertion sans heurts de ces prestations autonomes dans notre économie et la distribution équitable du double enrichissement qui en résultera. En favorisant l’initiative, soit, mais en protégeant aussi le revenu des victimes innocentes d’une transition dont nous profitons tous. Les méthodes pour le faire sont connues: il ne manque qu’une décision politique en faveur de la SOLIDARITÉ.

Qu’on le regrette ou non, la réduction du temps de travail (salarié) n’est donc pas la civilisation des loisirs. C’est un ré-aménagement des ressources humaines pour qu’elles produisent plus efficacement les services dont nous avons besoin. C’est le passage obligé vers une participation qui soit croissante (plutôt que décroissante) de la population à l’effort productif collectif. C’est surtout l’occasion, dans un monde où la spécialisation impose l’interdépendance, d’exprimer une solidarité face aux coûts sociaux du changement sans laquelle, comme société, nous n’avons aucun espoir de garder le rang privilégié que nous y occupons encore.

22 La logistique du partage

Partager entre tous le travail à faire est une idée séduisante, mais qui semble totalement irréalisable. Nous ne sommes pas interchangeables, nous sommes tous différents. Complémentaires. Nous ne sommes plus des paysans ignares transportant des pierres pour bâtir la Cathédrale de St-Machin. Nous ne sommes plus les pierres en carrière, nous sommes les pierres en ordre et chacune à sa place. Nous SOMMES la cathédrale !

Le partage du travail est-il possible, où est-ce une façon ridiculement simpliste de prétendre que, se voulant égaux, on deviendra semblables et que chirurgiens et garçons d’ascenseur n’auront qu’a s’échanger leurs fringues au besoin pour que les problèmes soient résolus ? Non. Sur le plan technique, le partage du travail est complexe, mais tout à fait possible. Nous avons maintenant les outils informatiques et de traitement des données pour le faire.

Toutes les opérations nécessaires à la mise en place du travail partagé sont connues et désormais bien en deçà des limites de nos techniques d’analyse. Ajoutons que le coût de fonctionnement d’un tel système est théoriquement nul, puisque les ressources requises pour ce faire existent déjà ; il ne s’agit que de les réassigner.

Bien sûr il faudra former des travailleurs, mais pas plus qu’on ne prévoit d’ores et déjà de le faire. Il faut affecter les bonnes ressources humaines et techniques aux tâches d’inventaire, d’analyse et d’appariement, comme nous le voyons au texte suivant,, mais le coôut de cette opération est relativement modeste. Il faut surtout affronter les problèmes et décider de les résoudre.

Premier problème : on ne peut pas réduire également la semaine de travail de tout le monde. Une semaine de 35 heures pour tous – ou de 25 ou 45 heures, d’ailleurs – n’est pas opportune. Pourquoi? Parce qu’il y a des métiers où il y a un manque de main-d’oeuvre et que, si on réduit sans discernement la durée du travail de tout le monde, on va créer des goulots d’étranglement. Comment partager équitablement le travail salarié? Il faut procéder par une réduction sélective du temps de travail, par professions.

Il faut réduire au départ le maximum annuel des heures de travail selon l’offre et la demande de chaque profession, puis modifier périodiquement ce maximum au vu d’un suivi continu, selon les résultats obtenus. L’inventaire des ressources ainsi que l’analyse des postes nous apprendront – voir le texte texte suivant – ce qui doit être partagé et entre qui le partage doit se faire, l’étape suivante consiste à s’assurer que les participants ne seront pas lésés.

Le travailleur doit conserver son salaire d’avant partage, quelle que soit la réduction des heures de travail qui lui est imposée. L’employeur ne paye que pour les heures travaillées, au travailleur dont l’horaire est reduit ou  a celui qui le remplace,  mais par dfinition au meme prix. Les deux parties ayant un intêt àu partage -l’employeur en pouvant diminuer ses couts et le travailleur  en pouvant travailler moins pour autant, le partage se fera sans contestation.

La répartition théorique est facile. Dans la pratique, le partage exige une extrême souplesse. Répartir entre 40 opérateurs de machines le travail de 30, dans une industrie de 1 000 employés, n’est pas si compliqué, même si l’entreprise doit surmonter quelques problèmes d’utilisation des équipements. À la limite, on peut simplement réduire à 30 heures la semaine de travail de 40 heures. Mais la situation-type est beaucoup plus complexe.

Que doit faire la petite entreprise dont les 25 employés sont répartis entre 15 catégories professionnelles, quand la durée du temps de travail dans chacune de ces catégories a été réduite selon une logique stricte d’absorption des surplus de main-d’oeuvre, avec pour résultat que certains de ses employés travailleront plus, d’autres moins, et presque personne pour une durée identique? Comment faire fonctionner une entreprise dans ces conditions apparemment cauchemardesques?

En posant d’abord que c’est la durée ANNUELLE du travail qui varie pour chaque catégorie professionnelle et que le système de répartition ne prendra pas un malin plaisir à trancher avec minutie. Posons l’hypothèse que la durée annuelle du travail salarié variera par unités discrètes de 50 heures et se situera au départ entre un minimum de 500 et un maximum annuel de 1200 heures.

Ensuite, acceptons d’emblée que toutes les combinaisons de partage du temps avec lesquelles l’employeur et l’employé seront d’accord seront permises, l’option par défaut d’accord étant celle d’une réduction simple de l’année de travail. Dans le pire des cas, l’entreprise fait donc face à ce qui prend l’allure d’une succession de départs de ses employé pour des vacances prolongées; elle aura eu le temps de prévoir les remplacements, voire de former les remplaçants.

Dans la plupart des cas, l’entreprise se sera entendue avec ses employés pour des réductions sur mesure – certains écourtant leur semaine ou même leur journée de travail – et aura harmonisé sa production pour tirer parti des circonstances. Souvent, le temps des nouveaux embauchés n’equivaudra pas aux réductions de temps du personnel en place: c’est l’équipement qui sera amélioré et la productivité augmentera.

 C’est le meilleur des cas, car le but n’est pas de créer des emplois mais de travailler plus et de travailler mieux.

Si une première réduction du temps de travail dans une profession donnée n’amène pas une création d’emplois, prenons note que le processus de production est désormais plus efficace. Répétons l’exercice jusqu’à ce que le point soit atteint ou l’employeur a VRAIMENT besoin d’un travailleur de plus et l’embauche. C’est à ce moment que l’emploi est solide; on vient alors de toucher la réalité. Avant que ce seuil ne soit atteint, on se raconte des histoires et on bâtit sur des sables mouvants.

Beaucoup de petites entreprises prendront la « solution de facilité »: elles renonceront à la structure salariale et négocieront avec leurs employés des ententes de partenariat par projets et de rémunération par participation aux profits. Avec la garantie d’un revenu qui ne bronche pas, le travailleur montera-t-il aux barricades pour s’y opposer ? Cette solution de facilité est aussi la voie royale vers une restructuration accélérée du marché du travail. C’est la meilleure solution.

23 Inventaire et analyse

Pour effectuer de façon efficace le partage du travail entre tous ceux qui doivent et veulent encore avoir un emploi, il y a des prérequis nécessaires. Il faut connaître l’offre et la demande pour chaque profession, donc faire l’inventaire de nos ressources humaines; il faut établir une maquette des postes de travail disponible dans la structure de production des biens et services et prévoir, pour un horizon raisonnable, ceux qui seront créés; il faut enfin mettre en place un système d’appariement à la fine pointe de l’informatique des demandes et des offres d’emplois.

Il faut faire l’inventaire professionnel des ressources humaines

. Pour l’employeur, un travailleur est une ressource humaine: le dépositaire d’une « compétence », c’est-à-dire d’une aptitude mise en valeur par une connaissance. Si nous voulons affecter le mieux possible les travailleurs et satisfaire à l’offre d’emploi de façon optimale, il faut identifier tous les travailleurs selon leurs compétences et savoir non seulement de quoi, mais de qui on parle, quand on discute des sans-travail, des travailleurs autonomes et des autres.

Nos travailleurs demeurent aujourd’hui pour nous des inconnus. Nous en sommes encore au niveau où l’on ne tient compte que d’une parcelle de leur compétence, souvent celle liée aux exigences du dernier poste qu’ils ont occupé, alors qu’il faudrait en connaître tout l’éventail. Nous ne connaissons pas les travailleurs ni leur potentiel; c’est une lacune qui doit être comblée.

Nous devons identifier les connaissances que possède chaque travailleur, qu’elles proviennent de sa formation ou de son expérience. Or, si les diplômes du travailleur font foi des connaissances qu’il a acquises en formation, un examen et quelques tests seraient nécessaires pour valider celles qu’il a acquises par expérience. Le système ne fait pas systématiquement cette validation. Cette réticence à identifier les acquis cache un refus de comparer l’apport de l’éducation formelle à celui de l’expérience « sur le tas » et la crainte de ceux qui contrôlent la pratique exclusive d’une profession de voir s’y infiltrer de nouveaux concurrents.

La justice et la rationalisation de nos ressources humaines exigent de reconnaître à chacun sa compétence réelle, sans aucune discrimination quant à la manière dont cette compétence a été acquise. Nous ne connaîtrons vraiment les ressources humaines dont nous disposons que quand nous en aurons fait l’inventaire et aurons enregistré tous nos travailleurs. Seule cette information permet une gestion effective de ses ressources humaines.

Il faut que l’expérience et la formation de chaque travailleur soient analysées à partir d’une grille commune et qu’il y ait une table de correspondance entre les codes du ministère de l’Éducation et les codes utilisés sur le marché du travail. On peut alors émettre et remettre au travailleur sa vraie « Carte de compétence ». Ce travail n’a jamais été fait.

Il faut aussi connaître les caractéristiques des postes de travail. Ne pas disposer de cette information est aussi bête que de produire sans se consulter des vis et leurs écrous. Or, ce travail n’a jamais non plus été fait.


 C’est un travail ardu, puisque les postes sont nombreux, varient selon la taille de l’entreprise, sont en perpétuel changement pour s’adapter à la technologie et sont souvent identifiés de façon fantaisiste. Analyser tous les postes de travail d’un système de production et en constituer la maquette n’est pas une sinécure !

Un travail ardu, mais les outils existent depuis longtemps pour le faire Vers la fin des années soixante, on a développé au Québec un système d’analyse des postes de travail couplée à une méthode de préparation de programmes didactiques qui a été exporté à profit en Tunisie, au Maroc, au Portugal et ailleurs… même au Rwanda !

 Ce système, pour l’instant ne sert vraiment qu’au recyclage. Avec quelques modifications, il pourrait être généralisé à toutes les entreprises de plus de vingt (20), voire de plus de cinq (5) employés. Nous pourrions vraiment connaître le système de production et ses exigences. 

Nous pourrions prévoir et suivre dans le temps les variations qualitatives de chaque profession et de ses avatars.

Nous pourrions prévoir avec une moindre marge d’erreur et pour un horizon plus éloigné la demande de main-d’oeuvre pour des catégories professionnelles plus fines et donc la demande pour chaque module du système d’éducation et de formation professionnelle. On disposerait de « l’ensemble d’arrivée » sur lequel viendraient s’appliquer les éléments d’un « ensemble de départ » que constitueraient les « Cartes de compétence » résultant de l’inventaire de nos ressources humaines. Nous pourrions alors faire des mariages vraiment heureux entre l’offre et la demande de travail.

Il faut qu’un « Bureau du travail » fasse la paire entre les demandes et les offres d’emplois. Des services similaires sont aujourd’hui offerts, mais en l’absence d’un inventaire des ressources humaines et d’une analyse complète des postes de travail, ils ne permettent pas tous les mariages heureux qu’on pourrait. 

Les mécanismes d’appariement dont nous disposons aujourd’hui deviennent totalement inacceptables quand on met en place un système de travail partagé, qui exige que l’on connaisse à tout moment l’adéquation entre l’offre et la demande dans chaque catégorie professionnelle.

Le travailleur, à partir d’un guichet automatique, doit pouvoir introduire sa Carte de compétence, connaître immédiatement tous les emplois disponibles pour lesquels il est qualifié et recevoir, les instructions et commentaires pertinents. Par une opération supplémentaire, il doit pouvoir, s’il le veut, transmettre à l’employeur son nom et ses coordonnées, voire tout son résumé déjà inscrit au système. Il doit pouvori, de la même façon, connaître à tout moment les programmes de formation auxquels il a accès.

 Tout ceci est aujourd’hui techniquement trivial.

Quand on connaît « en temps réel » l’offre et la demande pour chaque profession – tenant compte des substitutions qui résultent de ce que chaque travailleur est qualifié pour tous les postes dont l’analyse révèle que le contenu est entièrement inclus dans le contenu d’un poste pour lequel il s’est qualifié – le partage du travail devient possible.

Les responsables disposent de l’information pour réduire sélectivement la durée de travail pour les professions où il y a un surplus de main-d’œuvre. Ils peuvent planifier la création d’emplois de durée moindre, ramenant au travail les sans-travail qui possèdent ces compétences spécifiques en proportion directe des réductions du temps de travail appliquées.

24 Les temps libérés

Que se passe-t-il dans la structure de production après le partage du travail ? En entreprise, la production continue, on produit tout autant et sans doute sans davantage, mais avec une main-d’oeuvre réduite à l’essentiel. C’est le but visé et la voie vers une meilleure productivité : un enrichissement collectif dont les politiques sociales de l’État voient à ce qu’il soit mieux distribué.

Chaque année à date fixe, la durée légale du travail est modifiée pour les diverses catégories d’emplois identifiées par le Ministère du Travail. Les employeurs s’y ajustent, en négociant avec chaque travailleur un cédule de travail qui leur conviendra à tous deux. S’ils ne s’entendent pas, libre à l’une ou l’autre des parties de passer au Bureau du Travail et de demander une autre affectation.

Si c’est l’employeur qui manque de souplesse, il vivra une rotation accrue de son personnel qui n’améliorera pas ses rendements… Les inconvénients suffiront à assurer sa négociation de bonne foi. Le travailleur aussi doit s’adapter. S’il change d’emploi, son salaire n’en sera pas affecté. S’il en abuse, cependant, il terminera errant d’une entreprise à l’autre, sans vie professionnelle vraiment digne de ce nom.

Le temps de travail du travailleur est réduit, il a dsormais le choix en deux (2) options. La première, c’est d’accepter une affectation complémentaire que lui désignera l’État. Ce sera alors à l’État de décider, pour le bien commun, si cette affectation doit consister en un apprentissage ou en une participation à des Travaux d’Intérêt Collectif (TIC). Quelle que soit cette affectation, le principe en sera que le travailleur y oeuvrera pour tout le temps de travail dont son emploi a été réduit, en considération de quoi il touchera globalement la même rémunération que si son emploi n’avait pas été partagé.

Les travaux d’intérêt collectif (TIC), seront définis de manière à ne pas perturber la structure de production – puisqu’il ne s’agit pas de concurrencer le secteur privé à rabais – et à utiliser au maximum les compétences disponibles pour lesquelles il n’y a pas une demande suffisante. Les travaux d’intérêt collectif doivent servir à équilibrer le marché du travail, tout en comblant un besoin social. Les travaux d’amélioration de l’environnement et de soutien aux malades et personnes âgées peuvent, entre autres, en fournir l’occasion.

En ce qui concerne la formation, le travailleur pourra présenter sa candidature à tous les programmes de formation pour lesquels il possède les prérequis, mais c’est l’État qui décidera s’il y est admis ou s’il doit participer aux travaux d’intérêt collectif.

La deuxiéme option du travailleur dont le temps de travail a été réduit, c’est de garder la disponibilité de son temps. Il peut alors se livrer à n’importe quelle activité légitime non-salariée. Il est rémunéré au prorata du temps d’emploi qu’il maintient. S’il choisit cette option de travail en parallèle, il prend le pari qu’il peut retirer d’une heure de son travail autonome une compensation supérieure à une heure de son travail salarié d’avant parrtage, qui est ce que l’État lui donnerait pour sa participations aux TIC ou à la formation..

S’il fait ce choix, il n’est affecté ni à des travaux d’intérêt collectif, ni à des cours de formation: il est libre du temps dont son emploi a été libéré. Si son travail autonome est fructueux, son revenu global augmentera. Sinon, il diminuera. Le travailleur peut décider sciemment de se contenter d’un revenu moindre et d’augmenter son loisir… Le choix qu’il fait du travail parallèle ou du loisir n’est pas critique, puisqu’il peut en tout temps le modifier et demander une affectation.

Même ceux dont l’objectif à moyen terme sera de travailler en parallèle pourront trouver plus avantageux de choisir d’abord l’option d’une affectation, cherchant à obtenir la formation qui leur permettrait d’acquérir les connaissances nécessaires pour lancer leur entreprise personnelle. Si leur candidature à la formation n’est pas retenue, ils pourront encore modifier leur choix et prendre la voie du travail en parallèle plutôt que celle des TIC.

La durée du travail salarié va varier d’une profession à l’autre et aussi fluctuer dans le temps. Au moment du partage du travail, une réduction de la durée du travail – et des licenciements nombreux – permettent de vider certaines professions de leur excédent de main-d’œuvre. L’affectation à la formation plutôt qu’aux TIC du nombre souhaité de ces travailleurs en surplus permet de préparer des ressources qualifiées pour les professions où il y a encore une demande non-satisfaite de main-d’oeuvre. Dès que ces travailleurs sont formés, ils sont affectés à ces professions et le déficit s’y résorbe.

Des réajustement annuels seront nécessaires pour un temps, mais quand les surplus de main d’oeuvre auront été requalifiés et les déficit comblés, le temps de travail pourra redevenir « normal », par étapes ; on ira donc vers une nouvelle norme interprofessionnelle du travail salarié « à temps complet », mais prenant en compte le travail autonome. À quel niveau se situera cette nouvelle norme ?

Considérant les contraintes techniques à l’autonomie et l’opportunité de ne pas affecter uniquement aux TICS les travailleurs qui voudront se prévaloir du revenu-travail garanti, on voudra peut-être 10, 15, 20 heure/semaines de travail salarié… Cette norme tendra naturellement à décroître.

Elle sera d’ailleurs indicative, seulement, et ne mettra pas fin aux variantes selon les professions ; celles-ci seront redéfinies sans cesse de façon empirique, pour refléter la progression du travail autonome dans chacune. La norme du « temps complet » servant de référence devrait baisser sans cesse et l’écart du temps de travail salarié entre les professions se réduire par la priorité de formation aux professions en déficit.

Peu à peu, certains travailleurs qui auront bien réussi comme travailleurs autonomes en parallèle à leur emploi, ne voudront plus d’une contrainte qui les laisse continuellement à la merci d’une mise à pied. Ils abandonneront d’eux-mêmes leur emploi et choisiront de transformer leur travail autonome parallèle en un travail à temps plein. Il en sortira un entrepreneur de plus, un employé de moins. On aura fait un pas sans douleur vers l’avenir, dans le respect des droits acquis et du libre choix de l’individu.

25 Le travail paralllèle

Le travail partagé  facilite ce saut inéluctable vers le travail autonome, en rendant possible qu’on le tente « en parallèle » à un emploi, avec une sécurité de revenu comme filet sous le trapèze. On favorise ainsi l’initiative, mais en protégeant les victimes innocentes de cette transition vers l’autonomie dont nous profitons tous. Son apport fondamental, toutefois, c’est qu’il est créateur d’une richesse réelle.  On permet un travail qui répond à une vraie demande.

Pour le faire il faut changer notre approche actuelle de l’aide aux sans-travail. Celle-ci est basée sur la situation dite « normale » du travailleur qui a un emploi et la notion de justice distributive. Si ce travailleur-ci perd son emploi, on présume qu’il ne travaille pas. S’il ne travaille pas, il faut lui fournir un revenu minimal de subsistance, sous une forme ou une autre. S’il recommence à travailler – ou plutôt, si on le surprend à travailler – on n’a plus à lui fournir ce revenu.

Cette vision ne colle plus avec la réalité, parce qu’il y a présentement une demande énorme dans notre société pour des services qui peuvent être rendus par des travailleurs sans formation ou dont les compétences sont surabondantes sur le marché du travail. Dans certaines profession, la moitié des services sont rendus au noir. Ces services sont essentiellement ceux que le travailleur autonome peut produire en sus de son travail salarié.  Il y a une demande pour le travail des sans-travail. La demande pour les « services simples » qui remettrait les inactifs au travail est là.

Hélas, cette demande n’est effective qu’au prix que peut demander, pour rendre ces services, le travailleur au noir qui en demande peu parce qu’il ne cherche à en tirer qu’un revenu d’appoint. 
 Elle n’est pas effective au prix qu’en demanderait une compagnie spécialisée ou un travailleur autonome soumis à la fiscalité qui souhaiterait en retirer son revenu complet. Le consommateur ne veut pas payer ce prix pour ces services.

Il faut donc qu’on puisse être à la fois, un travailleur autonome et un employé dont le revenu est garanti. Le mot-clé est ici « parallèle ».  L’accepter c’est remettre en question notre conception de l’assistanat et forcer la révision tant de nos programmes sociaux que du contrat social implicite entre le travailleur et l’État.  Mais il faut le faire, car le marché exige un prix pour les « services simples »  – les services que l’individu est convainu de pouvoir se rendre à lui-même sans avoir une compétence particulière –  qui soit inférieur ou équivalent à celui du travail au noir… sans quoi il n’est pas preneur.

Si ces services ne sont pas offerts à ce prix, qui, pour le travailleur, ne peut correspondre qu’à un revenu d’appoint, une demande demeure insatisfaite, alors que quelqu’un qui pourrait la satisfaire ne travaille pas.  C’est une situation absurde… qui crée un marché qu’on dit noir parce que l’État me l’approuve pas, mais où les deux parties trouveraient leur avantage à s’entendre.  Un exemple type de ces prohibitions contre nature qui ne sont jamais respectées.

Il faut ignorer l’Histoire pour penser qu’on pourrait éliminer efficacement le travail au noir par la répression. Il serait d’ailleurs particulièrement odieux de sévir trop brutalement contre des travailleurs au noir au seuil de la pauvreté, pendant que la drogue, le tabac, l’alcool font encore l’objet de trafics mal réprimés. Il vaut mieux « blanchir » le travail au noir, c’est-à-dire laisser travailleur faire ce travail au prix du marché.  Le fisc y perdrait ? C’est justement la preuve que notre fiscalité est bancale et nous en parlons ailleurs.

Dans un système de travail partagé, tous les travailleurs qui le désirent tirent un revenu d’un emploi salarié dont la durée a été réduite, le corollaire étant que nul travailleur apte au travail ne touche plus un revenu sans avoir fourni sa cote part de travail. Puisque personne ne reçoit plus une aide financière sans apporter sa juste contribution en travail, on ne peut accuser qui que ce soit de vendre ses services à rabais en profitant d’un soutien que lui apporte la collectivité.

Celui qui s’est acquitté du travail salarié pour lequel il reçoit son revenu garanti ne commet donc  rien de déloyal en utilisant le temps libre que lui consent le travail partagé pour devenir un travailleur autonome et offrir, « en parallèle » à son emploi, tous les services qu’il peut fournir, au prix dont il convient. 

 Ces services incluent, entre autres, ceux qui sont aujourd’hui rendus au noir. Le travail parallèle blanchit le travail au noir.

On doit blanchir le travail au noir. 

 C’est une situation type où la loi du marché doit s’appliquer sans contrainte, puisqu’il ne s’agit pas de services essentiels pour l’acheteur et que le prix qu’en retirera le fournisseur de services ne représente pour lui qu’un revenu d’appoint.  Il faut le faire vite, car cette prohibition, dans une économie de services et de sous-emploi chronique, ne permettra pas de harnacher cette bête avant qu’elle ne nous désarçonne. Le travail au noir n’est que la première manifestation d’une désobéissance civile qui peut se propager et détruire notre société.

N’y a-t-il pas un danger que le travailleur « en parallèle » mette progressivement en péril de plus en plus d’emplois dont il concurrencera la production à meilleur prix, toujours parce que son travail parallèle ne vient que compléter le revenu qu’il tire se son emploi?  Bien sûr… et ce n’est pas un inconvénient. C’est ce qui entraînera le remplacement des emplois par le travail autonome dans tous les cas où le travail autonome est plus efficace. Le défi n’est pas de préserver ces emplois, c’est de garantir au travailleur le revenu qu’il en retirait. Tant mieux s’il passe ensuite de plus en plus de temps hors de la structure des emplois. C’est la transition qu’il faut gérer.

L’avenir du travail en parallèles est prometteur. Certains des fournisseurs de ces services « en parallèle » connaîtront le succès. Quand le marché sera porteur et que leur rémunération horaire pour leur activité parallèle dépassera celle de leur revenu d’emploi, ils auront la réaction normale de renoncer à leur emploi et de se consacrer entièrement à leur travail autonome. Ceci d’autant plus facilement, qu’ils pourront TOUJOURS revenir à un emploi salarié quand bon leur semblera. Le travail parallèle aura conduit à l’autonomie.

26 Le loisir en banque

Les besoins de la production ne peuvent correspondre à une répartition satisfaisante de la charge entre les travailleurs que si le nombre des travailleurs est minutieusement ajusté pour chaque profession.  Une organisation intelligente de la formation va permettre à terme qu’il le soit, mais hic et nunc, ce n’est pas le cas.  On ne peut satisfaire aux besoins de la production qu’en exigeant des divers groupes professionnels des prestations globales de durées différentes.

Le système actuel a résolu le problème en faisant varier le nombre des travailleurs dans chaque catégorie et en excluant les travailleurs en surplus. C’est cette solution bête et méchante  – mais simple – qui a permis de maintenir la rigidité des heures de travail.  Le travail partagé va être plus complexe à gérer. On veut qu’il soit équitable, mais qu’il ne devienne pas une contrainte. Cela n’est possible que si une grande flexibilité existe quant à la façon de faire ce partage.

On ne peut obtenir le résultat souhaité en créant le minimum de distorsions dans la production et le minimum d’inconvénients  pour tous, que si on laisse employeurs et salariés  décider eux-mêmes de la façon la plus commode pour eux de diminuer la durée du  travail. Seule la durée annuelle des heures de travail permises pour les diverses professions sera donc fixée par la loi ; il sera discrétionnaire  que l’’on fasse varier le nombre d’heures de travail par jours, celui des jours ouvrables par semaines ou celui des semaines de travail durant l’années.

Pour que le travailleur conserve son salaire d’avant le partage, il suffira qu’il fournisse à son ou ses employeurs le nombre d’heures de travail par année correspondant à sa profession et que, pour faire l’appoint de ses heures de travail antérieures, il  accepte son affectation par l’État a des cours de formation ou à des Travaux d’Intérêt Collectifs (TIC) d’une durée flexible.  L’employeur lui payera ses heures travaillées et l’État lui payera la différence. Le travailleur touchera ainsi son plein salaire d’auparavant, mais il recevra normalement en plus une formation et/ou fournira sous forme de produit TIC des services utiles supplémentaires.

Au moment du partage, il est vraisemblable que l’employeur  complétera ses effectifs et que de nouveaux travailleurs seront embauchés qui seront rémunérés avec les sommes déduites du salaire des travailleurs dont la durée d’emploi aura été réduite.  Pas toujours, toutefois ; il est possible que l’employeur satisfasse ses besoins en utilisant moins de main-d’œuvre.

S’il y parvient, ce sera une bonne nouvelle ; il économisera sur ses salaires et pourra donc investir davantage en équipements ou en procédés qui lui permettront d’autres économies… Dans un régime de revenu-travail garanti, une mise à pied n’est plus une catastrophe, c’est une opportunité. Pourquoi ne pas, plus simplement et sans partage, affecter aux TIC et à la formation les travailleurs déjà en chômage ?  Pour trois (3) raisons.

D’abord, parce qu’on ne répartirait pas alors l’effort de formation sur l’ensemble de la main-d’œuvre ; on le concentrerait  sur ceux qui n’ont pas manifesté l’initiative de s’adapter eux-mêmes aux changements du système de production. Une sélection contre nature.

Ensuite, parce qu’on ne fournirait pas alors aux employeurs une occasion et une motivation pour augmenter leur productivité  en réaménageant leur main-d’œuvre et qu’on ne pourrait non plus favoriser le passage de  tous les travailleurs vers le travail autonome en leur donnant la chance de le faire au départ en parallèle à un emploi salarié.

Enfin, parce qu’on n’aurait pas alors prétexte pour procéder à une diminution constante des heures de travail salariés sans réduction de salaire; or, c’est cette diminution qui équivaut à une hausse du taux horaire et permet de distribuer au travailleur sa part en loisir des gains de productivité. En principe, on tentera donc de répartir entre tous les travailleur le travail salarié, l’affectation aux TIC, celle à la formation… et le loisir.

La diminution des heures de travail – un phénomène en marche depuis des décennies – est la reconnaissance de cette valeur qu’est le loisir. Une richesse, qui doit aussi être distribuée équitablement. La montée du travail autonome rendra cette décision du loisir plus facile et plus flexible – chaque autonome prendra bien le loisir qu’il voudra – mais le système  instrumentera néanmoins le loisir pour palier les inévitables difficultés d’ajustement de la main-d’œuvre à la demande de travail.

Souvent, pour mieux arrimer la production d’une branche d’activité à celle d’une autre, le système pourra souhaiter que certaines professions travaillent moins ou davantage pour un temps.   Il pourrait y parvenir sans difficultés indéfiniment en augmentant le pourcentage des heures accordées à la formation ou aux TICS, mais les travaux collectifs, les recyclages et perfectionnements ne doivent pas être inutiles. Ils doivent répondre à un besoin.

On voudra aussi parfois, pour éviter des goulots d’étranglement, accélérer  la formation  de certains travailleurs et ralentir celles des autres. Il peut donc être opportun, parfois, pour la société comme pour les individus, que certains travailleurs  soient mis simplement « en loisir ».  Il faut que le loisir fasse partie de l’équation.

Comment concilier le besoin que certains travaillent plus, avec la volonté que le loisir soit réparti équitablement ? Une distribution équitable du loisir ne peut se faire à l’horizon d’une année, car les déséquilibres entre offre et demande doivent être résorbés par la formation, laquelle ne peut produire ses effets que sur une période d’années.

Cette conciliation n’est donc possible que si est allongée la période de référence durant laquelle les loisirs peuvent devenir  égaux pour tous. On peut faire au travailleur « crédit » de son obligation de travail pour son revenu – et percevoir au plus vite ! – ou, au contraire. lui mettre du loisir en banque.

Il faut que le travailleur à qui l’on demande de travailler davantage pour un temps puisse récupérer son loisir, qui sera alors différé et non perdu.  Il faut penser à une « Banque du loisir » qui, sur la durée d’une vie, lui permettra de travailler plus ou moins, sans que son revenu – ni l’équité ! –  n’en soit affectés. À la limite, c’est sa pension qui lui sera payée plus tôt ! Il faut donc penser « plan de carrière » pour le travailleur.

27 Le plan de carrière

L’individu qui a droit à un revenu a l’obligation réciproque d’un apport de travail à la société.  Il a en principe 50 ans pour s’en acquitter. La vie professionnelle du travailleur s’étendra en principe sur 50 ans. De 17 ans, quand il termine le Cycle Général d’éducation que tout citoyen doit compléter, à 67 ans, quand il a droit à la pension des aînés.

Nul ne l’oblige à prendre cette retraite à 67 ans, mais, qu’il la prenne ou non, toucher sa pension à cet âge est pour lui un droit acquis. Discrétionnaire à 67 ans pour tous, la retraite sera pourtant  obligatoire, à 75 ans, pour tous les postes publics auxquels on est nommé ou élu.

Lorsqu’il atteint 67 ans, tout citoyen touche la pension uniforme dont le consensus social aura jugé qu’elle est raisonnable pour satisfaire les besoins de l’individu. S’il est un travailleur autonome, poursuivre sa carrière est son choix. S’il est salarié, libre à un employeur de l’embaucher, mais il devra annuellement subir un examen médical qui établira qu’il a toujours l’énergie et la vivacité qu’exigent les fonctions qui correspondent à sa compétence certifiée.

Il peut travailler, mais c’est sa pension qui est devenue son revenu garanti. C’est désormais à la discrétion de l’État, selon les besoins en main-d’œuvre dans sa profession, que le travailleur se verra offrir ou non  un travail salarié qu’il sera d’ailleurs toujours libre de refuser.

Le Plan de Carrière de l’individu va de 17 à 67 ans. Un plan qui sera plutôt une esquisse, car la réalité y apportera continuellement des changements. Ce « plan de carrière « n’aura rien de contraignant, on pourra en changer en tout temps. Pour  la plupart des travailleurs, ce plan définira surtout leurs ambitions quant au volet de travail autonome qu’ils souhaitent se créer. Durant ces cinquante ans, l’individu-type devrait néanmoins pouvoir imaginer sa vie en y prévoyant des périodes de travail, de formation et de loisir.

Le travail  lui est garanti, mais aussi une formation continue. Une formation professionnelle initiale, relativement courte si on la compare à la durée totale de la formation qu’il recevra tout au long de sa carrière, puis ensuite, tout au long de sa vie, deux (2) types de formation complémentaires qui en marqueront les étapes.

D’abord, il recevra des stages périodiques de mise à jour de ses connaissances qui maintiendront sa qualification de départ et il devra parfois s’inscrire  à des phases de recyclage – durant lesquelles sa rémunération demeure inchangée – qui deviendront de plus en plus fréquentes à mesure que l’évolution technique accélérera les déplacements et conversions de la main-d’œuvre.

Ensuite, il aura accès aussi, pratiquement en tout temps, à des formations de perfectionnement à la mesure de son ambition comme de ses aptitudes, qui lui permettront de poursuive  son cheminement en améliorant ses connaissances et en accédant à d’autres paliers professionnels pour lesquels il pourra être certifié. Il pourra ainsi, au cours de sa vie, développer tout son potentiel et accéder par concours à des certification successives de plus en plus élevées et rémunératrices

La carrière de tout travailleur apparaîtra comme une séquence  de périodes de formation, entrecoupant des périodes de travail dans des fonctions en constante redéfinition.  On comprend pourquoi, dans ce schéma – qui est le seul compatible avec l’évolution technologique annoncée – le revenu-travail garanti est tout à fait incontournable.  Celui qui voudrait rester immobile et inchangé ressentirait vite le stampede de toute une société en mouvement lui passant sur le corps.

Il est indispensable que chaque individu dispose, au moment d’entreprendre sa vie professionnelle, avant la fin de ses études générales, d’un plan dont il discutera avec son Conseiller-Orienteur et qui le guidera dans sa carrière.  Ce plan, bien sûr, ne se réalisera  que bien rarement comme souhaité. Il prévoira donc des alternatives, des « plans B », des réorientations, des risques calculés, des redressements…

Ce plan de carrière sera un élément indispensable -mais seulement un élément ! – d’un dessein plus vaste que l’individu se fixera.  Ici, nous mettons l’accent sur le travail, car c’est bien le retour au travail, en effet, qui est la clef: la condition préalable à une Nouvelle Société. Cette condition satisfaite, toutefois, la production et donc le travail, dans une société d’abondance, vont perdre beaucoup de leur importance…   Une contribution de bonne foi à l’effort productif est nécessaire, mais on jugera de moins en moins du succès de l’individu et de sa valeur comme être humain selon le seul critère de sa productivité.

La priorité sera mise partout – dans le travail lui-même, mais aussi hors du travail – sur la créativité, l’initiative et l’interface entre humains.  Dans ce contexte, le Plan de Carrière personnalise les objectifs de production du travailleur. Il les relativise, surtout, en mettant en évidence que ce Plan de carrière, n’est qu’un aspect d’un « plan de vie » que chaque individu se trace et dont l’évaluation doit rester subjective.

La vie ne doit pas proposer un seul, mais plusieurs buts vers lesquels on puisse se diriger. C’est à cette condition qu’une société peut tolérer la compétitivité sans concession dans la sphère professionnelle d’un système « par concours » comme celui que la certification  met en place.  Il ne faut pas que s’établisse une unidimensionnalité qui transformerait  la quasi-totalité des citoyens en perdants – ce qui est le risque intrinsèque à une société de compétitivité – mais que la pluralité des buts acceptés et socialement valorisés soit telle que chacun puisse se percevoir et être perçu comme « le meilleur » en quelque chose.

Le bonheur de chacun et la paix sociale pour tous passent par la complémentarité qui rend tous les sociétaires utiles et, à la limite, indispensables. Le « Plan de Carrière » qui exprime le lien objectif entre le plan de vie de l’individu et le projet collectif d’un société, n’est donc pas un ajout cosmétique.  Il est ce qui donne son sens à l’individu en lui proposant dans le corps social un rôle qui peut devenir sa mission.  C’est la réponse à la désintégration de la société qui a été l’effet pervers de son industrialisation. Une brèche dans la motivation que nous pouvons désormais colmater.

28 Le barème

Un revenu garanti ?   Bravo, mais lequel ? Le revenu de l’individu, c’est ce dont s’accroît en continu son patrimoine.  On peut en déduire ses dépenses et voir son enrichissement, mais ce n’est pas ici pertinent. Dans une société d’équilibre parfait, ce revenu serait entièrement consommé, moins une part prédéterminée réservée à l’épargne et à l’investissement dans une éventuelle production à venir. Nous n’en sommes pas là…

Ce revenu peut être acquis par le travail.  En bonne justice commutative et selon les vœux de la sagesse populaire, ce revenu correspondrait exactement pour chacun à son apport à la société. Mais il n’est pas ainsi.  Ce revenu, aujourd’hui, peut être obtenu par une rente, un retour sur le capital et, aussi, par les diverses formes de gratifications ou d’assistanat que l’on trouve en société.

Ici, nous parlons travail et c’est le revenu qui correspond à un travail qui nous intéresse. Dans une société entrepreneuriale, le travailleur-type est autonome et il vend ses services. Dans une société tertiaire, Il peut souvent les fournir au consommateur de ce service lui-même. La production de biens matériels n’étant cependant pas totalement automatisée, l’industrie n’en demeure pas moins une activité fondamentale de la société et le travailleur va donc aussi vendre ses services à un producteur qui les utilise.  Parfois, sa relation à ce producteur deviendra  celle d’un vendeur à un client, mais elle pourra être aussi demeurer celle d’un salarié à un employeur.

C’est quand on est dans cette relation d’emploi qu’on parle de salaire. Rien, dans une Nouvelle Société, ne doit s’opposer, à ce que le travailleur et le producteur déterminent entre eux le prix des services ou le salaire du travailleur. Il est clair, cependant, dans la mesure où le travailleur n’est pas unique et irremplaçable, que cette liberté permet qu’un marché se crée et qu’il y aura négociations, le prix du marché devenant  l’indicateur autour duquel oscille la rémunération du travailleur.

Pas question pour l’État de s’immiscer dans la négociation directe des salaires, non plus que des contrats de ventes de services. Si pour diverses raisons l’État veut modifier ce prix indicatif du marché, il n’a pas besoin  d’une intervention coercitive, il peut le faire de  façon  bien plus efficace en manipulant les variables sur lesquelles il a un contrôle.

Le contrôle de l’État sur ce marché du travail est presque parfait, puisque les critères de certification dont nous avons parlé lui permettent d’ajuster l’offre de services à la demande avec d’autant plus de précision qu’il sera diligent dans son suivi des embauches que son système d’appariement lui permet de connaître au jour le jour.

Quand l’État garantit un revenu, la négociation  entre employeurs et employés reste ouverte à la hausse – des circonstances particulières, dont l’État n’a pas à connaître, peuvent justifier qu’un employeur rémunère un travailleur à un prix bien supérieur à celui du marché – mais le revenu garanti correspondant à sa qualification que l’État offre au travailleur sans emploi devient le prix plancher sous lequel sa rémunération ne baissera pas. On peut présumer, en effet,  que, si ce salaire ne lui est pas offert, le travailleur quittera  son emploi et s’adressera  à l’État pour obtenir un emploi à ce montant qui lui est garanti.

La question cruciale à régler est donc uniquement le montant du revenu garanti. Les autres salaires, librement négociés, s’ajusteront à ce montant majoré d’une prime dont les fluctuations indiqueront la tendance du marché et serviront de guide à l’État pour modifier sa politique de formation et de certification.

Combien au revenu garanti ? Définir le montant du revenu garanti minimal global est trivial, car il y a un revenu NATUREL de base qui s’impose: celui qui rend effective la demande des consommateurs pour la production globale.  La politique d’une Nouvelle Société, toutefois, n’est pas de traiter le revenu garanti comme une aumône, mais comme l’exécution d’un contrat entre l’État et les travailleurs aux termes duquel chacun reçoit le revenu qui correspond à ses compétences acquises certifiées par l’État lui-même.  Il y a donc DES revenus garantis et le barème des revenus à distribuer à chacun est une affaire complexe.

À partir de cette donnée sur la demande effective qui doit déterminer le revenu du travailleur sans compétence spécifique, on construit donc l’échafaudage complexe de la distribution des revenus.  Ce barème reflète le jugement de la société sur la valeur relative de la possession des compétences variées dont les combinaisons constituent la maquette des postes de travail à remplir.

Traditionnellement, il y a des écarts énormes dans la rémunération de ces diverses compétences. Elles reposent en théorie sur l’opinion que l’on se fait de leur utilité, mais, en pratique sur des hypothèses quant à la rareté relative des talents nécessaires pour les acquérir.  Du moins, c’était le cas à l’origine. Désormais, elles reflètent surtout le pouvoir de négociation de corporations qui se sont créées au fil du temps et qui ont imposé leur échelle des valeurs.

Une Nouvelle Société contestera cette échelle traditionnelle et donc statique des valeurs; mais elle le fera prudemment.  On peut adopter la position que toutes les compétences ont la même valeur, puisqu’elles sont toutes indispensables ; mais c’est une forme d’angélisme que ne préconise pas une Nouvelle Société. Le but visé est que les écarts de revenus correspondent à un consensus social.

Ce consensus social pourra être éclairé par la mise en évidence des conséquences qui pourraient résulter d’un nivellement excessif. La tendance à long terme, dans une société d’interdépendance et de complémentarité, sera nécessairement que ces écarts se rétrécissent, mais l’on ne fera pas de croisade pour accélérer indûment cette tendance.

La question de la fixation des divers paliers de revenu garanti conduit donc, finalement, à la mise en place d’un processus bien concret pour obtenir un consensus social pour les différences de rémunération et pour leurs modifications sans heurts, au rythme de l’évolution de la société et donc de l’importance changeante des fonctions qui assumeront les sociétaires.

C’est ce processus de détermination consensuelle des revenus du travail par une négociation interprofessionnelle que nous décrivons au texte suivant.

29 La R A P S

La distribution du revenu global dans une société doit permettre la rémunération des trois facteurs que sont la matière première (ressources), le capital et le travail. La répartition entre ces trois facteurs — qui est en fait, si on s’en tient à la richesse réelle, celle des produits et des services eux-mêmes, puis par extension celle des symboles monétaires qu’on choisit pour les représenter — ne peut résulter que qu’une décision politique reflétant l’équilibre des forces dans la société. C’est donc au niveau de l’Assembleé législative que sont votés les paramètres qui fixent cette répartition.

Pour bien comprendre ce dont il s’agit, il faut voir que les règles essentielles du jeu dans une Nouvelle Société sont bien différentes de celle qui s’appliqueraient présentement. Sans entrer dans tous les détails de ces nouvelles règles, qui sont expliquées dans d’autres textes, il est indispensable de préciser ici que les ressources naturelles sont alors devenues  la propriété de la collectivité, même si l’exploitation en est laissé au secteur privé et que, la base même de la fiscalité étant un impôt sur le capital, ce n’est souvent pas tant son accroissement qu’on a à gérer que sa décroissance en gardant l’inflation dans des limites raisonnables.

Ce à quoi il faut ajouter que, d’abord outrageusement biaisé en faveur du propriétaire, puis ensuite de celui qui contrôlait le capital fixe, un partage obéissant à l’équilibre des forces entre les différents facteurs est aujourd’hui, au contraire, bien favorable au facteur travail, lequel sous forme d’une compétence, est devenu le « capital fixe » le plus rare et celui dont le coût tend à devenir le plus élevé.

Cela dit, quelle que soit la part du revenu total que le politique ait accordé à la rémunération du facteur travail, il faut que ce soit les travailleurs eux-mêmes qui décident ensuite de la façon dont doit être réparti entre eux ce revenu qui correspond à leur apport. Cela est possible si est créé un organisme ad hoc qui en discute et en décide : une Régie autonome de la politique salariale (RAPS).

L’objectif concret de la RAPS sera d’accepter annuellement,  à date fixe, un barème de rémunération pour les diverses professions qui fixera le revenu garanti pour chacune et qui, du même coup, servira de modèle et de base de négociation pour les ententes spécifiques  de prestation de services  entre les travailleurs et leurs employeurs ou leurs clients. La RAPS aura deux (2) volets complémentaires.

D’abord, le volet d’une assemblée interprofessionnelle représentative de toutes les professions, les membres de chacune élisant leurs représentants. Il faut voir cet organisme, issu du monde syndical comme de celui des corporations professionnelles libérales, comme le forum où se comparent les avantages et désavantages des divers postes de travail.   On veut que de cette comparaison sorte un consensus entre travailleurs qui réconcilie les exigences de ceux qui auparavant ont été défavorisés avec une protection raisonnable des droits acquis.

Ce débat permanent entre travailleurs devrait permettre la transformation sereine d’une  force de revendication devenue inutile en un lieu de concertation  harmonisant les demandes parfois contradictoires des citoyens dans leurs rôles de producteurs. Dans une société qui s’enrichit et où le choix pour les participants ne sera pas entre perdre et gagner, mais entre gagner et gagner plus, on peut espérer un raisonnable accord sur ce qui semblera juste. Quelle que soit la mesure dans laquelle on parvienne à un consensus, toutefois, on ne cèdera pas à la naïveté de penser que le bien commun sera toujours la priorité première de tous les intervenants

Il y aura donc un deuxième volet à la RAPS : un Collège des Commissaires à la politique salariale.  On pourra discuter du nombre opportun de ces Commissaires. Ils seront élus à vie par toute la population, cette inamovibilité leur conférant l’autorité et la permanence dans leurs fonctions de véritables magistrats.

Dans un premier temps, aussi longtemps que persistera une activité syndicale de revendication et de griefs au niveau des entreprises, les Commissaires interviendront ponctuellement à ce niveau micro dans le cadre d’un arbitrage obligatoire.   Quand on conviendra que le revenu garanti rend cette fonction superflue, c’est un barème annuel de rémunération qui servira de ligne directrice. Tenant compte des droits et même de certains privilèges acquis, mais dans l’optique d’une société d’interdépendance qui réduira peu à peu les écarts traditionnels,

Ce barème devra être approuvé à la fois par une majorité simple de  l’Assemblée interprofessionnelle et par les deux-tiers du Collège des Commissaires à la politique salariale. Seule cette double approbation le rendra exécutoire.  Il y aura des tractations, mais elles devront être parfaitement transparentes et, si le Collège s’oppose à la décision de l’Assemblée, les commissaires devront s’ouvrir publiquement des raisons de leur désaccord.

Pourquoi cette autorité bicéphale ? Pour deux raisons. D’abord, parce qu’il est probable qu’une tendance au nivellement, au-delà de ce que suggérerait un respect des droits acquis, résultera de la simple prépondérance parmi les professions de celles qui se situent en bas de la moyenne de rémunération. La présence des Commissaires à la politique salariale corrigera ce biais.  Ensuite, parce qu’il est inévitable que des pressions s’exercent.

On ne se protégera  jamais trop des tentatives de corruption et la participation conjointe à la décision de gens issus de la structure professionnelle elle-même – qui peuvent avoir un préjugé envers les milieux précis dont ils sont issus – et d’autres qui tiennent leur mandat de la population en général, semble offrir une garantie supplémentaire de légitimité.

Les clauses de rémunération seront approuvées par grappes, chacune de ces grappes, pour qu’elle le  soit, devant respecter la norme fixée par l’Assemblée législative au pourcentage du revenu global consacré à la rémunération du travail et avoir reçu l’accord du Collège comme de l’Assemblée.

Les clauses qui n’auront pas fait l’objet d’un accord  30 jours avant la date prévue pour l’entrés en vigueur du nouveau barème seront soumises au Tribunal civil pour décision finale dans les 7 jours. La solutions des conflits de travail sera ansi devenue un élément de la justice courante d’un État de droit

30  Courtiser la chimère

Quamd on parler de travail partagé..tout le monde est d’accord. … aussi longtemps qu’on reste au pays des Chimères.  L’enthousiasme disaparait dès que’on frôle de trop près une volonté d’action. Pour illustrer cet acharnement à coller au velléitaire, je crois qu,il n’est pas mauvais d »en donner un exemple vécu  tiré du quotidien québécois.  Voici verbatim  une proposition pour un projet pilote ridiculement pusillanime… qui est finalement mort d’avoir été jugé trop audacieux….  Est-il necessaire d’en dire eplus pour montrer la puissante volonté d’inaction de ceux qui devrait penser l’évolution du travail ?

Plan d’Aménagement et Réduction du Temps de Travai

Chômeurs et assistés sociaux confondus, 1 travailleur sur 4 au Québec ne tra­vaille pas. L’État réagit à cette crise par des mesures diverses, dont l’une consiste à réduire le temps de travail des uns pour permettre l’embauche des autres. Dans cette optique, la SQDM a mis sur pied, le 24 janvier 1994, dans le cadre de son Programme de Développement des Ressources Humaines en Entreprises (PDRHE) un Plan d’Aménagement et Réduction du Temps de Travail (PARTT).

Des mesures d’Aménagement et Réduction du Temps de Travail (ARTT) existent un peu partout.  L’importance qu’on leur accorde comme outils de lutte contre le chômage — et la façon dont on les conçoit et on les utilise — varie cependant, selon que l’on croit que la crise actuelle est conjoncturelle ou structurelle.  Ottawa, ad­hérant à une vision conjoncturelle, a mis en place un programme d’ARTT d’aide temporaire; en Europe, en France surtout, on est généralement te­nant de la thèse structurelle, et l’ARTT est souvent présentée sous sa forme la plus simpliste, celle d’une réduction générale de la semaine de travail de 39 à 32 heures: on prévoit  tirer de cette réduction la créa­tion de 2 000 000 d’emplois.

Le PARTT est aussi de l’école «structurelle», puisqu’il vise un ré-aménagement permanent des ressources humaines (voir document: PARTT/SQDM 94.01.24).  L’importance qu’on accorde à l’ARTT est cependant ici bien modeste, puisqu’on pense sauver par ce moyen environ 1 250 emplois par année (voir document: ARTT/DMIE 93.11.10).  Cette position marginale de l’ARTT au Québec, au sein des mesures de création d’emplois, se reflète dans le budget qu’on alloue au PARTT (20 M$ sur 3 ans) et dans la discrétion qui en­toure le lan­cement de cette initiative.

Le projet dont nous proposons suggère de mettre à profit le lancement du PARTT comme mesure ponctuelle pour établir concurremment une stratégie d’application globale du travail partagé (ARTT) comme politique de base de lutte contre le chômage.  Cette approche est justifiée, si on remet la crise actuelle dans son contexte et qu’on donne sa vraie dimension de solution globale au concept du travail partagé.

Le contexte : la crise du travail

 Le travail salarié n’est qu’une des façons de travailler: c’est celle qui correspond peut-être le mieux au paradigme de la production industrielle, quand le travail­leur exécute du “travail en miettes”.  Mais, depuis 50 ans, la main-d’oeuvre dans le secteur industriel est passée de 55 à 19 %.  La main d’oeuvre a migré vers le tertiaire, et là c’est la qualité qui prime et la motivation qui devient un facteur im­portant de productivité. L’emploi salarié — et sur ce point il y a consensus — n’est pas la structure d’encadrement du travail qui génère la plus forte motivation .

Depuis deux générations, le problème a été d’évacuer la main-d’oeuvre du sec­teur industriel vers le secteur tertiaire.  On l’a fait d’abord en copiant pour les ser­vices la structure de production du secondaire, mais il est clair que, dans le ter­tiaire, il faut favoriser le travail autonome et pro­fessionnel, l’entreprise person­nelle, l’auto-gestion, la participation aux bénéfices, le travail par équipes co­opé­ratives… les formes motivantes du travail.

Même dans le secteur industriel à haute-technologie, quand il faut “penser”, les emplois disparaissent aussi vite que le système le permet, remplacés par une structure de sous-traitance, de participation, de “centre de profits” qui, en optimi­sant la motivation, per­met au travailleur de contribuer plus facile­ment à la pro­duction cet apport humain que les machines, les ordina­teurs et les automates, eux, ne peu­vent fournir:  la créativité, l’initiative et les relations humaines.

Les emplois doivent disparaître.  Le défi est d’accepter une croissance rapide du  travail autonome et donc un nouvelle  structure de la main-d’oeuvre adaptée aux exigences d’une production post-industrielle, tout en mainte­nant la sécurité du re­venu et un partage équitable de la masse de travail.  Nous sommes dans la der­nière phase d’une transition difficile, rendue plus ar­due à cause d’un malentendu:  on s’acharne à vouloir créer des emplois alors que le vrai défi est de remettre tout le monde au travail, mais principalement hors de cette structure désuette de l’emploi.

Le concept: travailler tous, travailler mieux

Le partage du travail — que l’on doit toujours entendre ici, en pratique, dans le sens du partage du travail salarié — est une façon de relever et de gagner le défi de la transition vers le post-industriel.  Gagner sur le plan social, en luttant contre l’exclusion qui peut découler d’un réajustement de l’importance relative des compétences; gagner aussi sur le plan économique, si l’on comprend bien qu’il ne s’agit pas par le partage du travail de travailler moins — car une société où l’on tra­vaille moins est une société qui s’appauvrit (c’est le travail qui crée la ri­chesse) — mais de travailler plus et de travailler mieux.

Travailler plus, globalement, parce que l’on travaille tous, grâce à l’apport quanti­tatif des chômeurs et des as­sistés sociaux ré-intégrés à la main-d’oeuvre active et que la société, au­jourd’hui, entretient sans compensation-production. Tra­vailler mieux, en libérant les travailleurs du salariat (par des ré­ductions progres­sives du temps de travail dans la structure des emplois), leur permettant ainsi de se recycler sans heurts dans l’encadrement plus motivant du travail auto­nome et de produire des services mieux adaptés à la demande de notre époque.

Défini non plus de façon restrictive, comme une simple réduction du travail, mais en incluant son aspect dynamique d’une redistribution de la charge de travail et d’un ré-aménagement d’une partie croissante de celle-ci hors de la structure traditionnelle des emplois, le partage du travail prend sa vraie dimension.  Il de­vient alors la façon la moins traumatisante d’assurer un revenu garanti au travail­leur (dans le cadre d’un emploi), pendant que celui-ci assume en parallèle, hors de la structure des emplois — im­médiate­ment, ou à terme s’il doit être recyclé — sa nouvelle fonction de travailleur de la créativité et de l’initiative.  L’ARTT peut tendre, comme un filet sous le trapèze, la sécurité du revenu dans l’emploi pen­dant le saut inéluctable vers le travail autonome.

On comprend que le mot-clef est ici “travail en parallèle”, car il s’agit d’une remise en question de notre conception du travail, avec la révision complexe que ceci exige de nos programmes sociaux.  Il n’y a pas d’autre façon, cependant, dans une économie de services, de harnacher le travail au noir avant qu’il ne nous désarçonne. Le succès de l’ARTT, comme politique globale, exige donc qu’on as­sure la logistique non seulement du partage du travail lui-même, mais aussi de l’insertion de la production du travail­leur auto­nome dans économie et la distribu­tion équitable de l’enrichissement qui en ré­sulte. Ceci sans heurts, en favorisant l’initiative, soit, mais en protégeant aussi le revenu des travailleurs déplacés et les droits de chacun.

Le contexte : la crise du travail

 Le travail salarié n’est qu’une des façons de travailler: c’est celle qui correspond peut-être le mieux au paradigme de la production industrielle, quand le travail­leur exécute du “travail en miettes”.  Mais, depuis 50 ans, la main-d’oeuvre dans le secteur industriel est passée de 55 à 19 %.  La main d’oeuvre a migré vers le tertiaire, et là c’est la qualité qui prime et la motivation qui devient un facteur im­portant de productivité. L’emploi salarié — et sur ce point il y a consensus — n’est pas la structure d’encadrement du travail qui génère la plus forte motivation .

Depuis deux générations, le problème a été d’évacuer la main-d’oeuvre du sec­teur industriel vers le secteur tertiaire.  On l’a fait d’abord en copiant pour les ser­vices la structure de production du secondaire, mais il est clair que, dans le ter­tiaire, il faut favoriser le travail autonome et pro­fessionnel, l’entreprise person­nelle, l’auto-gestion, la participation aux bénéfices, le travail par équipes co­opé­ratives… les formes motivantes du travail.

Même dans le secteur industriel à haute-technologie, quand il faut “penser”, les emplois disparaissent aussi vite que le système le permet, remplacés par une structure de sous-traitance, de participation, de “centre de profits” qui, en optimi­sant la motivation, per­met au travailleur de contribuer plus facile­ment à la pro­duction cet apport humain que les machines, les ordina­teurs et les automates, eux, ne peu­vent fournir:  la créativité, l’initiative et les relations humaines.

Les emplois doivent disparaître.  Le défi est d’accepter une croissance rapide du  travail autonome et donc un nouvelle  structure de la main-d’oeuvre adaptée aux exigences d’une production post-industrielle, tout en mainte­nant la sécurité du re­venu et un partage équitable de la masse de travail.  Nous sommes dans la der­nière phase d’une transition difficile, rendue plus ar­due à cause d’un malentendu:  on s’acharne à vouloir créer des emplois alors que le vrai défi est de remettre tout le monde au travail, mais principalement hors de cette structure désuette de l’emploi.

Le concept: travailler tous, travailler mieux

Le partage du travail — que l’on doit toujours entendre ici, en pratique, dans le sens du partage du travail salarié — est une façon de relever et de gagner le défi de la transition vers le post-industriel.  Gagner sur le plan social, en luttant contre l’exclusion qui peut découler d’un réajustement de l’importance relative des compétences; gagner aussi sur le plan économique, si l’on comprend bien qu’il ne s’agit pas par le partage du travail de travailler moins — car une société où l’on tra­vaille moins est une société qui s’appauvrit (c’est le travail qui crée la ri­chesse) — mais de travailler plus et de travailler mieux.

Travailler plus, globalement, parce que l’on travaille tous, grâce à l’apport quanti­tatif des chômeurs et des as­sistés sociaux ré-intégrés à la main-d’oeuvre active et que la société, au­jourd’hui, entretient sans compensation-production. Tra­vailler mieux, en libérant les travailleurs du salariat (par des ré­ductions progres­sives du temps de travail dans la structure des emplois), leur permettant ainsi de se recycler sans heurts dans l’encadrement plus motivant du travail auto­nome et de produire des services mieux adaptés à la demande de notre époque.

Défini non plus de façon restrictive, comme une simple réduction du travail, mais en incluant son aspect dynamique d’une redistribution de la charge de travail et d’un ré-aménagement d’une partie croissante de celle-ci hors de la structure traditionnelle des emplois, le partage du travail prend sa vraie dimension.  Il de­vient alors la façon la moins traumatisante d’assurer un revenu garanti au travail­leur (dans le cadre d’un emploi), pendant que celui-ci assume en parallèle, hors de la structure des emplois — im­médiate­ment, ou à terme s’il doit être recyclé — sa nouvelle fonction de travailleur de la créativité et de l’initiative.  L’ARTT peut tendre, comme un filet sous le trapèze, la sécurité du revenu dans l’emploi pen­dant le saut inéluctable vers le travail autonome.

On comprend que le mot-clef est ici “travail en parallèle”, car il s’agit d’une remise en question de notre conception du travail, avec la révision complexe que ceci exige de nos programmes sociaux.  Il n’y a pas d’autre façon, cependant, dans une économie de services, de harnacher le travail au noir avant qu’il ne nous désarçonne. Le succès de l’ARTT, comme politique globale, exige donc qu’on as­sure la logistique non seulement du partage du travail lui-même, mais aussi de l’insertion de la production du travail­leur auto­nome dans économie et la distribu­tion équitable de l’enrichissement qui en ré­sulte. Ceci sans heurts, en favorisant l’initiative, soit, mais en protégeant aussi le revenu des travailleurs déplacés et les droits de chacun.

La problématique:  un climat de dernier recours

Correctement lissée pour tenir compte des éléments conjoncturels, la courbe des chômeurs et assistés sociaux réunis est en hausse depuis 40 ans. Chaque jour qui passe prouve que la crise profonde est bien structurelle et que, à moins d’un ré-aménagement global de la main-d’oeuvre — ou d’un cataclysme — cette crise ira en s’aggravant.  Face à cette crise structurelle, l’ARTT est  bien la solution a privilé­gier; mais elle doit être perçue comme une approche globale.  Aucune autre ap­proche crédible, d’ailleurs, ne poin­te à l’horizon: c’est un dernier re­cours.

Dans ce climat, on ne doit pas, toutefois, par opportunisme, donner à l’ARTT comme on le pro­pose maintenant en France, la forme simpliste et absolument délétère d’une simple réduction générale de la se­maine de travail; il faut, au contraire, mettre en place l’ARTT par des mesures sé­lectives rigoureusement planifiées et attentive­ment suivies.  Nous parlons d’un travail d’horloger.  Il faut, surtout, identifier toutes les variables macroéconomiques touchées par l’ARTT et quantifier l’effet des mesures mises en place.  En particulier — et même indé­pendamment de toute préoccupation sociale, par la simple logique implacable du système capitaliste — il faut s’assurer que l’ARTT, à l’échelle macro, n’entraîne pas une réduction du revenu des travailleurs disponible pour la consommation.

Enfin, le succès de l’ARTT — du «partage du travail», en langage ordinaire —  dépendant largement de l’enthousiasme qu’il suscite, il est essentiel que cette mesure soit adéquatement médiatisée et qu’elle soit présentée comme une véri­table solu­tion globale à une population à qui, aujourd’hui, on n’offre plus aucun espoir. Qu’on médiatise l’expérience ou non, d’ailleurs, en l’absence de toute solution de rechange, le moindre succès réel ou présumé du PARTT déclenchera sponta­nément — on l’a vu en France récemment — une demande pres­sante de la po­pulation pour des mesures d’ARTT dont on souhaitera alors qu’elles aient un im­pact vraiment  significatif sur l’emploi au Québec.  Quand cette demande se manifestera, il sera utile de disposer d’une stratégie de ré­ponse.

L’objectif:  une stratégie d’intervention globale ARTT

L’ARTT est une option fondamentale dont l’application est sérieusement à l’étude en France, bien sûr, mais aussi en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Belgique… et même en Russie. Il semble souhaitable que le Québec détermine la faisabilité et le coût/bénéfice de cette option, calculant ses retombées indi­rectes et directes, ce qui permet­tait d’entreprendre, au moment choisi, une appli­cation générale de l’ARTT.  Cette étude préalable est absolument nécessaire, car les condi­tions d’une politique globale de travail partagé sont bien différentes de celles qui s’appliquent à une mesure ponctuelle.

Aussi, considérant d’une part la morosité actuelle et, d’autre part, l’extrême importance d’un climat de confiance pour la mise en oeuvre d’une politique globale d’ARTT  (comme d’ailleurs de toute politique de relance !), il semble bien opportun que l’État puisse d’ores et déjà disposer dans ses cartons d’une stratégie de ré­ponse à une demande de la population qui, si elle voyait une lumière au bout du tunnel,  réagirait mal à des atermoiements.  Disposer de cette stratégie permettrait, le cas échéant, d’énoncer d’expliquer et de justifier sans délai les principales étapes à parcourir pour par­venir à l’universalisation d’une politique de partage du travail.

La stratégie à établir doit identifier les objectifs et les critères, élaborer et choisir entre des hypothèses, proposer un plan et en déterminer les moyens d’action comme d’implantation de même que la structure de gestion, les méthodes, les ressources, etc. Surtout, en l’occurrence, la stratégie doit:

a) préciser l’impact de l’universalisation de l’ARTT et de son fonc­tionnement sur  les grandes variables macroéconomiques: production, salaires, revenus du tra­vail autonome, recettes fiscales, etc.;

b) vérifier la position des partenaires sociaux face à l’universalisation de l’ARTT et aux modalités diverses de son application.

La démarche:  une réalisation par étapes courtes

Le projet que nous proposons devrait être réalisé par étapes courtes, pour deux raisons essentielles. La première, méthodologique, est qu’il faut permettre une évaluation fréquente du dossier ainsi qu’une ré-orientation des objectifs pour te­nir compte de l’évolution de la situation et/ou des préférences des décideurs.  La seconde, éminemment pratique, est que le projet devrait produire, à la fin de chaque étape, une stratégie exécutoire: un outil de planification et d’action, même si cet outil naturellement demeurera imparfait jusqu’à ce que la der­nière étape du projet soit terminée. Ceci afin que, si les circonstances l’imposent, l’ARTT puisse être implantée sans délai à tout moment, sur la base des meilleures don­nées alors disponibles.

Visant à une utilisation potentielle immédiate des données et recherches dispo­nibles, le projet  doit s’efforcer de mener de front tous les volets qu’exige la dé­marche.  Sous réserve d’une liste définitive de ces volets — (ce sera l’un  des objectifs de la première étape du projet de les fixer) — on peut penser à une recherche orientée vers les aspects suivants:

– les principales variables macroéconomiques touchées par l’universalisation de l’ARTT, les liens les unissant, les procédures de quantification, les estimateurs, les indicateurs, etc.;

– les contraintes législatives et constitutionnelles de départ à l’universalisation de l’ARTT et les solutions à y apporter;

– les pré-requis techniques à la mise en place d’une politique de partage du tra­vail: données quantitatives et qualitatives rela­tives au profil des travailleurs et à l’analyse des postes à pourvoir,  actuelles et pour n hori­zons;

– la disponibilité des intrants, ressources humaines, matérielles et financières, pour l’implantation et le fonctionnement d’un programme global d’ARTT;

– les interfaces de l’ARTT et ses conséquences, entre autres, sur les systèmes d’éducation générale, de formation professionnelle et de formation en entreprise;

– les effets de l’ARTT sur les relations de travail, la mobilité des travailleurs, les droits de gestion de l’employeur, la représentation syndicale, etc;

– les instruments concrets à intégrer à un programme global d’ARTT pour assurer de façon efficace le soutien du revenu des travailleurs, la com­pensation des coûts excédentaires des employeurs, et le contrôle et une limitation des dé­penses de l’État;

– les structures et les procédures et mécanismes administratifs d’implantation et de gestion d’un programme global d’ARTT et de ses diverses antennes;

– une politique d’information et de sensibilisation des partenaires so­ciaux, des mé­dias, des autres intervenants et de la population en général qui op­timisera leur soutien et leur participation à la mise en place et au succès d’un programme global d’ARTT.

 Étape #1:  plan & premiers extrants

La première étape du projet que nous proposons, étape dont on devrait fixer la durée à trois ou quatre mois, produira comme extrants sept (7) documents.

Fidèle au principe de ne terminer une étape que par une production im­médiate­ment utilisable, la première étape présentera d’abord, dans la forme préliminaire compatible avec l’état d’avancement des travaux, les extrants suivants:

1) un scénario d’application universelle de l’ARTT dont on aura vérifié l’acceptabilité de chacun des éléments auprès des partenaires sociaux des en­treprises identifiées dans le cadre du PARTT, souli­gnant le cas échéant les points de désaccord;

2)  un modèle illustrant l’impact de l’application de ce scénario sur le re­venu des travailleurs, les coûts des entreprises, les dépenses et revenus de l’État;

3) une séquence complète des activités permettant l’implantation de ce scénario  — et donc l’universalisation de l’ARTT comme mesure fondamentale  de création d’emplois — avec diagramme sagittal de type CPM, et une esti­mation du coût, du temps et des ressources requises pour cette implantation;

4) des recommandations quant à une politique d’information et de sensibilisation à  l’ARTT;

5) une proposition concrète, servant de rapport final ou intermédiaire (selon le cas) à chaque intervention qui aura été initiée au soutien de ce projet auprès d’une en­treprise identifiée dans le cadre du PARTT;

6) un «Livre de bord» détaillé de chacune de ces interventions auprès d’une en­treprise identifiée dans le cadre du PARTT, reliant les conclusions qu’on aura ti­rées de chaque intervention au choix des éléments du scénario d’application universelle de  l’ARTT  qui aura été proposé (voir 1, supra).

La première étape définira ensuite avec précision les étapes subséquentes de la démarche, les volets spécifiques d’intervention, et le coût et l’échéancier de préparation de la stratégie globale.  (7)

Conclusion

 Nous croyons que la solution au problème du chômage passe par une politique globale d’universalisation de l’ARTT; nous vous proposons de développer les éléments d’une telle politique et une stratégie pour son application.  Nous sou­haitons le faire en mettant à profit le Plan d’Aménagement et de Réductions du Temps de Travail (PARTT) du 24 janvier 1994, lequel, dans la foulée du PACTT, prévoit l’introduction du partage du travail.

Pourquoi cette référence au PARTT ?  Parce que le PARTT, même s’il prévoit des objectifs modestes, est une approche raisonnable et pru­dente, adéquate comme  mesure ponctuelle de création d’emplois parmi d’autres, et qui permet de prendre contact et d’initier une collaboration utile avec certaines entreprises inté­ressées au partage du travail.  Ceci peut permettre le testing immédiat, auprès des parte­naires sociaux, de l’acceptabilité de certaines hypo­thèses pertinentes à une uni­versalisation de l’ARTT et de tous et chacun des éléments d’interface clients qui constituent une pièce maîtresse de la formule synthèse qui devra être retenue pour cette universalisation.

Ce testing confère une dimension pratique à notre démarche et constitue un atout important pour valider la stratégie globale à établir.  De plus, indicative seulement au moment de la première phase du projet, cette consultation  des partenaires sociaux dans le cadre du PARTT pourrait, au cours des étapes sub­séquentes, être élargie à un échantillon dont la taille permettrait des résultats si­gnificatifs révélant les attentes des travailleurs et employeurs.

Nous croyons que ce projet répond à un besoin réel, urgent, voire prioritaire dans le cadre de l’examen des mesures destinés à résoudre la crise actuelle du tra­vail.  Nous croyons aussi, si vous souhaitez donner suite à cette proposition, pouvoir vous en assurer la réalisation rapide et efficace.

31 Ce qu’il faut faire

Pour répondre à la volonté ferme de ne rien changer, on ne peut que réaffirmer ce qu’il faudrait faire.  Peut-être, quand la crise aura atteint le point de rupture de la société, verra-t-on la lumière…  La lumiere, c’est de voir que tout le monde gagne au partage du travail. On gagne parce qu’on a travaillé plus: c’est le travail qui crée la richesse. Mais c’est quand on regarde plus attentivement qu’on comprend vraiment tous les avantages du changement. En partageant le travail, on a permis le rééquipement des entreprises et donc des hausses de productivité et un enrichissement collectif réel; on a mis l’accent sur la formation professionnelle qui est notre premier besoin d’avenir; on a maîtrisé le travail au noir qui est le premier péril de désintégration sociale; on a facilité l’évolution de la main-d’oeuvre vers le travail autonome. On a fait ce qu’il fallait faire.

Plus ? Il faut aussi créer un Ministère du Travail, qui soit responsable d’une politique de main-d’oeuvre, du programme de travail partagé, du revenu garanti et de la formation professionnelle spécifique en entreprise. Créer de nouvelles structures ne règle pas souvent les problèmes de fond, mais quand on introduit un changement fondamental dans les responsabilités de l’État, il faut bien, néanmoins, encadrer adéquatement les organismes et les mécanismes qu’on met en place. Un nouveau Ministère du Travail doit regrouper les compétences nécessaires à l’identification et à la prévision quantitative et qualitative en continu de l’offre et de la demande de travail et faciliter l’adéquation entre les deux.

À cette fin, il doit, prioritairement, gérer réalisation d’un premier inventaire professionnel et des suivis subséquents qui en assureront la mise à jour continue. Il doit simultanément veiller aussi à la constitution et à la mise à jour de la maquette des tâches du système de production, en appliquant la procédure d’analyse des tâches du Ministère de l’Éducation qui, pour l’essentiel, est déjà un acquis. Il doit assurer assure le fonctionnement du système informatisé de placement et maintenir une direction de la Recherche pour les fins de la prévision et de l’analyse.

Cela fait, le Ministère du Travail doit procéder à la répartition des emplois et donc prendre en charge la logistique d’implantation et de fonctionnement du programme de partage du travail, incluant les affectations à la formation et aux travaux d’intérêt collectif. Dans un troisième volet, il doit gérer les implications sur le revenu des travailleurs et sur les subventions aux entreprises du programme de partage du travail, incluant la distribution des fonds. Il y a une quatrième mission qui est indissociable de ces actions, mais que nous avons choisi de traiter plus en détail dans la section Éducation.

Reprenons aussi les autres suggestions que nous avons faites dans cette section « Travail » selon ce qui nous apparaît la séquence logique de leur mise en marche.

– Instaurer un système omnivalent de reconnaissance et de certification des acquis professionnels et académiques qui soit indépendant des modalités d’apprentissage.

– Réaliser en toute priorité une analyse de tâches exhaustive permettant la description des postes de travail de l’ensemble des entreprises ayant plus de 20 employés et la compléter ensuite pour les entreprises de 5 à 20 employés).

– Réaliser un inventaire de la population active, de façon à ce que les compétences de quiconque entend participer à la main-d’oeuvre soit connues et exprimées en un langage qui soit compatible, d’une part avec les descriptions des postes de travail et, d’autre part, avec la codification des modules d’enseignement et de formation du système d’éducation.

– Mettre en place un service d’appariement informatisé qui permettra, en tout temps: a) à tout travailleur, de connaître immédiatement tous les emplois pour lesquels il est qualifié ainsi que le cheminement de formation qui le qualifierait pour tout autre emploi; b) à tout employeur, de connaître immédiatement tous les travailleurs qualifiés pour les postes qu’il cherche à combler.

– Modifier la durée légale annuelle du travail – de façon sélective, par groupes professionnels – et procéder au partage du travail de sorte que chaque travailleur puisse être employé à temps partagé dans sa profession.

– Garantir à chaque travailleur un revenu annuel au moins égal à son revenu actuel, en considération de sa participation à la structure de travail salarié pour le nombre d’heures fixées pour son groupe professionnel et de sa disponibilité pour le recyclage ou les travaux d’intérêt collectif pour le temps d’emploi dont il est libéré par le programme de partage du travail.

– Planifier les opérations de recyclage et toute la structure de formation de façon à assurer, le plus vite possible, le passage des travailleurs des secteurs à surplus de main-d’oeuvre vers les secteurs à demande de main-d’oeuvre, égalisant ainsi à la baisse, dans un système de partage du travail, la durée annuelle du travail salarié.

– Éliminer les contraintes qui font obstacle au travail autonome exécuté par un travailleur en parallèle à son travail salarié, de même que celles qui font obstacle à l’embauche et au congédiement des travailleurs par les employeurs selon les besoins réels de la production.

– Dégager de toute obligation de recyclage ou de participation à des Travaux d’Intérêt Collectif pour les heures de travail dont il a été libéré, le travailleur qui prèfère utiliser les temps de travail dont il est libéré pour un travail autonome hors la structure des emplois, étant alors convenu qu’il ne recevra plus que le revenu correspondant au pourcentage dont il choisit de demeurer responsable de la charge de travail du poste partagé avant que le partage du travail ne l’en ait partiellement dégagé

– Financer, pour le démarrage de sa propre entreprise, par un prêt remboursable en dix ans égal à un pourcentage à déterminer de son revenu annuel garanti, tout travailleur employé de façon continue depuis cinq ans et qui soumet un projet raisonnable de travail autonome.

Est-ce tout ? Non. Aujourd’hui, le partage du travail semble la solution à nos problèmes. Mais, si on veut régler vraiment la crise du travail – pour demain, mais aussi pour longtemps ! – le partage du travail n’est pas suffisant; il faut également agir sur le travailleur lui-même. Il faut, si on peut dire, refaire le « monde ». Il faut consentir un effort sans précédent pour l’éducation/formation.  Nous en discuterons au Tome 5 de la Collection NS. Pour l’instant, dans la seconde partie du présent volume, nous allons parler d’argent…

L’ARGENT

 

01 La richesse et son double

A l’origine, la richesse est la possession d’objets qui ont valeur d’usage, c’est-à-dire d’objets dont on peut tirer un SERVICE: une pelle, une vigne, un esclave… Mieux, c’est la possession d’une chose qui produira d’autres choses dont on tirera encore plus de services: une terre qui portera des fruits, une vache qui donnera des veaux, etc. Assez tôt, cependant, pour la commodité des échanges, sont apparus des symboles.

D’abord, des symboles de simple opportunité sont apparus conférent, sans plus, le droit de disposer du bien qu’ils représentent. Un immeuble représenté par un titre de propriété sur une tablette d’argile chez les Sumériens en est un exemple. La possession d’un objet peut alors être dissociée de sa propriété, permettant de grever et de transmettre les biens et les droits qui s’y rattachent en manipulant uniquement des symboles.  On peut bouger un peu.

Des transactions dans le symbolique peuvent aussi prendre effet dans la réalité. Le contenu d’un arrivage, par exemple, peut être représenté par un connaissement. Bien pratique. De sorte que chaque bien réel de quelque conséquence va vite avoir sa représentation symbolique qui en facilite la manipulation et on passe vraiment du troc au commerce,  Bien sûr, il faut faire confiance….

L’idéal est donc de pouvoir se convaincre que le symbole a une valeur réelle intrinsèque. Certains objets, comme l’or et les pierres précieuses, peuvent ainsi prendre une valeur consensuelle reposant sur leur rareté. Même rareté prise en compte, toutefois, c’est dans le consensus et non dans sa substance propre que le symbole revêt une valeur objective qui en fait un moyen d’échange.   Il ne devient donc  vraiment une “richesse” que quand sa valeur fait largement consensus ou mieux, que son usage est imposé.

Ce que comprennent vite ceux qui ont le pouvoir d’en imposer l’usage. Dès qu’un pouvoir crédible nait qui peut faire respecter dans la réalité ce qui est convenu dans l’univers des symboles, des symboles plus abstraits apparaissent dont la valeur ne repose plus sur la rareté ou une quelconque valeur intrinsèque, mais sur le consensus suffisant quant au pouvoir bien réel de l’autorité en place.  Quand ce consensus existe, l’État peut battre monnaie.

L’État qui peut battre monnaie est riche. La richesse, qui jusque-là consistait en bien d’usage meubles et immeubles, peut revêtir la forme de monnaie, un ” bien” dont la valeur propre est nulle, mais  qui assume celle de la crédibilité de celui qui l’émet. Si l’État en a la force, tout peut être à lui en échange de cette monnaie qu’il crée à sa guise.

A lui sans violence, car, dans une société de « droit », l’État se réserve celui d’assigner à toute richesse réelle son double symbolique qui la représente. La valeur de toute chose est exprimée en monnaie, toute transaction est faite en monnaie et toute taxe perçue l’est en monnaie. La richesse réelle ne disparaît pas, mais, par la volonté de l’État, une richesse symbolique – spéculative dans le sens étymologique du terme (speculum = miroir ) – devient le miroir de la richesse réelle.

Toute l’activité économique a lieu désormais dans ce “miroir” que constitue la richesse montaire. Ce qui est immensément pratique, et avoir appris a manipuler des symboles plutôt que des choses a été un grand pas en avant pour l’humanité. Mais il y a tout de même deux (2) inconvénients immédiats à cette monétarisation.

Le premier, c’est que la valeur monétaire de l’objet peut varier indépendamment de sa valeur d’usage, en fonction des prévisions et des fabulations qui circulent quant à la valeur future de l’objet représenté. Cette variation consensuelle de la valeur dans le “miroir”, sans que la valeur réelle de l’objet ne change, constitue la “spéculation” au sens propre du terme.

Les métaux précieux, les œuvres d’art et autres objets auxquels on prête une valeur propre sont en fait d’autres symboles, créés par consensus, dont la valeur est plus ou moins précaire selon la permanence du lien qui les relie une réalité et selon la stabilité apparente du consensus sur lequel ils s’appuient.

Cette précarité ne se manifeste nulle part mieux que dans l’écart entre la valeur aux livres d’une compagnie et la valeur en Bourse des actions qui en constituent la capital social. Les actions du capital social d’une compagnie représentent en principe une part des avoirs réels de la compagnie qui les émet, mais, en pratique, leur valeur marchande repose sur un consensus quant au profit éventuel qu’on en pourra tirer. On spécule beaucoup sur cette variation qui est devenue une bombe amorcée, dans la cave du système capitaliste.

Le deuxième inconvénient, c’est que la valeur symbolique en monnaie des choses peut varier selon le bon plaisir ceux qui déterminent la masse monétaire censée représenter la somme des biens que nous possédons… et donc la valeur réelle de chaque unité monétaire comme la valeur monétaire de chaque chose. Une deuxième spéculation intervient donc constamment, alors que la valeur consensuelle des biens se dissocie de leur valeur monétaire dont c’est celui qui émet la monnaie – en principe l’État – qui est finalement le seul décideur.

Dans une économie monétarisée, tout se passe dans le miroir. Mais il faut se souvenir que la richesse RÉELLE est la valeur d’usage. Car si une catastrophe naturelle ou politique détruit le pouvoir de l’État et rompt le consensus, il n’existe plus d’autre richesse que cette valeur d’usage. Quand le pouvoir qui les sous-tend manque de souffle, les symboles faseyent et perdent leur sens, un à un, en fonction inverse de leur “réalité”. Les titres en bourse et la monnaie d’abord, les oeuvres d’art et autres valeur consensuelles, puis l’or lui-même si l’on en arrive à une pénurie finale.

Seule, en dernier lieu, subsiste la valeur d’usage des choses – terre, outils, nourriture – et même les symboles qui représentent ces choses (titres de propriétés, certificats, connaissements, etc) se transforment en citrouilles quand l’autorité disparaît et que c’est la seule possession qui vaut titre. Il ne faut pas l’oublier.

02 La Banque

La valeur de la monnaie tient au fil du pouvoir et donc de la force de l’Autorité qui s’exerce. Quand un État s’impose, il bât monnaie, garantissant le poids en or ou en argent d’une pièce en y posant son sceau. Quand son pouvoir s’affirme, sa seule signature suffit et le papier peut devenir monnaie. Mais, derrière celui qui tend un assignat et exige du blé, il y a toujours la silhouette d’un homme qui porte une épée ou un mousquet.

Quand on peut avoir le blé pour le papier, le pouvoir tend à se confondre avec la richesse, puisque la richesse apporte le pouvoir, mais que c’est le Pouvoir qui imprime la richesse. Il suffit qu’on y croit. Or celui qui est fort est cru. La richesse se confond pratiquement avec le pouvoir, la promesse devient plus efficace que la menace, la récompense plus que le châtiment… et la corruption, comme outil de gouvernance, beaucoup plus efficace que la violence.  Il ne faut simplement pas laisser oublier que le mousquet qu’on ne montre plus est toujours là quelque part

Le Pouvoir qui est cru  peut créer l’argent qu’il veut et le donner à qui il veut; c’est une création totale, discrétionnaire. L’argent, devenu le symbole ultime du pouvoir, passe sous le contrôle absolu du Pouvoir lui-même. On est riche ou pauvre, désormais, par simple décision du Pouvoir, décision prise et exécutée selon des règles que le Pouvoir détermine. On laisse alors les balbutiements et l’on peut créer un véritable capitalisme.

La règle première et suffisante, celle qui crée le capitalisme et assure au Pouvoir le contrôle imparable des conditions d’échange, c’est que l’argent peut être créé à volonté et que quiconque a de l’argent en reçevra plus. C’est ce qu’on appelle toucher un intérêt. Le montant de cette prime à la richesse est fixé de façon à maintenir la stabilité du pouvoir en enrichissant les plus riches, en préservant l’aisance de ceux qui ont quelques biens et donc quelque pouvoir – au moins celui de nuire – et en exploitant les autres.

On appelle « Banque » l’entité qui gère cette opération récurrente de créer de la monnaie, puis de donner de l’argent à chacun au prorata de celui qu’il a et ce qu’il est, ce qui vaut confirmation efficace de sa place dans la hiérarchie du pouvoir. Il n’y a aucune logique au paiement d’un intérêt par l’État, puisque c’est lui qui crée ou fait créer l’argent, si ce n’est le maintien du pouvoir en place. Les rationalisations qu’on en donne s’appuient sur des pétitions de principe et des sophismes.

Seul un lavage de cerveau incessant empêche la population de se rendre compte que là est la source de toute iniquité. Seule une population totalement endoctrinée peut croire aux balivernes qu’on lui raconte pour justifier ce transfert éhonté de richesse des pauvres vers les riches. Mais acquiescer à cette répartition est la condition essentielle pour en toucher sa part sans discussion. Ce chantage et cette corruption systémique sont les bases des régimes qu’on dit démocratiques, et qui le sont vraiment dans la mesure où une société complexe ne peut fonctionner sans le consensus d’une majorité effective. Si le système fonctionne, c’est qu’une majorité effective est corrompue… et qu’elle chante.

La Banque est toujours un rouage essentiel de la gouvernance. Son importance, toutefois, est telle qu’elle est soustraite aux aléas de la démocratie, soit en rendant inamovibles ceux qui en ont charge, soit en déléguant toute l’opération à des entreprises dont les dirigeants sont cooptés par ceux qui détiennent le pouvoir. Le mécanisme précis de création d’argent passe par le privilège accordé à la Banque de prêter ce qu’elle n’a pas; ce privilège lui est garanti par l’État, lequel “émet des obligations”, qui sont autant de promesses de donner plus à ceux qui ont déjà beaucoup, tout en contrôlant l’inflation qui devrait en résulter en réduisant la consommation de ceux qui manquent parfois du nécessaire.

Le paiement gracieux d’un intérêt par l’État à la Banque détermine le taux d’intérêt à tous les paliers de la structure et équivaut au détournement continuel, au rythme souhaité, de la plus-value du travail de la société vers les membres de l’alliance dominante.  L’exploitation des faibles par les forts existe depuis toujours, mais le procédé du « tout-a la-banque » ne fonctionne vraiment que depuis que l’industrialisation a permis de dégager des surplus significatifs au-delà du niveau de subsistance.

On pouvait auparavant engranger les récoltes et thésauriser l’or, mais la monétarisation et le tout-à-la banque permettent le vrai capitalisme. Aussi longtemps que la richesse a un support matériel, pourtant, la richesse est en péril.  On peut cacher des billets de banques et autres symloles, mais ces biens demeurent appropriables par la violence, vulnérables à des “accidents”, guerres, catastrophes, etc.   La solution finale, pour le capitalisme, a été l’identification récente de la richesse à un symbole totalement intangible et donc PARFAITEMENT contrôlable: l’argent électronique. L’argent électronique est invulnérable.

Il est invulnérable, parce qu’il ne repose sur rien d’autre qu’un consensus. Une note électronique à coté de votre nom, sur un ordinateur, peut faire de vous le maître du monde. C’est une décision libre, réversible, sans contrainte et arbitraire du Pouvoir, le « Pouvoir », dans cette acception, étant l’équipe qui assure le fonctionnement et la permanence du système : l’élément décisionnel de l’alliance dominante.

Le Pouvoir peut effacer cette note électronique à coté de votre nom sur un ordinateur et rien de tangible ne se passe; il peut la ré-écrire, l’effacer à nouveau… la magie n’est pas là. Mais que le Pouvoir fasse connaître OFFICIELLEMENT que la note est là et vous êtes riche.  Il dit qu’elle n’est plus là et vous n’êtes plus rien.  La Banque est souveraine. C’est la situation de César qui ferait apparaître des légions armées en nombre infini d’un simple effort de volonté. Aucune gouvernance n’a jamais été aussi proche d’un pouvoir divin. Tout se passe à la Banque.

03 Le jeu dans le miroir

Avec la monnaie, la richesse est dans le miroir. Avec la Banque, tout désormais, peut se passer dans le “miroir” grossissant et déformant que constitue la richesse symbolique et toute l’activité économique, peut se réduire à une agitation financière dans ce “miroir”. La conséquence de ce détournement du sens de la richesse?  On peut dire « injustice », mais c’est un jugement de valeur. L’effet mécanique, impartial, est la diversion de la capacité collective de développement et de création d’une société, loin de la production du réel, vers la spéculation et des objectifs virtuels.

Créant la Banque et ses œuvres, nous avons mis en place un couple de miroirs grossissants. Ce télescope nous donne de la richesse réelle une image grossie par la spéculation boursière… puis grossie encore par l’illusion monétaire. Non seulement grossie, mais progressivement déformée à mesure qu’on s’éloigne du réel. Parce qu’elle est doublement grossie, l’image finale de la richesse rend encore plus odieuses les inégalités bien réelles de notre société; parce qu’elle est déformée, cette image nous incite à bâtir une société qui n’est plus fermement assise sur les facteurs réels de la production et dont l’équilibre devient donc de plus en plus précaire.

Le centre de gravité de la richesse – boursouflée à son seul sommet  par un apport monétaire fictif – monte au-dessus du seuil à partir duquel la richesse cesse de servir à la satisfaction des besoins et même des caprices, pour devenir uniquement un outil de pouvoir. Les décisions politiques et économiques ne sont donc plus prises en fonction de la production, pour satisfaire les exigences matérielles de la population, même des classes aisées de ces populations, mais selon les seuls impératifs d’un jeu de pouvoir.

Les riches et puissants jouent à créer et à se donner de l’argent. Un argent qui ne représente plus aucune réalité et qu’ils n’utilisent plus jamais pour la consommation, mais uniquement comme un symbole de pouvoir et un outil de spéculation. La priorité économique devient donc de modifier des données comptables, lesquelles serviront d’atouts dans ces jeux pour le pouvoir auxquels le monde ordinaire n’est pas invité.

Ceux dont les besoins sont satisfaits peuvent consacrer désormais toute leur énergie à un jeu qui ne leur procure plus que des gratifications intangibles. La société semble entre les mains d’un enfant qui n’intervient plus que pour s’assurer que la réalité ne faussera pas les péripéties de son jeu  “Le Dow-Jones est à 11 000 !”… et on bat des mains, comme si on avait obtenu une récolte de plus pour ceux qui ont faim !

Mais on ne l’a pas obtenue. L’écart se creuse entre riches et pauvres, car, pour éviter l’inflation, on prend bien soin de ne pas laisser cette richesse virtuelle suinter vers les classes qui ont des besoins et qui voudraient donc la réaliser et la consommer ! Dans les pays industrialisés, ceux dont mêmes les besoins élémentaires sont insatisfaits perdent tout espoir qu’ils le soient jamais.

Dans le tiers-monde, sommé d’obéir aux diktats du Fonds Monétaire International (FMI), les populations sont affamées  pour réaliser des “ajustements structurels” et inscrire aux livres augmenteront une richesse monétaire factice qui ne représente plus aucune réalité. Le jeu des uns est devenu plus important que la vie des autres.

Cette perversion du rôle de l’argent a stoppé net le développement de la production que promettait l’essor de la technologie moderne. Notre niveau de vie stagne, alors que, même sans redistribution de la richesse, nous devrions tous être aujourd’hui en termes réels au moins deux fois plus riches que nous ne l’étions il y a trente ans. On s’est amusé, depuis trente ans, à créer une richesse virtuelle pour le plaisir de quelques uns au lieu d’une richesse réelle de biens et services pour tous.

Parce qu’on s’est agité ainsi en marge de la réalité, la crise à laquelle nous faisons face ne peut pas être résolue, comme les crises du passé, en prenant des riches pour donner aux pauvre, puisque ce qu’ont les riches en surabondance n’est qu’une richesse imaginaire qui, redistribuée, n’apporterait rien à ceux dont les besoins ne sont pas satisfaits. Une redistribution de cette richesse factice  ne ferait que créer une inflation cataclysmique dont les défavorisés souffriraient encore plus que les nantis.

Comment régler le problème ? Le problème ne peut être réglé qu’au niveau de la réalité: en changeant nos objectifs de production et en remettant tout le monde au travail. Or, cette transformation des objectifs et cette remise au travail ne peuvent intervenir que dans l’ordre, pas dans l’anarchie. La mise en place efficace d’une Nouvelle Société n’exige donc pas de se ruer sabres au clair sur les ponts de ce bateau ivre qu’est devenu notre société, mais plutôt d’arracher la barre des mains du pilote et de changer de cap au prix d’un minimum de bouleversements qui mettraient le navire en péril.

Quand on comprend que la plus grande part de la richesse est devenue une image virtuelle, on a deux (2) choix. On peut briser le miroir et détruire  l’illusions; quand une masse critique des gens s’aperçoivent que la monnaie ne représente plus rien, sauf le pouvoir précaire de l’État d’en imposer l’acceptation, le vieux principe économique s’applique: “le mauvais argent chasse le bon”.

Tous se précipitent alors pour acquérir des biens “réels”, car les valeurs boursières s’effondrent et la monnaie ne vaut plus rien. C’est la fin brutale de la société que l’on connaît et la civilisationelle-même mute en quelque chose de nouveau et d’imprévisible. Comme l’Allemagne de Weimar a donné le nazisme.

L’autre choix est de sortir prudemment du miroir et de revenir à la réalité comme un somnambule funambule qui ferait la part du rêve jusqu’à ce qu’il soit arrivé en lieu sûr. Ne pas se plaindre de la monétarisation de l’économie et encore moins y renoncer. Il ne s’agit pas de briser systématiquement le lien entre la richesse réelle et ses symboles. Juste d’entrer à la Banque et de changer les règles du jeu.

04 La création de monnaie

Ces règles vont changer. L’évolution technologique a créé un nouveau rapport de forces dans la société et les soubresauts actuels du systeme financier indiquent que l’on est  à « faire  sauter la Banque » .  On ne donne pas – et surtout l’on n’égare pas ! – des trillions de dollars de richesse symbolique, comme on l’a fait  en 2008-2009, si l’on a la moindre intention d’ajuster à nouveau celle-ci à la richesse réelle.  Une nouvelle politique monétaire est en gestation.

Il est probable que l’on fasse des tentatives de rafistolage du système bancaire actuel, mais, après quelques essais, on en viendra à une transformation radicale du processus de création de monnaie et le pouvoir de « faire de l’argent » sera repris en main par l’État.  Je souligne qu’il est certainement prématuré – et peut-être un peu naïf – de penser que cette réintégration du pouvoir économique au pouvoir politique de l’État signifiera une victoire pour la démocratie.  À terme, sans doute ; mais, au départ, il est plus réaliste de penser que la Banque amènera avec elle dans l’État ses manières autoritaires de faire et que la démocratie sera IMMEDIATEMENT mise en veilleuse pour un temps quand le pouvoir de créer l’argent lui échoira.

Le retour à l’État du privilège de battre monnaie n’en sera pas moins un pas en avant vers un monde meilleur. Ceux qui détiennent actuellement le vrai pouvoir feront tout pour qu’il ne leur échappe pas sur le champ, mais le résultat systémique d’une nationalisation du système bancaire n’en sera pas moins de mettre fin au contrôle de la création de la monnaie qui permet à la caste capitaliste dominante d s’accaparer discrétionnairement de TOUTE la plus-value du progrès.

Dans le système capitaliste actuel, le rôle de la politique monétaire gérée par la Banque est de rétablir a posteriori les rapports de conversion entre la monnaie et la réalité, pour qu’il ne reste au monde ordinaire que l’équivalent du niveau de subsistance dont parlait Malthus. Ce niveau de subsistance, maintenant que l’industrie a apporté l’abondance, est simplement devenu le « niveau de consommation », c’est-a-dire le revenu global minimal qui doit être distribué à la population pour que la quasi totalité de ce qui est produit soit vendu et que la ruine ne frappe pas les producteurs.

L’équilibre entre valeur monétaire et valeur réelle se fait au point qui optimise le rendement du capital. La richesse symbolique qui manque est créée, celle qui a été créée en trop est volatilisée dans les comptes de la Banque et il n’en reste pas traces.  Est-ce que ce stratagème n’a pas été la voie du bonheur pour le plus grand nombre dans la société, depuis la fin de la Deuxième guerre mondiales?  Discutable, mais il est certain que les changements dont nous parlons ailleurs ont forçé le système bancaire à préparer une alternative à ce paternalisme.

Quelle sera cette alternative ? On ne peut se priver de l’indispensable recours à la monnaie.  Une richesse symbolique, conçue pour l’imaginaire, sera donc créée par l’État, comme elle l’est  aujourd’hui par la Banque. Elle continuera d’être en expansion, car il vaut mieux que les illusions grandissent plutôt que de les voir déçues. On n’ajoutera que la transparence.

Un transparence qui est possible et qui fait du peuple un adulte. Possible, car  la politique fiscale permettra de connaître la somme totale des biens réels qui existent dans la société et on pourra rendre les comptes globaux de l’État qui en donnent l’image symbolique totalement transparents. Toujours accessibles à tout citoyen en temps réel, à partir de l’Internet.  On le fera.

Dès qu’on le fait, chacun connaît sa richesse et connaît la richesse collective.  Chacun sait comment il se situe en relation avec la somme totale des biens qui existent dans la collectivité. Chacun peut à tout moment, pour la gestion de ses affaires personnelles, comparer son propre bilan à celui de l’ensemble des sociétaires et à celui de l’État, voyant vraiment comment lui-même se situe sur le plan monétaire. Chacun peut conaître, à tout moment, le montant de la monnaie en circulation, quelle est et la part de cette somme qui appartient à des individus ou à des sociétés ou, au contraire, est à la disposition immédiate de l’État.

L’État, pourra – en fait, devra – comme la Banque aujourd’hui, augmenter au besoin ses disponibilités monétaires. Il le fera d’un clic sur un ordinateur central, modifiant ainsi le rapport de la monnaie à la réalité.  Mais, quand il le fera, chaque citoyen pourra savoir si l’État demeure à l’intérieur des règles qu’il a lui-même fixées à son propre pouvoir de création de monnaie, ou s’il a choisi d’en créer en telle abondance que le rapport de cette monnaie aux biens réels dépasse la mesure et laisse prévoir un effet inflationniste inacceptable.

Quand il y a une valeur monétaire connue, une richesse réelle tout aussi connue et que le rapport de l’une à l’autre est la politique de l’État, on a une politique monétaire transparente … et honnête. Une société peut alors, si on lui en donne le droit comme les outils, juger démocratiquement de la sagesse de cette politique.   Elle peut établir une politique financière globale, raisonnable et consensuelle..

Cette nationalisation de la fonction bancaire met  fin à l’arnaque du capitalisme qui est de se créer de l’argent à sa seule discrétion.  C’est l’État et seulement l’État qui crée en toute transparence la richesse symbolique… qui n’est plus qu’un symbole. C’est moins une volonté populaire que les circonstances qui imposent ces changements ; ils se feront, à leur heure,  mais il ne faut pas exclure que bien des larmes et même un peu de sang coulent quand ils se feront.

Mais d’abord, pour créer la richesse symbolique en toute sérénité, il faut dématérialiser la monnaie.

05 Dématérialiser

Il faut créer une structure monétaire et bancaire honnête et efficace, malgré la violente opposition de ceux qui profitent du système actuel. Ce ne sera pas facile. Ce sera sans doute l’ultime décision à prendre pour passer à une Nouvelle Société ou, plus probablement, le premier geste à poser pour en assurer le fonctionnement quand celle-ci se sera imposée.  Le premier geste de l’État sera donc  de prendre le contrôle du système bancaire et de contrôler l’émission de monnaie et le crédit.

Il ne s’agira évidemment pas de supprimer monnaie et valeurs symboliques et de risquer un retour à une économie de troc. La monétarisation a été un grand pas dans l’évolution et elle est irréversible. La  transformation du système financier actuel n’impliquera pas que nous fassions marche arrière, mais que nous allions jusqu’au bout de l’action pour compléter la monétarisation de l’économie,

Dans une Nouvelle Société, toute richesse, comme aujourd’hui, sera exprimée en termes de monnaie, mais cette monnaie cessera de reposer sur un support matériel. La richesse monétaire de tout citoyen doit consister en son crédit global à son compte bancaire… à la seule banque qui est la Banque de l’État. Il faut donc terminer la dématérialisation totale de la monnaie

Rien là de surprenant ; on a déjà dématérialisé presque totalement les valeurs en bourse !  Les titres au porteur que volait Arsène Lupin – monnaie encore mise à part, pour l’instant, bien sûr – n’existent plus, en effet, que pour soutenir des opérations illicites ou tout à fait marginales dans quelques pays éloignés.  Quand on en voit encore des titres, ce ne sont généralement que des pense-bêtes, comme des billets d’avion électroniques ; le véritable titre, la véritable preuve de propriété d’un nombre donné d’actions d’une société cotée en bourse, c’est la notation aux livres de cette dernière, corroborée par un courtier dûment reconnu et par les institutions responsables.

Les trillions de dollars de valeur en Bourse, (milliers de milliards, pour ceux qui préfèrent cette formulation) – sont déjà dématérialisés. Il ne s’agit que de compléter l’opération pour les espèces. La menue monnaie.  On pourra le faire sans rien changer au système, simplement en demandant à chacun d’aller porter ses espèces, dites archaïquement « sonnantes et trébuchantes », à la Banque de l’État et d’en accepter en échange un crédit pour la même somme. Un crédit qui s’ajoutera  à ce qu’il possède déjà et lui donnera alors accès à TOUTE sa richesse… et à tout son credit.

L’opération est triviale. La Banque de l’État ouvre un compte à tout adulte qui en fait la demande et lui émet un carte qui lui donne accès à tout l’argent qui est déposé à son compte, ainsi qu’à la marge de crédit que lui consent la la Banque et dont nous voyons au prochain texte comment elle est établie. Pour chaque individu ou société, il doit y avoir un seul numéro d’identification de base; on doit savoir avec qui on traite. A partir de ce numéro de base, toutefois, le détenteur du compte peut ouvrir autant de sous-comptes que le requiert sa propre comptabilité, chaque sous-compte étant identifié par un numéro supplémentaire.

Cela fait, on retire de la circulation les billets de banques. Ceux qui en possèdent n’ont qu’à faire créditer leur compte de la valeur de ces billets.  Gênant, pour ceux qui détiennent des sommes significatives non déclarées dans un coffret de sûreté ?   Peut-être, mais sont-ce les gens honnêtes qui auront des explications à donner. Les piécettes peuvent rester, pour la joie des collectionneurs…

Il y a beaucoup d’avantages à  dématérialiser la monnaie. Quand on remplace la monnaie par un système universel de crédit, on règle d’abord  le problème du vol. Non seulement parce qu’il n’y a plus d’argent à voler, mais surtout parce que quiconque vole quelque chose n’en tire un avantage que dans la mesure où il peut l’utiliser lui-même – ou l’échanger directement contre autre chose qu’il puisse utiliser – ce qui ramène le « système économique » des voleurs à des milliers d’années en arrière, sans nuire en aucune façon aux échanges honnêtes.

Sans monnaie, fini le vol organisé à grande échelle, car toute transaction passant désormais par une institution financière et, étant automatiquement enregistrées, les transactions honnêtes se font facilement, mais il est difficile, pour un receleur, par exemple, de verser au compte d’un voleur notoire un paiement pour des marchandises volées….

Tout aussi important, si tout paiement doit être déduit d’un compte en banque et ajouté à un autre, il est bien difficile pour un trafiquant ou tout autre commerçant illicite d’expliquer la provenance de l’argent qui entre à son compte. Très difficile aussi, pour qui que ce soit, de cacher une part de son revenu si toutes ses entrées doivent être déposées à un ou plusieurs comptes à son nom…et son capital doit rester en réels, visibles.  La fraude fiscale en est bien réduite.

Ne serait-ce que pour ces avantages de réduire le vol et le trafic et de rendre l’impôt honnête, il vaudrait déjà la peine de remplacer la monnaie « physique » par autre chose. Mais l’utilisation du système est aussi bien commode. En 1992, cette proposition était novatrice. Aujourd’hui, personne ne s’en étonne et la procédure de virements aux fournisseurs que nous proposions, bien avant que l’usage n’en devienne courant, n’exige plus aujourd’hui d’explications.

Au lieu de traîner des bouts de papier qu’on peut perdre, il n’y a que des avantages à avoir un « crédit » à son nom à la Banque de l’État et à exécuter toutes les transactions simplement en faisant des additions et des soustractions entre les comptes.

Tout ça est si facile, qu’on peut se demander pourquoi la monnaie n’est pas déjà disparue, alors que la contrefaçon est devenue si courante… La seule explication qui tient est que la face cachée de notre économie – vols, trafics, blanchiment d’argent et évasion fiscale – en constitue aujourd’hui un élément essentiel. Si l’on décidait tout à coup d’en réduire le poids de façon dramatique, il faudrait remettre trop de pendules à l’heure. Mais on le fera… dans une Nouvelle Société.

06 La clef de Méphisto

Il est bien pratique de dématérialiser la monnaie. L’État compléte son contrôle de la richesse symbolique et peut reprendre de Mephisto, le capitalisme, la clef-maîtresse de la société : le crédit. Le crédit est ce qui ajuste…

La richesse RÉELLE n’est rien d’autre que la somme des services que nous retirons des biens que nous utilisons et des services que nous rendent nos co-sociétaires. Le système de production a pour unique but réel de produire ces biens et services. On produit, on consomme. Simple.  Mais nous avons des besoins et des désirs différents, hierarchisés ; celui qui a bien mangé et bien bu pense à autre chose. Les « Gagnants » dont les désirs primaires sont comblés se créent d’autres objectifs intangibles – dixit Maslow –  comme le « Pouvoir » ou même la « Richesse », un concept mythique, affublé de la propriété de satisfaire tous les besoins et d’assurer le bonheur.

Étant essentiellement intangibles, les désirs des Gagnants ne devraient pas poser d’obstacles à la satisfaction des besoins des autres ; les pauvres ne manqueront pas de pain parce que les riches en mangent plus.  Mais la quête du Pouvoir et de la Richesse des Gagnants ne peut avoir lieu que dans que dans le miroir, c’est là que l’intangible a son épiphanie.  Dans le miroir, cette quête peut interférer avec la volonté de production et parfois même s’y substituer. On ne manquera pas de pain parce que les riches en auront trop mangé, mais on pourra mourir de faim parce qu’on n’en aura pas produit assez.    On aura décidé dans le miroir de faire autre chose.

Il faut ajuster production et consommation, ce qu’on fait dans la réalité en facilitant l’évolution bien orientée de la capacité de production.  Mais la société actuelle ayant atteint l’abondance, le défi n’est pas produire plus mais de distribuer mieux. Pour optimiser l’ajustement des variables consommation et production, on pourrait enrichir les pauvres en les mettant au travail, mais ils n’ont pas la compétence pour le faire et l’on ne veut pas investir dans leur formation. On pourrait leur donner davantage, mais on démotiverait les travailleurs. Dilemme…

Dilemme et, de toute façon, enrichir en termes absolus ne règlerait pas tout, car les priorités se déplacent.  Pour vaste que soit la table et plantureux le buffet, les besoins des pauvres sont inintéressant et n’y trouvent jamais leur place. Ajuster la production réelle à la demande sur le moyen terme, bien sûr, mais, sur le court terme, la solution est dans le miroir : ajuster la demande à l’offre en jouant sur le crédit disponible

Les alchimistes financiers du capitalisme, qui savent que la monnaie n’est qu’une clef d’accès à la richesse réelle –  et comprennent que le simple reflet sur la réalité de leur Grand Oeuvre d’enrichissement virtuel peut créer au monde ordinaire bien des tracas et avoir un impact négatif sur les gagnants eux-mêmes –  ont donc prévu qu’une providence vienne résoudre les problèmes causés aux simples mortels par les activités d’ En-Haut. Cette providence agit par le crédit, un geste de mansuétude du monde virtuel envers la réalité.

Si les consommateurs manifestent des velléités de sous-consommation, on appelle au secours l’univers parallèle de la richesse virtuelle et on distribue du crédit.  Facile, car pour un travailleur qui veut épargner, on peut toujours en trouver dix qui ne demandent pas mieux que de dépenser plus qu’ils ne gagnent. On trouve ceux qu’il faut et ils font ce qu’on veut qu’ils fassent : ils  dépensent. Quand le consommateur moyen s’endette, c’est parce qu’on le veut bien. C’est que l’équilibre qu’on cherche est par là.

Croyez-vous qu’une population qui dépense plus que son revenu vit « au-dessus de ses moyens » et risque des lendemains qui déchantent ? Pas du tout.  Elle utilise, précisément comme on veut qu’elle les utilise, les crédits mis à sa disposition, pour que le pouvoir d’achat découlant de son travail coïncide avec la valeur monétaire fixée à la production découlant de son travail…  comme il ne peut en être autrement, si on veut maintenir le niveau de consommation effective.

Que faire si les consommateurs choisissent malgré tout d’épargner, d’investir et donc de faire avec l’ « argent pour la consommation » ce qui ne devrait être fait qu’avec l’« argent pour le pouvoir » ?  Aucun problème, car on peut non seulement mener l’âne à la rivière, on peut aussi le forcer à boire.  S’il ne dépense pas, l’État dépensera simplement ce qui doit être dépensé et enverra la facture au consommateur sous forme de taxes et d’impôts.  Les dépenses publiques rétabliront l’équilibre et tant pis pour l’individu qui aura refusé d’être prodigue.

Témérité ?  Non, puisque si les consommateurs y vont trop fort, on augmentera le taux d’intérêt ou, plus simplement encore, on alourdira les exigences et l’on privera de crédit des classes entières de la population ; celles qui ont de vrais besoins, naturellement, puisque les autres n’ont pas de véritable impact sur la réalité.  Si la population bascule de nouveau vers la parcimonie, hésite à s’engager et que les roues ralentissent, on baissera les taux, ou l’on augmentera simplement les marges disponibles sur les cartes de crédit, sans même consulter les bénéficiaires. C’est une faveur qu’on leur fait, n’est-ce pas ?

Le contrôle sur la consommation devient en théorie parfait, puisqu’un ajustement fiscal, un réajustement des salaires, une modification des taux d’intérêt, une inflation ou une dévaluation feront, à posteriori, que la décision collective des consommateurs aura été la bonne. Un individu peut se tromper, mais la population, non, puisque dans l’univers virtuel c’est l’équilibre global qui est tenu pour acquis et qui sert de point de référence.  Les variations monétaires sont introduites de façon purement discrétionnaire, pour confirmer cet équilibre. C’est le reste qui est en mouvement. C’est la réalité qui s’ajuste au miroir.

Comme dans 1984 d’Orwell, le pouvoir qui contrôle la valeur monétaire présente peut réécrire la valeur monétaire passée et y mettre les chiffres qu’il faut pour nous faire l’avenir financier qu’il veut. Quand le Crédit descend en Pentecôte sur la réalité, il efface les bévues des péquenots consommateurs et rétablit l’équilibre. Le crédit ajuste tout. On ne demande au consommateur qu’une simple formalité, comme Méphisto à Faust : signer cette reconnaissance de dette qui porte intérêt et qu’on lui présente quand on lui consent le crédit.

07 Crédit gratuit

Quand toute valeur monétaire converge vers la Banque de l’État, chaque individu a toujours ses biens réels qui ne changent pas, mais toute transaction qu’il effectue dans le miroir de la richesse symbolique  revêt la forme d’un simple changement de notation à son compte à cette Banque de l’État. Vous avez payé ? Vous avez moins. On vous a payé ? Vous avez plus.

À la Banque de l’État, une somme peut passer d’un compte à un autre, gracieusement ou contre valeur reçue, mais, si elle est déposée à un compte elle doit sortir d’un autre compte.  Peut-être celui qui est crédité  a-t-il contracté une dette envers quelqu’un qui a approvisionné son compte –  et celle-ci alors apparaîtra à leurs bilans respectifs – mais cette dette ne concerne pas la Banque. Rien ne se perd, rien ne se crée.

Une somme ne peut apparaît à un compte sans sortir d’un autre compte que si un CREDIT est  consenti.  Seul l’État peut le faire : car c’est lui qui change la notation au compte crédité. Quand l’État accorde un crédit, aucune richesse n’est créée. L’État a simplement accordé un droit de dépenser à celui qui reçoit le crédit et donné son aval à sa promesse de ce dernier de le rembourser qui est un engagement envers la société.

Il remboursera quand il aura cette somme. Probablement quand il l’aura gagnée en posant un geste qui aura contribué au bien-être de quelqu’un ou de la société et pour lequel un individu ou l’État l’aura rémunéré.  Peut-être quand quelqu’un la lui aura donnée. Peut-être quand on lui en aura fait remise, dans l’équivalent de ce qu’on appelle aujourd’hui un ajustement structurel. L’important, c’est de comprendre que quand il la recevra, c’est qu’elle sera sortie d’un autre compte.

En attendant, il a une dette envers l’État. Un jour, il la remboursera… mais rien ne presse.  Et on ne lui chargera pas un intérêt. C’est lui qui nous rend service… Quelle est la logique derrière le paiement d’un intérêt ?  C’est la transposition vers le symbolique de la préférence pour la jouissance immédiate des services que peuvent rendre les biens qui constituent la richesse réelle.  Cette préférence n’est pas contestée; mais le prix qu’on demande aujourd’hui pour satisfaire cette préférence et sa récupération par le Capital sont une arnaque.

Dans une société qui a atteint l’abondance, consommer plus vite n’est PAS toujours à l’avantage de l’utilisateur et au désavantage du fournisseur; c’est souvent le contraire.  Ce dernier, qui est prisonnier de ses schèmes de production et qui porte le coût de la gestion de ses stocks, ne demande qu’à accélérer le processus et à livrer le produit avant d’en toucher le paiement. Il ne demande pas un intérêt pour le faire, il est prêt à consentir un rabais… Le temps lui coûte !

C’est dans le passage du réel au symbolique que la table tourne et que l’avantage est toujours du côté du prêteur… qui réclame un intérêt.  Un intérêt que rien ne justifie, sauf le fait qu’il peut être exigé, puisque la possession de richesse symbolique, contrairement à celle d’un bien réel, ne donne AUCUN autre service.  On a une situation où seule la rareté du capital monétaire – totalement arbitraire, puisque la monnaie est créée de façon discrétionnaire par la banque du capitaliste – sert à justifier l’exigence d’un intérêt croissant avec le temps, même si. au palier du réel, la valeur de ce temps est NÉGATIVE !

Le consommateur paye un intérêt, le producteur consent un rabais, seul le capitaliste gagne … à la mesure de son pouvoir de biaiser le rapport entre richesse réelle et symbolique. Si la première arnaque du système capitaliste est sa création discrétionnaire de monnaie et la distribution de cette monnaie à sa guise,la deuxième est la perception d’un intérêt universel imposé sur tout crédit, comme un droit de cuissage. Sur vous, sur moi et sur toute activité économique de la société.  Même sur l’État lui-même, qui en est convaincu par la corruption.

Quand l’État devient le banquier, il peut utiliser le crédit pour ajuster la demande à l’offre, et maintenir la demande effective dans le miroir sur le court terme sans cesser de promouvoir l’évolution de la capacité de production, pour que, dans la réalité, elle s’ajuste à moyen terme à la demande de consommation.

Dans ce contexte, le crédit accordé au consommateur n’est PAS une faveur qu’on lui fait. C’est l’État qui accorde la crédit à la consommation. C’est un outil de gestion de l’économie, dont tout le monde tire profit. Le consommateur n’a  pas à assumer le coût d’un intérêt sur ce crédit fluctuant que lui consent l’État, puisque rien ne lui a été donné, si ce n’est un accord de consommation anticipée qui est utile à la société encore plus qu’à l’individu. La condition d’un intérêt posée à cet accord serait une forme de chantage. Une extorsion, comme celle que pratique aujourd’hui Méphisto ; l’État ne fera pas chanter ses citoyens.

L’individu moyen sera toujours plus ou moins en dette envers l’État, dont ce sera une partie essentielle de la politique financière de consentir ces avances. L’individu en viendra a considérer comme normale cette relation d’une crédit ouvert avec l’État, laquelle se substituera à la relation néfaste qu’il entretient aujourd’hui avec des organismes de crédit privés.

Le crédit globalement accordé par la Banque de l’État sera  concrètement défini au vu des besoins de l’économie, dont la consommation des particuliers est une variable importante.  Il y a naturellement une limite au credit que l’État peut consentir à chaque individu, mais elle ne sera plus arbitraire. À moins que ses biens ne soient sous curatelle, on prêtera à chacun, sans discussion, à la hauteur de ses deux (2) actifs reconnus.

1)  son patrimoine, à la valeur réelle qu’auraient ses biens s’il souhaitait les réaliser – nous verrons plus loin comment cette valeur est déterminée, et 2) son espérance de revenu par son travail – un montant déterminé par sa certification professionnelle et son l’espérance de vie au moment de l’emprunt – moins un réserve égale, au montant minimum sans lequel on considère qu’il ne pourrait assurer sa subsistance.

08 La Fiscalité

On a dit qu’il n’y avait d’inévitable que la mort et les taxes. Il n’y a pas de société sans taxes, car c’est quand une collectivité se donne un projet et les moyens de réaliser ce projet qu’elle devient une société. Le projet d’une société peut être aussi simple que de vivre en paix dans ses pâturage, ou aussi inusité que de construire les Pyramides, mais, quel qu’il soit, ce projet exige qu’on y affecte des MOYENS. Les moyens, ce sont les apports complémentaires des “sociétaires” qu’on appelle “taxes”; obtenir cet apport de chacun des membre de la société, c’est ça, la “fiscalité”.

A l’origine, la fiscalité fut d’abord la responsabilité des gros bras du leader, puis celle de ses soldats. Le roi, après avoir fait le bilan de ses razzias sur les villages voisins, prélevait dans les granges et les étables de ses propres sujets ce qui lui manquait pour boucler ses fins de mois. La première fiscalité n’était qu’un cas d’espèce du paiement d’une rançon, prélevée sous la menace du pillage ou de pire. Avec le temps, on en est arrivé à la taille et à la corvée, puis, progrès aidant, aux taxes et aux impôts que nous connaissons.

La fiscalité est d’une extrême importance. Il est bon de se rappeler que le seul pouvoir que possédait le peuple de France, en 1789, était celui d’autoriser la levée d’un impôt et que c’est en convoquant les États-généraux pour obtenir cette autorisation que Louis XVI a déclenché la Révolution Française. Comme c’est un désaccord sur le droit de participer au processus de fixation des taxes qui a provoqué la Révolution Américaine. La fiscalité est au coeur de la notion de société. La fiscalité est aussi au coeur de la crise dont notre société pâtit.

C’est par des politiques fiscales et l’application des outils de perception que ces politiques sous-tendaient que le Système nous a amené à la crise actuelle; c’est par de nouvelles politiques fiscales visant d’autres objectifs et utilisant d’autres moyens fiscaux qu’on fera que cette crise s’éloigne de nous in extremis… ou qu’on en réparera après les dégats.

C’est par la fiscalité qu’on peut encadrer un retour ordonné vers la réalité d’un mieux-être qui découle du travail et de la production. 

La fiscalité soulève deux (2) types de problèmes. Il y a d’abord une problématique politique qui doit décider de l’affectation des sommes prélevées et choisir de qui viendra l’argent et en quelle proportion pour chacun. Il y a ensuite une problématique qui semble purement technique et qui vise à mettre en place les méthodes de perception adéquates. C’est de cette deuxième problématique que nous allons ici traiter.

Il ne sera pas question ici, de ce que l’État devrait faire avec notre argent, mais uniquement de la meilleure façon de percevoir ce qu’un gouvernement démocratique aura choisi de prélever. 

Ce n’est pas une question secondaire. Il est clair que la perception doit être efficace et minimiser les risques d’évasion, mais il y a plus. Les modes de perception qu’utilise une société ne sont pas indépendants de ses objectifs, car la façon de prélever les apports de chacun a un impact certain sur la manière dont le fardeau est réparti entre les citoyens.

Le volet technique n’est pas neutre, mais reflète – ou bien souvent, au contraire, sert à occulter! – des choix politiques qui se cachent derrière les méthodes de perception employées. Il faut en discuter.

On reconnaît aujourd’hui deux formes principales de taxation. La taxation dite “indirecte” – parce que l’État utilise un intermédiaire innocent comme percepteur – qui s’applique aux paliers de la production, de l’importation ou de la vente des biens et services et, d’autre part, la taxation “directe”, dont l’impôt sur le revenu est le meilleur exemple. L’importance relative qu’ils accordent à ces formes de taxation est un bon indicateur des objectifs sociaux des États qui les imposent. Une Nouvelle Société utilisera des instruments fiscaux que l’on pourra classer dans ces mêmes catégories, mais qui seront différents de ceux avec lesquels nous sommes familiers.

Aujourd’hui on taxe les revenus et on taxe la consommation. Pourquoi – dans une société qui pourtant se prétend de “libre entreprise” – brimer par une taxe ou un impôt l’entrepreneur qui veut réaliser un profit ou le travailleur qui gagne son salaire, ce qui est l’équivalent de taxer le travail et l’initiative et de pénaliser ceux qui produisent et qui réussissent? Pourquoi freiner la consommation par des taxes de ventes? Pourquoi un impôt sur le revenu, les salaires et les profits, alors qu’on pourrait taxer le capital qui sommeille, l’argent parasite?

Si on taxe le capital plutôt que le revenu, on force l’argent paresseux à s’activer puisque l’argent, pour durer et fructifier, doit alors – comme chacun de nous! – produire plus que le montant dont il est imposé. Si on taxe le capital, on remet en marche le tapis roulant des années cinquante. 

Taxer le capital produit deux (2) effets positifs: on ré-équilibre le pouvoir d’achat des diverses classes sociales et on ramène vers la consommation une partie de l’argent qui dort… et on peut faire disparaître, peu à peu, une masse monétaire dont la valeur “virtuelle” des stocks boursiers laisse supposer l’existence, mais qui est fictive et fausse toute notre activité économique.

La croyance en cette richesse qui n’existe pas a réduit la production des biens et services à ce qui semble une activité mineure ne se déroulant qu’en marge d’une spéculation qui elle occupe tout l’espace financier (moins de 1% des transactions financières mondiales portent sur des échanges de biens et services !). C’est cette désaffection de la production qui fait que notre niveau de vie réel n’augmente plus et que la misère dans le monde ne régresse pas, mais augmente. 

Pour taxer le capital, il faut mettre en place des procédures différentes de celles auxquelles nous a habitués la fiscalité actuelle. Pour le faire, cependant, il faut d’abord bien comprendre ce en quoi consiste aujourd’hui la richesse. C’est ce que nous voyons dans les textes suivants.

09 La valeur légale

Nous avons distingué  entre “richesse symbolique” et “richesse réelle”. Au sein de la richesse symbolique, la monnaie se distingue de tous les autres biens, parce que la valeur de la monnaie est “légale”, déterminée par le pouvoir de l’État, alors que celle de tous les autres biens l’est uniquement par un consensus.

En théorie, la valeur de la monnaie repose uniquement sur une décision de l’État, lequel peut imposer un contrôle des changes et des prix pour rendre cette décision effective. 

En pratique, ces contrôles sont d’application difficile et les États modernes laissent fluctuer le rapport des monnaies entre elles et le rapport de la valeur de leur monnaie à celle des autres biens.

Dans la mesure où ceux qui utilisent la monnaie peuvent contester le rapport de la valeur de celle-ci à celle des biens, la valeur de la monnaie repose aussi sur un consensus. Ce rapport consensuel de la valeur de la monnaie à celle des autres biens est fondamental quand on discute fiscalité, surtout si on parle d’une taxe sur le capital, 

En effet, les biens autres que la monnaie et les symboles qui les représentent ont, ou du moins prétendent avoir, une valeur intrinsèque qui demeure inchangée en dépit de toute manipulation strictement financière. Une maison demeure la même maison, quel que soit le prix que le marché en offre.

Le prix des biens à valeur consensuelle varie donc en sens inverse de la valeur de la monnaie. 

Le modèle théorique simple qui décrit ce phénomène est que, à tout moment, la masse monétaire globale représente la somme totale des biens existants. Plus il y a de monnaie en circulation, moins “vaut” chaque unité monétaire, en termes de biens représentés et donc en termes de pouvoir d’achat de ces biens. Doublez la masse monétaire, par exemple, sans modifier la quantité de biens qu’elle représente, et chaque unité de votre masse monétaire ne représente plus que la moitié des biens qu’elle représentait auparavant, le pouvoir d’achat de chaque dollar est réduit à cinquante cents. C’est le phénomène de l’inflation.

En pratique, le rapport entre la masse monétaire et la somme des biens qu’elle représente n’est pasaussi simple. Le volume de billets de banque en circulation n’est pas totalement sans importance, mais la vélocité des échanges peut créer l’illusion d’un volume plus grand et, surtout, le consensus quant à la valeur du symbole “monnaie” étant indispensable, il devient possible de manipuler le consensus lui-même plutôt que les éléments représentés.

il y a mille manières de modifier le rapport de la valeur des biens à celui d’une monnaie dont la valeur repose sur un consensus. Rumeurs, manipulation des attentes quant au coût des facteurs – matières premières, travail, taux d’intérêts,  spéculation sur les variations anticipées de la valeur relative de divers élément de la richesse, se traduisent par mouvements imprévus et erratiques au niveau des symboles dont le résultat final est que la valeur réelle des choses peut ne plus avoir qu’une importance marginale: les cours en Bourse en sont un exemple.

Le raffinement ultime de cette marginalisation de la réalité, c’est quand la manipulation du consensus est si efficace que la quantité de monnaie sonnante et trébuchante que l’État met en circulation n’a plus elle même d’importance. Nous en sommes là. 

En manipulant le consensus, les “acteurs économiques importants” – la caste des capitalistes purs (“shylocks”) vivant uniquement de leurs intérêts comme d’une rente – ont le pouvoir de modifier le prix des choses et de signifier ainsi à l’État qu’ils ne sont pas d’accord avec la valeur que celui-ci attribue à sa monnaie.

Ils peuvent faire mieux. Réagissant aux fluctuation du rapport de la valeur de la monnaie à celle des choses que leur propre spéculation entraîne, ils peuvent utiliser les pouvoir de création de monnaie que l’État leur a abandonné  et modifier la masse monétaire elle-même, sans que l’État puisse vraiment s’y opposer à moins de remettre tout le système en question.

Les conséquences de cette manipulation en deux temps sont partout, mais nous les présentons ici dans l’optique de la fiscalité. Parce que les impôts sont payables en monnaie et que les acteurs économiques importants disposent des moyens de modifier le rapport entre la valeur de la monnaie et celle des autres biens, le pouvoir de l’État de s’approprier une partie de la richesse réelle des citoyens et de l’utiliser pour le bien commun est soumis au veto de ces acteurs économiques.

Ce qui semble merveilleusement démocratique, jusqu’à ce qu’on réalise que l’on ne vote pas ici par tête. C’est au prorata de la richesse qu’on possède que l’on peut, par le biais de l’inflation qui découle de l’usage que l’on fait de cette richesse, déterminer le taux réel d’imposition de cette richesse elle-même. La politique financière de l’État – et au premier chef sa politique fiscale – est donc prise en otage par les acteurs économiques importants: les institutions financières et les shylocks qui les contrôlent.

Évidemment, cette politique est élaborée et appliquée au meilleur des intérêts des acteurs économiques importants.

 Les acteurs économiques importants peuvent, de façon discrétionnaire, passer d’une monnaie “forte” à une monnaie “faible”. Quand la monnaie est forte, on achète des biens réels; quand on a fait le plein de ces biens, la monnaie “faiblit” et la valeur de ces biens s’envole, ce qui permet de les vendre et de recueillir la monnaie … qui redeviendra « forte » le temps qu’il faudra pour marquer les points. et relancer l’opération.

Des astuces financières diverses visent parfois à augmenter ou à diminuer vraiment la masse monétaire, mais, surtout, à convaincre les gens qu’elle augmentera ou diminuera. En 1982, une inflation de 14% a conduit à l’émission d’obligations du Canada portant 19% d’intérêts. Une chute brutale de l’inflation à 3% est venue ensuite, qui a transformé ces intrerêts en profit presque pur. Le mot clef est : crédibilité.

La variation du taux d’inflation – qui indique les fluctuations du rapport entre la monnaie et les biens à valeur consensuelle – est le point charnière de la politique financière. Les acteurs économiques importants contrôlent l’inflation.

10 La double arnaque

Le mot clef est : crédibilité. 

Un État fort et crédible déterminerait efficacement le rapport d’échange de sa monnaie aux biens à valeur consensuelle: il contrôlerait  l’inflation. Nous n’avons pas dit “supprimerait” ou “réduirait” l’inflation – une décision politique qui peut être opportune ou malvenue! – mais CONTRÔLERAIT l’inflation.

L’État n’exerce plus aujourd’hui ce contrôle, parce que les institutions financières – la « Banque » – utilisent la discrétion que leur en a laissée l’État pour créer une masse monétaire déraisonnable… et se l’approprier. 

Il existe diverses définition de la masse monétaire en circulation – M1, M2,M3… – qui cherchent à cerner le phénomène de l’émission de monnaie par les acteurs économiques autres que l’État.  Dans les faits, toutefois, ces distinctions se caractérisent maintenant par un arbitraire progressif et une disparition parallèle des contrôles d’émission.

Parce que l’inflation est à son plus bas depuis des lustres, on veut croire que l’État contrôle bien les fluctuations de la masse monétaire. C’est une erreur. En réalité, de M1 à M2 et de M2 à M3 on en est arrivé à un flou poétique qui attend qu’on lui donne un numéro pour tenir compte des activités hors-bilan des banques et du crédit qui en découle.

Notre système repose actuellement sur un  “M4″ inavoué, une richesse totalement virtuelle et occulte créée par les institutions financières et qui découle de la permission qu’on leur a donnée de se confirmer les unes aux autres cette richesse qui n’a d’autre matérialité que des cotes en bourses gonflées de manière fantaisiste et les opérations usuraires hors-bilan qui représentent 85% de leurs activités.

À l’avantage de prêter bien plus qu’elles ne possèdent, que l’État a toujours accordé aux banques, celles-ci ont ajouté cette subtilité de se “garantir” désormais les unes les autres et de prêter répétitivement “hors-bilan” sur la base de ces garanties. Les prêts ainsi consentis servent à acheter des propriété et des stocks, venant étayer le crédit de ceux qui prendront envers leur institution financière les engagements dont celle-ci s’autorisera pour accorder sa “garantie” à une autre institution, laquelle consentira un prêt formel sur lequel elle touchera un intérêt.  Le serpent se bouffant ainsi la queue, il peut se dévorer et devenir de plus en plus virtuel, ce qui – hélas! – ne l’empêche en rien d’être toujours aussi venimeux et d’avoir de plus en plus d’appétit.

Le véritable Pouvoir, celui des “acteurs économiques importants”, s’est octroyé simultanément a) une richesse symbolique monétaire sous forme de garanties bancaires hors-bilan libellées en monnaie, et b) une richesse symbolique à valeur consensuelle sous la forme de titres en Bourse à valeur gonflée.

En magouillant ainsi sur deux fronts, le Système a enrichi immensément ses gens, mais c’est aussi piégé, car la récolte périodique des profits par le passage de la monnaie “faible” à la monnaie “forte” n’est plus possible sans que les nantis ne sacrifient des sommes virtuelles colossales.

Réduisez les opérations hors-bilan, et le crédit pour maintenir le Dow Jones dans la stratosphère s’évapore. Ramenez les cours de la bourse à une valeur qui corresponde à une attente raisonnable de profit… et les garanties de la pyramide des emprunteurs hors-bilan disparaissent, amenant la faillite pure et simple des institutions financières.

Ne faites rien, et l’augmentation progressive de la richesse virtuelle mène à la catastrophe quand le bon peuple – à qui on ne PEUT pas donner sa part de la richesse virtuelle sans créer une inflation incontrôlable – se fâche vraiment contre les milliardaires virtuels dont la fortune est un outrage à sa misère… ou s’aperçoit que l’argent ne vaut rien. Quand l’argent ne vaut plus rien, notre structure de pouvoir basée sur la promesse et la corruption plutôt que sur la force brute s’effondre, ce qui est un pas en arrière pour l’évolution sociale.

Personne ne veut vraiment que le pouvoir reprenne sa place au bout d’un fusil, et moins que quiconque ceux qui détiennent aujourd’hui le Pouvoir.  Il y a donc une faible chance que Shylock négocie, si on lui montre une solution qui n’est pas revancharde. En attendant, le Pouvoir utilise la rumeur publique et la contrainte étatique pour faire vivre ces deux (2) entités nébuleuses que  sont la masse monétaire et la valeur virtuelle des stocks en Bourse.

L’arrimage entre ces deux systèmes symboliques devient de plus en plus nécessaire, mais de plus en plus pénible à réaliser, à mesure que l’on accélère la distribution du crédit et que les titres boursiers prennent du prix. Nous vivons donc une fuite en avant qui a pour objectif absurde de maintenir indéfiniment une croissance de la masse monétaire, sans une croissance comparable des biens… et sans une inflation qui remettrait en contact l’univers des symboles et celui des biens réels, mais ferait disparaître en fumée quelques trillions de dollars.

Personne ne veut vraiment “ajuster”, seulement déplacer ces nuées à son avantage. Ne nous étonnons donc pas que le ciel s’assombrisse et qu’on entende le tonnerre gronder. L’État ne contrôle pas l’inflation, il tente de la supprimer. Ce faisant, il ne compense même plus l’ajout totalement artificiel à la richesse que constitue la somme des intérêts payés, menaçant de donner ainsi une existence réelle au mythe marxiste de la concentration de la richesse: un état social moribond où, les besoins de tous ceux qui ont l’argent étant comblés et où ceux qui ont des besoins n’ayant plus d’argent, la machine s’arrête… ou explose.

Spéculation et création sans réserve de richesse symbolique créent un mélange détonnant; la crédibilité de l’État qui diminue, c’est la mèche qui brûle…. L’inflation semble jugulée, parce que la masse monétaire hors de contrôle n’a pas d’impact sur les prix à la consommation: elle reste aux mains des nantis qui ne la dépensent pas, mais la thésaurisent, sous la forme virtuelle et temporairement inoffensive de valeurs en bourse irréalistes.

Cette pseudo richesse qui s’appuie sur une illusion crée un pouvoir énorme de dépenser qui tient toute la société en otage. Sans l’accord des financiers, on ne peut plus reprendre contact avec la réalité. Nous sommes tombés dans un traquenard.

11 Le traquenard

Cette pseudo richesse  monétaire et boursière n’est pas utilisée, mais tient toute la société en otage. Nous sommes tombés dans un traquenard. Les écarts entre valeur symbolique et valeur réelle, entre valeur monétaire et valeur consensuelle créent un réseau de pièges qui vont du simple au complexe. Commençons par un exemple simple, celui du papier et des cailloux.

Vous achetez des diamants, vous les payez en espèces. Vous avez échangé un bout de papier dont la valeur purement symbolique dépend d’un consensus quant à la stabilité de l’État et le dynamisme de l’économie, contre des cailloux dont la valeur dépend d’un autre consensus, issu d’une tradition et d’une rareté relative dont on sait qu’elle repose sur le bon vouloir d’un cartel qui en détient des stocks énormes.

Si, il y a dix ans, vous avez acheté et payé en roubles des diamants, vous avez fait une bonne affaire; si vous en achetez aujourd’hui et les payez en dollars, priez que le Groupe De Beer n’écoule pas ses stocks à rabais, ou que les soubresauts politiques en Afrique du Sud ou en Russie ne transforment pas vos diamants en cailloux comme les autres.

Ce qui est vrai pour les diamants l’est pour les stocks en bourses, ce qui est évident, mais aussi, ce qui l’est moins, pour les obligations et autres papiers commerciaux dont la valeur repose sur un double consensus. Un consensus quant à la solidité de la compagnie emprunteuse d’abord, et quant au pouvoir d’achat futur de la monnaie ensuite.

Prenons un autre exemple. Vous possédez un bout de terrain au centre de Tokyo qui vaut, disons, ce n’est qu’une illustration, cinquante millions de yens à 200 yens au dollar, soit un quart de million en argent des U.S.A. Ce terrain est représenté par un titre de propriété que vous pouvez vendre, donner en garantie, etc. Mais supposons que ce titre, déposé dans une banque japonaise, vous permette d’obtenir un crédit de deux-cent-cinquante mille dollars avec lequel vous achetez, à cinq dollars pièce, 50 000 actions de Netscape ou de toute autre compagnie qui ne possède rien de tangible, mais qui a des idées .

Au moment de la transaction vous n’êtes ni plus riche ni plus pauvre: vous avez recu des devises et vous avez assumé une obligation équivalente envers la banque…. mais vous avez mis en gage votre terrain bien réel. Parfois, la réalité et le symbole se divorcent.  Si, quand les cerisiers fleurissent sur votre terrain, la sagesse financière des spéculateurs a fait passé la valeur de celui-ci à cent millions de yens et le cours du yen à 100 au dollar, il vaut désormais un million de dollars.

Si, pendant ce temps, vos actions de la compagnie-qui-a-des-idées sont passées de 5 à 25 dollars, elles valent aussi bien plus d’un million de dollars en bourse et votre banquier vous adore. Pourquoi ne pas emprunter sept-cent-cinquante mille dollars de plus et acheter encore 30 000 actions? Vous le faites… et c’est maintenant un million de dollars que vous devez à votre banquier, lequel a toujours votre terrain de Tokyo en garantie.

Hélas, quand les cerisiers refleurissent l’année suivante, la valeur des actions de la compagnie-qui-a-des-idées est retombée à trois dollars, réduisant à 240 000 dollars la valeur totale de vos 80 000 actions, de sorte qu’un nouveau banquier qui ne vous aime pas tellement décide de reprendre ses billes en mettant en vente votre terrain. Manque de pot, cent autres banquiers ont décidé pour la même raison de faire la même chose pour dix mille autres terrains à Tokyo, Osaka, Kobe…. de sorte que la sagesse financière des spéculateurs a ramené à sa valeur initiale le prix de votre terrain ainsi que le cours du yen au dollar.

Où en sommes-nous quand la banque a “réalisé” vos actifs et les a appliqués à votre dette? Il ne vous reste rien et la banque elle-même ne touche même pas la moitié des sommes qu’elle vous a prêtées. Vous êtes ruiné et la banque qui vit cette expérience cent ou mille fois répétée est en sérieuse difficulté. 

Pourtant, les mêmes cerisiers refleuriront en avril prochain sur un terrain à Tokyo qui n’aura pas changé et les idées de la compagnie à laquelle vous aviez fait confiance ne sont pas plus bêtes qu’elles ne vous étaient apparues. Le drame s’est déroulé tout entier dans l’univers des symboles et au gré des consensus qui se sont créés et défaits.

Les chiffres de cet exemple ont été arrondis, mais, pour le reste, c’est une histoire vécue. La richesse virtuelle du Japon a bel et bien été abattue en flamme comme Godzilla sur les écrans des courtiers. Celle des pays du Sud-est asiatique aussi, Thaïlande en tête. En Indonésie, où une économie réelle plus fragile que celle du Japon n’était qu’un appendice de la spéculation, les vicissitudes de la richesse virtuelle se sont traduites par de vraies émeutes et de vrais morts dans les vraies rues du pays réel.

Ce qui est arivé en Indonésie et ailleurs est tragique, mais sans doute encore moins lourd de conséquences que le chantage qu’exercent sur tous les gouvernement ceux qui détiennent la richesse virtuelle et qui empêchent les gouvernements de se financer autrement que par l’intermédiaire du Système. Au temps de l’étalon-or, il existait un rapport entre la monnaie en circulation et cette valeur de référence ; la manipulation du consensus existait déjà – en moins sophistiqué qu’aujourd’hui, mais on pouvait au moins calculer l’inflation qui, toute manipulation du consensus mise à part, devait résulter d’une augmentation de la masse monétaire.

Un gouvernement gardait l’option d’accroître sa masse monétaire par une émission de monnaie plutôt que par une émission d’obligations portant intérêt. Aujourd’hui, il n’y a plus de valeur de référence. À cause de ce fictif “M4″, qui est une inconnue entre les mains des banquiers, le rapport entre la monnaie et la réalité est devenu si élastique que personne ne peut plus savoir l’impact exact d’une augmentation de la masse monétaire sur la valeur d’une monnaie. Nous sommes pris au piège.

12 Le chantage

Aujourd’hui, il n’y a plus de valeur de référence. La gestion de la masse monétaire obéit uniquement à l’impératif d’assurer un rendement “satisfaisant” au capital investi. Ce rendement satisfaisant exige, dans la conjoncture de stagnation programmée actuelle, de créer de plus en plus de monnaie et de creuser de plus en plus l’écart entre les symboles et la réalité… et c’est ce qu’on fait, par une augmentation vertigineuse du crédit.

L’État satisfait aux exigences des shylocks sans augmentation de M3, comme si toute l’économie fonctionnait désormais hors-bilan. Hors-réalité.

 Ce qui exige une coordination précise et une extrême vigilance. En pratique, les États néo-libéraux ayant quelque importance travaillent tous la main dans la main avec quelques grandes institutions financières tentaculaires et les organismes internationaux (FMI, BIRD, etc.) pour constituer le Système qui gouverne, gère et exploite la planète.

Quand il y a émission de monnaie, les spécialistes parleront de l’impact multiplié de cet ajout sur la masse monétaire, définissant celle-ci selon les besoins comme M2 ou M3, mais ils en seront réduits à des voeux pieux, car les shylocks contrôlent le fictif M4 des dérivés et autres valeurs hors bilans et tiennent à leur merci la valeur de toutes les devises.

Shylock contrôle les médias qui créent le consensus qui détermine la valeur de la richesse… et de son “double”, c’est à dire de l’image monétaire virtuelle de la richesse que voit la population dans le miroir et auquel elle croit. C’est sur cette image et cette foi que repose le pouvoir. 

Quel que soit l’ajout réel à la masse monétaire que se permette un État, la baisse de valeur de sa monnaie sera ce que les “marchés financiers” décideront qu’elle sera.

L’inflation est donc contrôlée partout où il est important qu’elle le soit, comme aux USA et en Europe, fomentée là où il est rentable pour les shylocks qu’elle se produise – comme en Russie ou dans le Sud-Est asiatique – et laissée à l’initiative des satrapes locaux, là où elle n’a pas d’effets significatifs bons ou mauvais sur le Système – comme en Afrique – afin que ceux que ça amusent puissent y spéculer et y aiguiser leur talent.

Les gouvernements, qui se prétendent souverains, n’ont plus l’option réaliste d’accroître leur masse monétaire par une émission de monnaie. Qu’un gouvernement pense à se financer autrement que chez les institutions financières internationales, sans que les financiers ne retirent leur livre de chair de chaque émission d’obligations – (l’intérêt sur l’argent qu’ils prétendent céder à l’État) – et ceux-ci ont en assez de contrôle sur les médias pour semer la panique et entraîner une baisse de la valeur de la monnaie du pays récalcitrant hors de proportion avec la quantité supplémentaire qui en aura été mise en circulation.

Le pays rebelle passera de la liste de ceux où l’inflation est brimée à celle de ceux où elle est attisée

. C’est le châtiment qui a été imposé à tous les petits pays qui n’ont pas voulu jouer le jeu capitaliste, de Cuba au Congo en passant par l’Indonésie. Pas seulement les petits pays, toutefois. Il suffit d’une erreur d’inattention ou d’une opération de corruption réussie pour que les géants s’effondrent eux aussi. Le cas monstrueux, bien sûr, est celui de l’URSS qui a vu la valeur de change de sa monnaie réduite à un dix-millième de sa position initiale. On a ruiné deux cent millions de personnes.

Contrôler inflation et l’utiliser pour réduire progressivement l’écart entre richesse réelle et symbolique, ce serait modifier les règles de fonctionnement de l’économie mondiale, redistribuer le pouvoir d’achat et donner ainsi au développement de l’économie réelle un deuxième souffle que la technologie a rendu possible. Ce serait éliminer la pauvreté au sein des pays riches et diminuer la misère des pays pauvres.

C’est la décision politique et économique la plus importante qu’un gouvernement pourrait prendre, mais à quoi bon augmenter sa masse monétaire de 5% ou 10% si, par l’action des shylocks, la valeur de chaque unité de sa monnaie chute de 50%? Alors les gouvernements reculent et cèdent au chantage. Au lieu d’imprimer des billets de banque et de traiter l’inflation contrôlée qui en résulterait comme une forme d’imposition sur le volet symbolique de la richesse, ils impriment des obligations qui portent intérêt à 4%, 7% 10 % et les déposent docilement entre les mains des groupes financiers…

L’État peut-il échapper au chantage des financiers? Un État de taille suffisante pour ne pas dépendre du commerce international et assez structuré pour assurer la crédibilité de sa monnaie peut fermer ses frontières et résister au pouvoir capitaliste. L’URSS l’a fait pendant trois générations et la véritable déchéance de l’URSS a commencé au moment où elle a accepté que le rouble ait une valeur consensuelle face au dollar. La Chine le fait encore. Les USA – ou l’Europe maintenant unie – pourraient le faire encore mieux. Ensemble, le monde occidental peut le faire à sa guise et entraîner sans discussion le reste du monde à sa suite.

L’initiative, cependant, doit venir d’une grande puissance raisonnablement autarcique ayant le pouvoir et la volonté de résister aux assauts sauvages que le système capitalisme ne manquerait pas de lancer pour empêcher ce changement. J’ai dit et j’insiste que ce n’est pas au niveau du Québec ou du Canada que cet affrontement peut avoir lieu. Un État comme le Canada – et à plus forte raison le Québec – même si son gouvernement n’était pas à la solde du pouvoir financier, ne pourrait pas refaire contact avec la réalité et arrêter la fuite en avant vers le cataclysme financier qui se prépare. Le Système ne le permettrait pas et le Système a le pouvoir de l’en empêcher.

Pourquoi faire cette analyse,s’il n’y a pas ici de remède que nous puissions apporter? D’abord, parce que justement notre marginalié nous protège: on peut discuter ici de choses dont on ne peut discuter aux USA. Ensuite, parce qu’il faut engager cette réflexion, car le Systeme s’effondrera. Il vaudra mieux avoir réfléchi que devoir le faire sur l’affut d’un canon.

13 Taxer le capital

Il y a quelque chose d’absurde a taxer le revenu – qui vient recompenser un effort – et la consommation qui est le moteur de l’activité économique qu’on veut encourager.. alors que l’on est bien réticent à imposer –  (je dirai souvent “taxer” pour éviter l’ambiguïté inhérente au mot “imposer”) le capital qui est là, inactif, ou tenu largement indemne des vicissitudes de ses investissements par les risques que les entrepreneurs doivent courir.

Une nouvelle fiscalité doit viser surtout à imposer le CAPITAL. Seulement le capital.  Ce capital, consiste pour une part de biens réels, mobiliers et immobiliers, mais pour une plus large part encore de cette richesse  richesse symbolique, devenant de plus en plus virtuelle qui prétend représenter la richesse réelle, mais qui a désormais acquis une existence autonome.  Comment taxer l’irréel et l’imaginaire ?

Je ne parlerai ici que des moyens de taxer adéquatemen le capital, sans m’attarder à l’impact de cette taxe sur sa redistribution ni sur les conséquences sociales cette mise à jour : j’en parle abondamment ailleurs sur ce site. Une fiscalité nouvelle doit viser à ramener d’abord vers un seul ratio cohérent et qui puisse fasse consensus à long terme les divers rapports symbole-réalité dont autrement la diversité rend cette richesse symbolique incontrôlable.

Quand on accepte de taxer le capital – la seule solution fiscale juste et équitable dans un système capitaliste – il faut d’abord en estimer la valeur, puisque le taux d’imposition requis pour le fonctionnement de l’État est inversement proportionnel à l’assiette fiscale. Nous verrons donc d’abord quelle est cette l’assiette fiscale, cette richesse totale dont l’État doit prélever sa juste part pour le bien commun. Ensuite, nous identifierons les divers aspects de cette richesse et nous verrons comment on peut les imposer efficacement.

Il faut ensuite définir quels seront les modes de perception adéquats pour éviter le fraude, bien sûr, mais aussi pour aller chercher le capital là où il se trouve, sans déséquilibrer tout l’échafaudage de richesse virtuelle qui constitue maintenant l’essentiel de l’édifice capitaliste… et de notre structure financière

Est-ce une mauvaise nouvelle pour les riches ? Pas vraiment. Une redistribution de la charge fiscale modifie la répartition de la richesse, mais le nombre de ceux qui perdront en termes absolus sera bien restreint. Le système capitaliste a mis ses gens à l’abri en créant des entités impersonnelles où le capital s’est accumulé et ce sont ces entités qui seront surtout touchées.

Derriére ces entités, il y des personnes et elles verront peut-être leur pouvoir décliner, mais rien là n’est sûr, car l’argent n’est qu’un outil et la capitalisme une procédure.   Quand les circonstances changent, ceux qui avaient en eux d’exercer le pouvoir ne le perdent pas toujours. Ils s’adaptent. Ce n’est pas leur chute qui importe, mais la montée des autres… Et quand on introduira l’équité, il y en aura pour tout le monde.

Dans le système actuel d’impôt sur le revenu, par exemple, le désir d’apparence de justice a conduit à l’établissement de taux variables d’imposition selon les strates de revenu: nous avons une imposition “progressive”. L’intention était bonne, mais la mise en application a été navrante. La progressivité des taux est intrinsèquement inéquitable, le choix des taux est capricieux et leur disparité a pour conséquence inévitable que la richesse soit imposée plus ou moins selon celui qui la détient.

Ce qui ouvre la porte à toutes les supercheries, dont l’apparition en cascades de  prête-nom de tout genre n’est que la pointe de l’iceberg.  Quand on taxe le capital ces stratagémes deviennent ridicules, car on ne taxe pas “les riches”, mais la richesse, et dans ce contexte l’équité est implicite: qui a plus paye plus. Toute progressivité est vexatoire et doit disparaître.

Il y a la vérité incontournable qu’on ne peut prendre que de ceux qui possèdent, mais cette procédure doit être “équitable” et le même taux d’imposition s’appliquer à tout le monde. Toute richesse, quelle que soit sa forme et quel que soit son propriétaire doit être imposée au même taux. Il faut mettre en place une procédure fiscale qui taxe chacun au prorata de sa richesse.

Cettequité  qui est non seulement conforme à nos objectifs socio-politiques clairement affirmés, mais indispensable pour maintenir le niveau de consommation. Les strates de revenus ne peuvent se rapprocher que graduellement, sous peine de détruire la structure de production.

Maintenir cette équité ne sera pas facile. Il est inévitable que, le temps aidant, un gouvernement ou un autre cherchera à manipuler l’activité économique en introduisant des écarts de taux d’imposition entre les diverses formes de richesses, pour favoriser un groupe au dépens des autres ou simplement orienter l’économie vers les objectifs qui lui tiennent à cœur.  On voudra taxer le symbolique plus que le réel, les meubles plus que les immeuble, ou que sai-je… Souhaitons que ces manoeuvres n’aboutissent pas ou soient vite mises au rancart.

C’est ce désir d’utiliser la fiscalité pour orienter le comportement des acteurs économiques qui a conduit, pour une bonne part, au fouillis innommable qu’est devenue notre politique fiscale et dont la déclaration d’impôt inintelligible que nous avons est l’illustration caricaturale. Prélever de la richesse sociétale la part qui permet à l’État de remplir ses obligations est une fin en soi. N‘y ajoutons rien d’autre.

Si on veut orienter l’économie dans un sens ou dans l’autre, qu’on le fasse en donnant des subsides ou autres avantages et qu’on mette à concevoir ces mesures incitatives toute l’ingéniosité qu’on voudra, mais qu’on ne touche pas à la fiscalité: la fiscalité doit rester simple et le même taux doit taxer toute richesse.

Il faut que la fiscalité taxe la richesse réelle, la richesse d’usage, celle dont la valeur découle d’un consensus tout autant que la monnaie et les biens dont la valeur ferme s’exprime en monnaie. Il faut taxer les diverses formes de richesse également.

Les moyens pour le faire, toutefois peuvent être bien différents.

14 La perception

Les procédés efficaces de perception fiscale sont ceux qui sont équitables et qui limitent les moyens d’évasion. Ces procédés doivent donc rompre avec la procédure actuelle qui fixe capricieusement les taux d’imposition au nom de la progressivité et qui cherche, assez naïvement à transformer tous les entrepreneurs en percepteurs du fisc et tous les contribuables en loyaux dépositaires des sommes qu’ils estiment devoir à l’État – selon des règles que seuls des experts peuvent comprendre!

Il en découle un cauchemar administratif et une faillite éthique, alors que tout le monde triche et qu’on tente d’appliquer une politique qui punit de temps en temps les contrevenants – mais trop ou trop peu -et de façon si arbitraire que, si on peut ainsi croire “faire un exemple”, la justice, elle, n’y trouve jamais son compte.

Une nouvelle fiscalité doit obéir à trois (3) règles générales de perception. D’abord, toute personne physique ou morale est imposée sur son patrimoine, sur présentation de son bilan. Ensuite, ce bilan, sous la forme d’une déclaration assermentée, est présentée au fisc le premier de chaque mois. Enfin, quelle que soit la forme que revête sa richesse et quelle que soit l’importance de son patrimoine, chaque contribuable est imposé au même taux.

Les individus sont imposés sur présentation de leur bilan… comme il le sont aujourd’hui sur la base d’une déclaration de leur revenu. Quiconque possède des biens est un contribuable, aussi modeste que soit sa contribution. Les mineurs et les incapables sont représentés par leurs tuteurs, ou par leur curateur qui, dans une Nouvelle Sociét remplace le tuteur aux biens.

Le véritable défi, c’est l’identification des divers éléments de ce bilan et la mise en place des procédés efficaces qui permettront d’en prélever, sans que personne ne triche, la part de la richesse collective que la population veut confier à l’État pour le bien commun.

La compagnie – la personne dite “morale” –  doit aussi présenter son bilan et être imposée de la même façon et au même taux que l’individu. Est-ce que ceci ne crée pas une double imposition pour les actionnaires des compagnies? Oui… et non. Oui, dans le sens que la compagnie étant taxée sur ses propres biens et les actionnaires sur les leurs, ces derniers voient évidemment le couperet tomber deux fois.  Non,cependant, il n’y a pas double imposition, dans le sens qu’il ne faut tout de même pas confondre le capital-action d’une compagnie – qui est, en définitive, une dette de celle-ci envers ses actionnaires – avec ses éléments d’actif!

Une compagnie est taxée sur ce qu’elle possède, les actionnaires sur leurs propres avoirs.

 Le propriétaire d’une chose est celui au nom duquel est établi le titre de propriété de cette chose et, pour les fins de la fiscalité, il en reste le propriétaire jusqu’à ce qu’un titre ait été établi au nom d’un nouveau propriétaire ou qu’il ait déclaré solennellement qu’il ne l’a plus, parce qu’elle été volée, détruite ou perdue.

Toute chose, qu’elle soit achetée, reçue, trouvée entre instantanément dans le patrimoine de celui qui l’acquiert. Il n’y a pas de chose ni d’argent sans maître. 

Le “titre de propriété” sera aussi simple que la facture acquittée et numérotée fournie par le vendeur. Si une chose est perdue ou volée, elle doit être déclarée perdue ou volée, sans quoi elle demeure dans le patrimoine du propriétaire; si elle est retrouvée, elle doit être remise à son propriétaire légitime sinon, si elle réapparaît entre les mains de qui que ce soit, le possesseur sera accusé selon le cas de vol ou de recel.

Les choses de peu de valeur – disons moins de 100 $ – n’auront pas à être représentées par un titre de propriété; le possesseur en est présumé le propriétaire. Ces objets devront néanmoins être indiqués au bilan “en vrac” avec une description sommaire de chacun et une estimation de leur valeur globale.

La déclaration d’impôt annuelle sera remplacée par une déclaration mensuelle. Le monde tourne trop vite pour que les taux d’imposition ne soient fixés et que la perception de l’impôt ne se fassent qu’une fois l’an. Il tourne aussi trop vite pour que les États se compromettent à des budgets annuels, mais nous reviendrons ailleurs sur cette question des budgets. En ce qui a trait à la taxe sur le capital, chaque contribuable remplira et produira, le premier jour de chaque mois, une déclaration simple qui sera en fait son bilan, présenté par catégories prédéterminées de biens, avec la valeur de chaque bien et le montant à payer selon le taux fixé  pour le mois. Chacun payera son impôt comme il paye son loyer, l’électricité ou le téléphone.

Nous avons bien dit une déclaration SIMPLE. Il faut que tout citoyen qui peut vivre autonome sans être sous la garde d’un tuteur ou ses biens sous celle d’un curateur puisse accomplir sans aide un devoir civique aussi élémentaire que celui de payer ses impôts. Si, comme aujourd’hui, le formulaire à remplir exige l’intervention d’un expert, c’est que nous faisons fausse route.

Chaque déclaration mensuelle sera envoyée au contribuable par le fisc avant le 20 de chaque mois. Elle sera identique à celle du mois précédent, à l’exception du taux d’imposition qui pourra avoir été modifié.  Le montant à payer pour chaque bien qui ètait déjà à son patrimoine aura été calculé par le fisc, en appliquant le nouveau taux et en tenant compte le cas échéant de la dépréciation de certains biens.  Le déclarant n’aura pas à effectuer ces calculs sauf pour en vérifier l’exactitude.

A cette déclaration, le contribuable apportera les changements nécessaires, y ajoutant les nouveaux biens acquis et en déduisant les éléments qui ne sont plus dans son patrimoine, modifiant aussi au besoin la valeur de chaque élément si celle-ci a changé. Il y joindra son paiement en ligne, déduit directement de son compte bancaire.

15 Taxer la monnaie

La façon la plus simple de taxer le capital monétaire est de programmer une inflation qui en soustrait une parcelle de la valeur au profit de l’État, ce qui peut se faire sans même que le contribuable ait à poser quelque geste que ce soit. La richesse monétaire a toujours été toujours soumise à cette taxe spéciale sur le capital qu’on appelle l’inflation et une inflation contrôlée est un excellent outil fiscal

C’est par l’inflation qu’on doit taxer la monnaie… et on évite ainsi toute évasion. Pour taxer la monnaie, un gouvernement n’a qu’à imprimer plus de billets. Quand il imprime des billets, il crée en principe une inflation égale à la dilution de la valeur de chaque billet par l’ajout de ces billets supplémentaire, puisque rien n’est venu s’ajouter à la réalité que ces billets représentent

On dit «imprimer » par tradition, mais on en est désormais au tout virtuel ; la somme de ces billets consiste uniquement en une note écrite puis manipulée dans les livres de l’État. Hélas, quand on est au tout-virtuel, l’inflation, ne dépend plus principalement de l’émission de monnaie tangible ou intangible par l’État, mais surtout des manipulations des institutions financières et des spéculateurs. Aussi longtemps qu’il en est ainsi, l’inflation ne peut pas être contrôlée ni donc utilisée à bon escient par l’État.

Que se passe-t-il, aujourd’hui, si le gouvernement veut dépenser un milliard de dollars ou d’euros de plus que ce que ses recettes lui permettent ?  Il s’adresse à un consortium financier et promet de lui verser, selon le taux du marché,  2, 4, 6.., 8%  par année en “intérêts”, pour le privilège de prétendre que l’État n’a PAS imprimé cet argent, mais qu’il s’agit de l’argent du consortium financier.

Quand il a rempli cette formalité, le gouvernement fait dans ses livres les modifications nécessaires, comme si, ayant reçu la bénédiction des capitalistes, l’État était miraculeusement devenu plus riche. Quand il a fait ces modifications, il peut disposer du milliard. Il imprime les chèques, traites, effets et billets qu’il veut à hauteur d’un milliard.

En passant par l’intermédiaire obligé des shylocks, on crée ainsi une dette qui entraîne chaque année, en intérêts, un transfert gratuit de richesse vers les nantis encore plus important que les transferts que l’État fait à ses déshérités!  Si, au contraire la monnaie est créée à la Banque de l’État et que sa politique monétaire est transparente, l’État le dit à tout le monde… mais ne rien promet rien à personne…

Il annonce loyalement au monde entier que sa masse monétaire a augmenté d’un milliard et que la valeur réelle de chacune de ses unités monétaires a donc baissé. Cette baisse constitue une taxe à la source prélevée de chaque détenteur de billets. De combien la valeur de ses unités monétaires a-t-elle baissé?

Aujourd’hui, le rapport entre l’argent et la réalité est devenu si élastique que personne ne peut plus savoir l’impact exact sur sa valeur d’une augmentation de la monnaie en circulation. C’est la rumeur qui la détermine. Mais si l’argent en circulation est de nouveau un rapport direct avec les biens réels qu’il est censé représenter, toutefois, le calcul est enfantin: doubler la masse monétaire circulation et chaque billet perd la moitié de sa valeur d’achat. Augmentez-la de 5% et vous diminuex sa valeur unitaire dans le même rapport.

Quand le Gouvernement ne se finance plus via les marché financiers, mais par une inflation contrôlée, il décide du taux qu’il appliquera et une “inflation fiscale” est provoquée sciemment par une augmentation précise et totalement transparente de la masse monétaire. La même taxe est perçue sur le capital réel, comme nous le verrons plus loin. Prenons pour hypothèse de travail un système dont les shylocks ont été chassés et voyons comment, cette formalité préalable ayant été accomplie, le reste d’un régime fiscal équitable et efficace basé sur l’imposition du capital peut être mis en place.

Quand il a rempli cette formalité, le gouvernement fait dans ses livres les modifications nécessaires, comme si, ayant reçu la bénédiction des capitalistes, l’État était miraculeusement devenu plus riche. Quand il a fait ces modifications, il peut disposer du milliard. Il imprime les chèques, traites, effets et billets qu’il veut à hauteur d’un milliard.

En passant par l’intermédiaire obligé des shylocks, on crée ainsi une dette qui entraîne chaque année, en intérêts, un transfert gratuit de richesse vers les nantis encore plus important que les transferts que l’État fait à ses déshérités!  Si, au contraire la monnaie est créée à la Banque de l’État et que sa politique monétaire est transparente, l’État le dit à tout le monde… mais ne rien promet rien à personne…

Il annonce loyalement au monde entier que sa masse monétaire a augmenté d’un milliard et que la valeur réelle de chacune de ses unités monétaires a donc baissé. Cette baisse constitue une taxe à la source prélevée de chaque détenteur de billets. De combien la valeur de ses unités monétaires a-t-elle baissé?

Aujourd’hui, le rapport entre l’argent et la réalité est devenu si élastique que personne ne peut plus savoir l’impact exact sur sa valeur d’une augmentation de la monnaie en circulation. C’est la rumeur qui la détermine. Mais si l’argent en circulation est de nouveau un rapport direct avec les biens réels qu’il est censé représenter, toutefois, le calcul est enfantin: doubler la masse monétaire circulation et chaque billet perd la moitié de sa valeur d’achat. Augmentez-la de 5% et vous diminuex sa valeur unitaire dans le même rapport.

Quand le Gouvernement ne se finance plus via les marché financiers, mais par une inflation contrôlée, il décide du taux qu’il appliquera et une “inflation fiscale” est provoquée sciemment par une augmentation précise et totalement transparente de la masse monétaire. La même taxe est perçue sur le capital réel, comme nous le verrons plus loin. Prenons pour hypothèse de travail un système dont les shylocks ont été chassés et voyons comment, cette formalité préalable ayant été accomplie, le reste d’un régime fiscal équitable et efficace basé sur l’imposition du capital peut être mis en place.

Le taux de taxation du capital est une décision qui dépendra des orientations politiques de l’État. A titre d’illustration, toutefois, considérons que l’État, pour face face à ses obligations courante de l’années, sans redistribution accélérée de la richesse – donc sans bouleversement de l’ordre social – et excluant le remboursement de la dette dont nous parlerons plus loin, croit devoir disposer d’une somme égale à 7,2% de la masse monétaire présentement en circulation. 

Pour obtenir ce résultat, il ne la perçoit pas, il l’imprime. Pour chaque cent milliards de masse monétaire en circulation l’État a ajouté à celle-ci 7,2 milliards.

L’État augmentee la masse monétaire de 0,6% par mois, diminuant donc d’autant le pouvoir d’achat de l’argent en circulation. Toutes choses étant égales par ailleurs, les prix augmentent de 0,6% par mois. 

Ce n’est pas un cataclysme. Ce n’est pas la vision dantesque des milliards de marks sans valeur du début des années trente, évoquée par les shylocks qui ne veulent pas qu’on les court-circuite.

Une inflation de 0,6% par mois, c’est moins que ce que des pays comme l’Italie ou la France ont connu à maintes reprises durant les « Trente Glorieuses » sans que ne souffle la panique. Une inflation de ce type est ce que nos États ont vécu pendant des décennies, sans s’en porter plus mal. Où serait l’innovation ?

L’innovation, c’est qu’au lieu d’être remis aux banquiers du capitalisme, ces 7,2 milliards iront dans les coffres de l’État. L’État ne cherchera pas à couvrir tous ses besoins financiers à partir d’ajouts à la masse monétaire; il doit, en toute équité, taxer aussi les biens à valeur consensuelle, mais Il retirera de l’inflation fiscale des sommes substantielles.

Il ne faut pas croire, en effet, que l’inflation se limitera à taxer les détenteurs de billets de banque, ce qui est la menue monnaie de notreLe taux de taxation du capital est une décision qui dépendra des orientations politiques de l’État. A titre d’illustration, toutefois, considérons que l’État, pour face face à ses obligations courante de l’années, sans redistribution accélérée de la richesse – donc sans bouleversement de l’ordre social – et excluant le remboursement de la dette dont nous parlerons plus loin, croit devoir disposer d’une somme égale à 7,2% de la masse monétaire présentement en circulation. 

Pour obtenir ce résultat, il ne la perçoit pas, il l’imprime. Pour chaque cent milliards de masse monétaire en circulation l’État a ajouté à celle-ci 7,2 milliards.

L’État augmentee la masse monétaire de 0,6% par mois, diminuant donc d’autant le pouvoir d’achat de l’argent en circulation. Toutes choses étant égales par ailleurs, les prix augmentent de 0,6% par mois. 

Ce n’est pas un cataclysme. Ce n’est pas la vision dantesque des milliards de marks sans valeur du début des années trente, évoquée par les shylocks qui ne veulent pas qu’on les court-circuite.

Une inflation de 0,6% par mois, c’est moins que ce que des pays comme l’Italie ou la France ont connu à maintes reprises durant les « Trente Glorieuses » sans que ne souffle la panique. Une inflation de ce type est ce que nos États ont vécu pendant des décennies, sans s’en porter plus mal. Où serait l’innovation ?

L’innovation, c’est qu’au lieu d’être remis aux banquiers du capitalisme, ces 7,2 milliards iront dans les coffres de l’État. L’État ne cherchera pas à couvrir tous ses besoins financiers à partir d’ajouts à la masse monétaire; il doit, en toute équité, taxer aussi les biens à valeur consensuelle, mais Il retirera de l’inflation fiscale des sommes substantielles.

Il ne faut pas croire, en effet, que l’inflation se limitera à taxer les détenteurs de billets de banque, ce qui est la menue monnaie de notre économie; elle taxera aussi tous les détenteurs d’effets non-indexés libellés en monnaie légale…  Les seuls dépôts bancaires représentent aujourd’hui des milliers de milliards, la dette publique également, et il y a le papier commercial et ces opérations hors-bilan dont nous avons déjà parlé … Beaucoup d’argent.

 16 Taxer les créances

Une inflation programmée produit sur la valeur des créances de tout acabit un effet prévisible. Libellée en monnaie qui perd chaque mois un peu de sa valeur d’achat, chaque créance s’amenuise en monnaie constante. C’est d’ailleurs la situation qui prévaut depuis bien longtemps, par le seul effet d’une inflation qui n’est PAS programmée. Celle-ci peut être élevée ou minime, mais il y a toujours cette détérioration du capital du créancier contre laquelle il se prémunit en exigeant un intérêt qu’il juge suffisant.

Quand on introduit une inflation fiscale programmée, on SAIT quelle sera la détérioration minimale du capital du créancier et c’est cette baisse de la valeur de sa créance qui constitue, pour le créancier, l’impôt qu’il doit payer sur le capital que représente sa créance. Il n’a donc pas à poser d’autre gestes que de faire état de cette créance à son bilan, lors de sa déclaration fiscale mensuelle.

Mais il doit faire cette déclaration. Toute créance – obligation, bon du trésor, billet à terme, etc – est donc enregistrée, sous la responsabilité du prêteur sous peine de ne plus être exigible et de lui faire encourir une amende.

Le montant que représente cette diminution due à l’inflation de la valeur de la créance en monnaie constante, c’est le débiteur aujourd’hui qui en profite. Dans un régime d’inflation fiscale, celui-ci doit faire état de cette dette à son propre bilan pour en fixer le solde net, corroborant ainsi la déclaration identique du créancier.

Toutes autres choses inchangées, le solde net du bilan du débiteur se sera amélioré avec l’inflation. Il devra donc transmettre à l’État l’équivalent de l’inflation fiscale sur cet écart entre ce qu’il a à son actif et ce qu’il y aurait eu si cette inflation fiscale n’avait pas été mise en place. On fait le calcul pour lui…  Le débiteur n’est pas pénalisé, au contraire; il ne fait que respecter ses engagements contractuels. C’est simplement le fisc qui touche sa part

Notons que le débiteur assume ainsi non seulement le taux de l’inflation fiscale, mais ceui de l’inflation réelle dont la valeur de ses biens à valeur consensuelle auront été augmentée. Un mal pour un bien, pour le débiteur, mais le créancier n’a pas à subir la perte supplémentaire qu’il subira du fait de cette inflation non-programmée et dont il ne pouvait prévoir l’ampleur lorsqu’il a fait le choix de prêter alors qu’il ne pouvait tenir compte de l’incidence d’une inflation fiscale encore inexistante.

Dans cette optique, l’État doit offrir au créancier et au débiteur de se substituer à l’une ou l’autre des parties ou aux deux et de rembourser sur le champ, sans pénalité, le capital du prêt et les intérêts courus. Le créancier doit toutefois demeurer garant du remboursement éventuel de la dettepar le débiteur à l’État, car l’insolvabilité du débiteur était des risques que le conditions du prêts devaient couvrir, mais avec le privilège d’exiger que tous les recours soient épuisés contre ce dernier avant que l’État ne fasse valoir sa garantie contre l’ex-créancier.

Débiteur comme créancier pourront donc, s’ils le veulent, se représenter sur le marché des capitaux. Il y aura toujours un marché des capitaux, car il ne s’agit pas de faire mourir le capital sur le tapis roulant de l’inflation, seulement de lui faire prendre un peu d’exercice. Il n’est pas question d’interdire le prêt à intérêt, car toute prohibition qui contrarie la nature humaine ne peut mener qu’à une transgression et, quand on crée des “crimes” dont les victimes sont consentantes, ces interdits qu’on ne peut faire respecter sapent la crédibilité et la légitimité de l’État.

L’intérêt, qui est le prix de l’impatience, sert de toute façon un rôle utile en priorisant les besoins et les projets collectifs comme individuels au vu de nos ressources réelles disponibles, lesquelles ne sont pas infinies. 

L’intérêt ne disparaîtra pas d’une Nouvelle Société.  Sur un marché des capitaux où l’État n’emprunte plus, cependant, mais peut au contraire intervenir à tout moment pour jouer le rôle de prêteur, le taux d’intérêt sera à la baisse, ce qui est bien le but de l’opération.

Quel sera le taux d’intérêt de base ? En introduisant une inflation programmée et en cessant simultanément d’agir comme emprunteur de dernier ressort pour le capital en créant la dette publique, l’État fait chuter dramatiquement le taux de base calculé en monnaie constante. En accordant un crédit gratuit à la concommation selon les besoins de l’économie, il exacerbe encore cet effet.

Hormis le cas du prodigue compulsif – lequel sera vite mis sous curatelle – seul l’investisseur cherchera des fonds. Les emprunter sera l’une de ses options, l’autre étant de chercher un partenaire.   Le détenteur du capital qui voudra le prêter au lieu de l’investir devra sans doute se contenter de peu.

Selon l’évaluation du risque et l’inflation réelle, les taux d’intérêt en monnaie courante seront ce que le marché en décidera, mais il est clair que, sinon dans la majorité des cas du moins en moyenne, ils seront négatifs en monnaie constante. Le capital “qui ne court pas de risques” ne fructifiera pas comme aujourd’hui, mais diminuera en valeur au lieu d’augmenter. La réalité n’en étant pas affectée, la valeur des choses et leur valeur monétaire convergeront et l’écart entre eux sera résorbé PROGRESSIVEMENT, mois après mois, de ce taux d’intérêt négatif moyen qui pourra varier selon la hâte que mettront  les détenteur de monnaie à s’en départir.

Le résultat est une déflation déguisée en inflation et qui ne frappe que les possédants, car l’inflation à laquelle doit faire face celui qui n’est que consommateur et n’a pas de placements financiers  est un paramètre connu contre lequel il peut être prémuni par une politique des revenus qui en tienne compte.

Le résultat, c’est de nous faire parcourir en sens inverse le chemin financier que nous suivons depuis la fin de étalon-or.  Remonter la pente douce sur laquelle nous glissons avant d’atteindre le bord du gouffre … ou grimper ensuite la falaise abrupte si on n’a pu éviter d’y choir.

17 La valeur consensuelle

Taxer la valeur monétaire par l’inflation apporte non seulement des revenus significatifs, mais contribue aussi à résorber l’écart entre valeur réelle et symbolique. Se limiter à taxer par l’inflation les détenteurs de monnaie et de titres à valeur fixe exprimée en monnaie, toutefois, serait injuste.  Imposer la monnaie, sans imposer les biens à valeur consensuelle, pourrait même  qu’aggraver le déséquilibre entre les nantis – qui trouveraient refuge dans des investissements en biens réels – et ceux dont la seule richesse est un salaire dont l’ajustement à l’inflation pourrait venir toujours avec un retard voulu.

Cela d’autant plus, bien sûr, que les biens à valeur réelle dont la valeur repose sur un consensus font toujours l’objet d’une spéculation et que, par définition, la valeur au moins moyenne en augmente en proportion directe de l’inflation. Pendant que l’inflation taxe inexorablement le détenteur de monnaie, sans même qu’il ait à s’en préoccuper, le propriétaire de biens rèels à valeur consensuelle, lui, doit donc payer régulièrement son impôt sur le capital le premier jour de chaque mois.

Son taux d’imposition, sur tous ses actifs en biens à valeur consensuelle, sera fixé de sorte que leur valeur résiduelle en monnaie courante après paiement de l’impôt, soit celle d’un capital monétaire de valeur initiale identique qui aura été assujetti à l’inflation fiscale. Au départ, le taux d’imposition que paye le propriétaire de biens à valeur consensuelle sera en fonction de l’inflation fiscale programmée, mais un ajustement sera requis.

Quelles que soient les mesures qu’on ait mises en place pour rassurer la population et nettoyer le marché des spéculateurs, il apparaîtra sans doute une inflation non-programmée qui viendra s’ajouter à l’inflation fiscale. Il sera donc nécessaire de ré-ajuster ex post le taux d’imposition des biens dont la valeur augmente avec l’inflation, afin que ce taux soit conforme à l’inflation totale réelle. Chaque déclaration mensuelle fera ce réajustement pour le mois précédent ou anté-précédent, selon la capacité de l’État de traiter rapidement les données de l’indice des prix à la consommation.

Quel que soit le taux uniforme établi mensuellement, il faut connaître la valeur des biens à valeur consensuelle du patrimoine et il faut donc que ces biens soient clairement identifiés. Pour cette identification, il est nécessaire d’instaurer un service d’enregistrement universel. Il y a déjà beaucoup de choses sujettes à enregistrement, allant de la propriété immobilière aux véhicules en passant par l’immense majorité des valeurs mobilières.

Dans un régime de taxe sur le capital, TOUT ce qui a valeur marchande de plus de 100 dollars ou euros doit être enregistré. L’enregistrement doit préciser la valeur du bien enregistré et c’est cette même valeur qui doit apparaître à la déclaration fiscale mensuelle. Si l’on change la valeur à la déclaration, elle doit aussi être changée à l’enregistrement et, en fait, dans un système informatisé, la mise à jour et donc la concordance seront automatiques.

Un travail énorme ? Non. Au moment de la mise en place initiale, l’enregistrement des biens existants et de leur valeur résiduelle créera une tâche significative, mais les déclarations existantes pour fins d’assurance faciliteront cette tâche… comme les réclamations aux assureurs seront subséquemment facilitées par la valeur marchande incontestable ainsi déterminée pour chaque objet assuré.

Quand le système est en place, la simple mise à jour mensuelle est triviale. L’enregistrement est en principe la responsabilité de l’acquéreur, mais sa déclaration est évidemment corroborée par celle du vendeur ou autre cédant, lequel s’empressera de faire rayer objet cédé de ses stocks ou de la liste des biens surs lesquels il est imposé.

Le bilan de chacun indiquera, par catégories, les biens autre que la monnaie dont le déclarant est propriétaire, avec la valeur et le numéro d’enregistrement de chaque bien dont la valeur excède 100 $ et une estimation en vrac des biens de valeur individuelle inférieure à 100 $. Chaque bien est taxé, en date de la déclaration, au taux en vigueur pour le mois dont l’État a décidé. Ce taux est égal à celui de l’inflation fiscale, ajusté pour corriger tout écart du mois précédent entre inflation fiscale et inflation réelle…

Le montant à percevoir est dû le premier jour du mois et le paiement doit accompagner la déclaration.

Le paiement est en fait un consentement : la monnaie ou le crédit sont déjà au compte du contribuable à la Banque de l’État. Si. dans les trente (30) jours de son exigibilité, ce consentement n’est pas reçu, où si le crédit total à son compte est insuffisant, il y a saisie automatique de plein droit de tous les biens inscrits à la dernière déclaration fiscale du contribuable en défaut

Ce dernier en reste le gardien judiciaire – comme de tout bien qu’il aurait négligé de déclarer, mais dont on pourra faire la preuve qu’il est propriétaire – et copie de la saisie est acheminée au bureau d’enregistrement, rendant illégale toute transaction ultérieure sur ces biens jusqu’à ce que le montant dû ait été acquitté. 30 jours plus tard, si le montant dû n’a toujours pas été payé, les biens passent formellement sous la garde de la justice qui fera vendre aux enchères les biens saisis, acquittera la dette envers le fisc et, s’il y a lieu, créditera le reliquat du produit de la vente au contribuable.

La déclaration mensuelle répartira les biens à valeur consensuelle en plusieurs catégories regroupées en trois (3) groupes. En effet, si tous les biens à valeur consensuelle voient leur valeur augmenter au rythme de l’inflation, il en est dont la valeur réelle est permanente, voire croissante – et dont la valeur monétaire nette croit donc autant ou plus que l’inflation – alors que d’autres, qui se déprécient avec l’usage, peuvent avoir une valeur monétaire nette décroissante, la hausse découlant de l’inflation ne compensant pas cette dépréciation.

Pour les fins de la fiscalité, il faut distinguer entre ces deux groupes et aussi un troisième – celui des droits cessibles – que nous traitons dans un texte à part, à cause de la problématique particulière dans laquelle ces biens  s’inscrivent.

18 Biens s’appréciant

Les biens sujets à appréciation sont les biens que l’on perçoit comme permanents ou semi-permanents et qui ont une valeur d’usage ou de rareté. Un terrain ou une œuvre d’art, par exemple. Les biens sujets à appréciation, en termes monétaires, sont aussi ceux dont la dépréciation par l’usage est si faible, qu’elle diminue la valeur réelle de la chose moins qu’une inflation même modérée n’en augmente le prix .

Il en est ainsi, par exemple, des immeubles mais aussi, entre autres, des actions représentant cette valeur intangible, mais bien recherchée que constitue la propriété d’une compagnie.

 Taxer la monnaie par l’inflation crée une plus-value monétaire sur ces biens, sujets à appréciation, comme sur tous les biens dont la valeur consensuelle n’est pas exprimée en monnaie.

Ainsi, laissant de coté toute autre influence qui pourrait mener à une inflation réelle supérieure, une inflation fiscale programmée de 7,2% per annum, par exemple, devrait normalement entraîner une hausse équivalente des prix. Une maison ou des actions en bourses qui symbolisent la propriété d’une compagnie et qui valent 100 000 $, par exemple, avant inflation fiscale devraient en valoir environ 107 200 $ par la suite.

De combien faut-il taxer ces capitaux à valeur consensuelle pour que leurs propriétaires contribuent au fisc autant que le détenteur de monnaie? La réponse intuitive est “de sept mille deux-cents dollars”. Celui qu’a taxé l’inflation a toujours ses 100 000  $, qui vaudront alors 93 283 $ en pouvoir d’achat des unités monétaires d’avant l’inflation; celui qui a gardé son bien à valeur consensuelle a en main une valeur en monnaie courante de 107 200.

En payant ce montant de 7 200 $ – ajusté subséquemment pour qu’il corresponde à l’inflation réelle – le propriétaire d’un bien à valeur consensuelle pose un geste équivalant à “racheter” la part de son bien qu’il devrait normalement céder au fisc à titre d’impôt sur le capital. Il a donc en main la même valeur résiduelle réelle que celui dont la richesse était et est demeurée monétaire. Ceci s’applique à tous les biens dont la valeur monétaire nette augmente ainsi avec l’inflation: propriétés, pierres et métaux précieux, oeuvres d’art, parts sociales et autres produits spéculatifs.

Determiner le taux d’imposition n’est cependant qu’une partie du problème. La question la plus épineuse est de déterminer la valeur de la chose sur laquelle on veut prélever une taxe sur le capital. Pour beaucoup de choses, cette valeur est évidente, soit nominative, soit déterminée par un “prix du marché”. La valeur d’une action en bourse, un jour donné, par exemple, peut être fixée à son prix au moment de l’ouverture ou de la clôture des marchés.

Pour d’autres biens, cependant,la valeur prête à interprétation et l’évaluation qu’on a fait pour fins fiscales pourrait donner lieu à des discussions infinies. L’établissement du rôle d’évaluation foncière est le meilleur exemple de ce problème. Une évaluation de tous les biens dont la valeur dépasse 100 $ et qui procéderait selon les mêmes règles que l’évaluation foncière serait un cauchemar.

La solution définitive à ce problème est de laisser chacun déterminer lui-même la valeur de chacun de ses biens.  Mais il n’est pas question de gérer la fiscalité d’un État  selon le « honor system » du pub d’un college anglais. La valeur qu’un propriétaire assigne à son bien doit être le prix auquel il accepterait de le céder à tout acheteur qui en payerait  ce prix.

Ainsi, le contribuable peut inscrire la valeur qu’il veut à sa déclaration mensuelle pour chaque objet de son patrimoine valant plus de 100 $ – et pour la somme de ses menus objets “en vrac” – mais c’est cette même valeur, qui est inscrite au bureau d’enregistrement, qui doit déterminer à quel prix le propriétaire est prêt à se départir de ce bien.

Le contribuable, en présentant sa déclaration fiscale mensuelle, fait donc une OFFRE IRRÉVOCABLE DE VENTE (OIV) de tout bien qu’il y a inscrit, au prix qu’il y a assigné à ce bien. Cette auto-évaluation s’appliquera à tous les biens sujets à appréciation, les biens sujets à dépréciation, pour leur part, étant imposés sur leur valeur résiduelle, comme nous le verrons plus loin.

Comment rendre effectif ce moyen de contrôle que constitue l’OIV ? Les inscriptions au bureau d’enregistrement, par catégories de biens, seront publiques. Quiconque le souhaite pourra y avoir accès, y trouver la description du bien et la valeur que lui a assignée son propriétaire et manifester son intention conditionnelle de s’en porter acquéreur à ce prix, en mettant la valeur indiquée au registre en dépôt judiciaire et en en avisant le registraire qui lui-même en avisera le propriétaire

L’objet est immédiatement examiné sommairement devant témoin sous l’autorité du registraire et l’acheteur éventuel a alors 30 jours pour l’inspecter et rendre l’achat définitif, période durant laquelle le “vendeur” doit lui apporter tout son concours pour faciliter cette inspection, sous peine que le délai ne soit prolongé jusqu’à ce que l’inspection ait pu avoir lieu et d’une condamnation à des dommages.

On trouvera au texte suivant, plus de détails concernant l’application de l’OIV à des immeubles. Dans les textes qui suivent, nous verrons  comment les modalités de la taxe sur le capital et de la procédure d’acquisition suite à une OIV  s’appliquent pratiquement, mutatis mutandis, à chacune de quatre grandes catégories de biens sujets à appréciation.

Une exception à cette règle, toutefois.  Certains biens n’ont simplement pas de prix pour celui qui les possède; la valeur en est sentimentale. Le propriétaire d’un bien pourra mettre ce bien à l’abri de toute vente forcée par OIV, en faisant accepter par le fisc une déclaration de valeur pour ce bien égale au double de sa valeur marchande objective estimée par un expert du fisc.

  Quand cette valeur doublée a été convenue, il n’y a pas d’OIV, à moins que des ajouts matériels ne soient apportés à la chose ou que le décès du propriétaire ne suggère qu’on en fasse une nouvelle évaluation objective avec ses ayant droits.

19 L’immobilier

Quand on passe d’un impôt sur le revenu à un impôt sur le capital, l’immobilier redevient primordial. Taxer l’immobilier est facile. Vous envoyez la facture, vous recevez le paiement prévu ou, sinon, vous prenez possession de l’immeuble, vous le vendez et vous vous payez vous-même.

La vraie question, ce n’est pas l’application d’une taxe foncière, laquelle est la pierre d’assise d’une taxe sur le capital, c’est l’estimation loyale de la valeur des immeubles. Cette estimation loyale est rarement faite. Pensez simplement au “rôle d’évaluation” actuel dans une ville comme Montréal, par exemple, rôle qu’on recule devant la tâche ingrate de modifier, parce qu’on n’ose pas faire face aux bouleversements que ce changement entraînerait, même si l’on sait et qu’on avoue qu’il ne correspond plus en rien à la réalité.

Que faut-il faire pour taxer loyalement la propriété foncière selon sa valeur réelle? Appliquer une solution tellement simple qu’on ne la voit pas: demander à chaque propriétaire de faire lui-même l’évaluation de sa propriété. Évidemment, il faudrait ajouter une petite clause poison. Laquelle? La déclaration de la valeur de sa propriété que dépose le propriétaire au fisc est aussi déposée à un Registre des immeubles du Bureau d’Enregistrement et constitue une offre irrévocable de vente (OIV). Cette valeur, bien sûr, ne devant jamais être inférieure au montant des hypothèques dont la propriété est grevée.

Le régistre est public. Quiconque veut acquérir la propriété au prix qu’on lui a ainsi fixé n’a qu’à en déposer la somme au greffe ad hoc du tribunal et à remettre son acceptation conditionnelle des termes de l’OIV au Registraire, avec la preuve du dépôt judiciaire; l’acheteur potentiel a 30 jours pour en faire ensuite l’inspection et, s’il en est satisfait, il peut prendre possession de la propriété 30 jours après signification de son accord final au propriétaire. Il ne doit exister aucun recours pour s’opposer à cette vente ou en retarder l’exécution; tous les baux en vigueur affectant la propriété deviennent donc caducs au moment de la vente.

Le locataire en subit évidemment un préjudice; il en est dédommagé par un montant fixé de gré à gré avec le propriétaire au moment de la signature du bail ou, à défaut de telle entente, par une indemnité fixée par la loi équivalant à quelques mois de loyer. Ce dédommagement doit rester acquis au locataire, sauf si le nouveau proprio lui accorde un nouveau bail à des conditions identiques au précédent, ce à quoi ce dernier n’est toutefois nullement tenu.

L’avantage de cette méthode est double. D’une part, on comprend que c’est la valeur subjective que les propriétaires accordent à leur maison qui devient l’assiette fiscale, laquelle est alors systématiquement biaisée à la hausse, si on la compare à la valeur objective du marché, puisque la majorité des gens ne veulent PAS se départir de leur propriété au prix du marché… sans quoi il le ferait.

Est-ce que, de cette façon, on n’abuse pas systématiquement des propriétaires?  Pas si l’État joue franc-jeu. Jouer franc-jeu, pour l’État, c’est fixer au départ un taux  d’imposition – disons 7,2% – mais rectifier ce taux à la baisse quand les évaluations ont été soumises et que la valeur de l’assiette fiscale a été précisément déterminée si, comme on peut s’y attendre, celle-ci s’avère plus grande qu’on aurait pu le supposer.

Le contribuable recevra le trop perçu sous forme de crédit sur ses impôts à venir, cette correction à la baisse ayant sur la population le même impact lénifiant que le “retour d’impôt” actuel, même si ce crédit est parfois annulé par l’ajustement ex-post à la hausse apporté à la cotisation initiale pour que celle-ci corresponde à l’inflation réelle et non seulement fiscale.

Dès qu’on introduit cette auto-évaluation qui devient une offre irrévocable de vente (OIV), il suffit de peu de temps pour que la “valeur subjective” d’un immeuble et sa valeur marchande réelle tendent à se rejoindre. Cette objectivation des attentes arrivera de plus en plus fréquemment et de plus en plus vite et est le deuxième avantage de cette approche.

Les contacts souvent velléitaires entre acheteurs et vendeurs se transformeront en un véritable marché de l’immobilier, transparent et plus actif, comme la Bourse, mais à cette distinction près qu’on y négociera du tangible. Le marché de l’immobilier sera une singularité, mettant en jeu des valeurs réelles brutes, dans une économie où toute valeur significative tend à devenir virtuelle.

Le capital fixe, utilisé pour la production, est aussi une réalité, mais dans la mesure où les éléments n’en sont pas librement interchangeables, il ne constitue pas UN vrai grand marché ouvert, mais une multitude de petits marchés fermés. L’immobilier est le grand point de contact effectif entre le réel et le virtuel.

L’OIV est une procédure qui tend à « mercantiliser » l’immobilier. Sur le plan fiscal, c’est un indubitable avantage : on sait mieux ce que valent consensuellement  les propriétés. L’impôt sur le capital peut se démocratiser et se montrer comme équitable au lieu d’être perçu comme un confiscation.  Une grande prudence est de mise, cependant, quand l’immobilier revêt les caractéristiques des instruments créés pour faciliter la commercialisation.

Un immeuble n’est pas indéfiniment divisible et doit en bout de course constituer une ENTITÉ. L’ensemble – ou au moins ses éléments structurés – doivent  finalement être remis entiers, comme le bébé sauvé par Salomon, à quelqu’un qui en assurera la garde. Si on n’a pas cette prudence, les immeubles, leur valeur grossie dans le miroir, seront parcellés comme du virtuel jusqu’à ce que les léments n’en puissent plus exister comme réalité et qu’elles soient sacrifiées, sans même un moment de regret, à la croissante de la première ou deuxième dérivées d’une courbe dans l’imaginaire.

Quand on le fera, on s’appauvrira. Il faut maintenir sa spécificité à la fiscalité sur le réel, et ne PAS confondre celle-ci avec la fiscalité sur le monétaire, pour avantageux que paraisse le taux de conversion offert de l’un à l’autre. Les ombres au crépuscule s’agrandissent, mais ne deviennent pas pour autant réalité.

20 Les stocks

Qu’en est-il des  stocks « virtuels » que sont les valeurs boursières et des stocks physiques en entrepôt?  La valeur en bourse du capital-action d’une compagnie est plusieurs fois celle de ses actifs matériels. Cette valeur en bourse représente aussi 10, 20, 100 fois les profits annuels qu’on en attend. Raisonnable ou surfaite, on peut dire n’importe quoi de cette valeur…et les experts financiers ne se gênent pas pour le faire.

Il est donc futile de prétendre établir dans quel rapport la valeur totale des stocks que laisse supposer un Dow-Jones à 11 000 sur-évalue la réalité matérielle, et à combien de trillions se chiffre l’écart entre la richesse réelle et celle que les actionnaires sont persuadés de posséder. Aussi longtemps qu’il y a un consensus – un acheteur présumé solvable prêt à les acquérir – les actions valent en monnaie légale ce que le marché boursier prétend qu’elles valent.

Cette valeur est strictement consensuelle et, fiscalement, la valeur des actions d’une compagnie cotée en bourse est déterminée en tout temps par le prix du marché. Le propriétaire enregistré d’actions sera donc imposé sur le capital comme tout le monde, au taux de l’inflation fiscale, lequel sera réajusté à celui de l’inflation réelle dans la déclaration mensuelle suivante.

Pour les actions transigées au comptoir ou les compagnies privées, c’est le principe de l’OIV qui s’applique. Il auto-évalue ses actions et est taxé selon sa déclaration. Il peut en modifier la valeur demandée en tout temps à condition de réajuster rétroactivement son versement au fisc.  A la hausse, jamais à la baisse. Jusqu’à ce qu’il l’ait fait, la valeur qu’il a fixée à ses actions constitue une OVI

Cette réforme de la fiscalité rend le marché au comptoir totalement transparent. Toutes les compagnies, en un sens, deviennent publiques, puisque toute compagnie est à vendre au prix dont décident son ou ses actionnaires en établissant la valeur sur laquelle ils sont imposés.

Les détenteurs d’actions de compagnies de prospection, nous en parlons ailleurs, peuvent demander un délai de trois (3) ans pour le paiement de l’impôt sur le capital de compagnies qui ne sont pas en exploitation.  Mais ils devront en fixer la valeur et l’impôt, s’il n’est pas payé sur le champ, s’accumulera, mois après mois; après trois ans de cumul, le total des impôts dûs sera payé ou la compagnie avec ses actifs passera au fisc qui en disposera.

Les stocks physiques peuvent être de vieilles voitures, mais aussi des biens de consommation courante : nourriture, vêtements, denrées périssables diverses. Ces biens de consommation ont une double vie. Ils sont acquis pour leur valeur d’usage… après une vie de spéculation mouvementée.

Quand ils sont parvenus entre les mains du vrai consommateur, ces biens sont généralement consommés sans délai; ils ne constituent pas un capital significatif et ils ne servent pas de valeur-refuge contre l’inflation, sauf en cas de catastrophe, réelle ou anticipée.  Ces biens n’ont pas à être taxés entre les mains du consommateur final, sauf si la quantité dont celui-ci s’est muni dépasse un seuil normal de consommation mensuelle que la réglementation fiscale aura défini et qui laisserait supposer qu’il en fait le commerce.

Avant d’arriver entre les mains du consommateur, toutefois, ces biens de consommation courante font l’objet d’une négociation âpre et d’une spéculation effrénée entre divers intermédiaires, allant du producteur au détaillant. Féroce, la spéculation sur les biens de consommation est pourtant de courte durée. Elle débute et se termine, la plupart du temps, avant que ne se soit manifestée une variation significative du rapport entre la valeur de ces biens et celle de la monnaie.

Ces stocks constituent donc une catégorie atypique de biens dont la carrière se passe en transit, l’âme (propriété) séparée du corps.  Les biens réels passent d’un entrepôt à l’autre, pendant que leur propriété va d’un détenteur à l’autre des titres qui en établissent la propriété, jusqu’à ce que possession physique et propriété légale se rejoignent quand les stocks sont livrés à un commerçant en semblables matières, grossiste puis détaillant, et soient vendus au consommateur.

Les stocks sont donc des biens distincts des autres biens sujets à appréciation. Il s’agit de biens sujets à “fluctuation” plutôt qu’à appréciation. Leur variation est pure spéculation dans le court terme. Ces biens constituent un capital considérable qui doit être taxé, quel qu’en soit le propriétaire ; il faut éviter que ces biens échappent au fisc, mais ils sont déjà pratiquement dans un système OIV ! En créer un autre signifierait des tracasseries que ne justifierait pas les avantages qu’on en pourrait tirer.

Pas question, d’autre part, de taxer ces biens comme des biens sujets à dépréciation, car toute dépréciation est déjà intégrée dans le prix payé à l’intermédiaire précédent.  L’évaluation d’une  autre valeur résiduelle que son prix d’achat serait byzantine.

Les stocks seront donc taxés, le premier de chaque mois, entre les mains de leur propriétaire du moment. Ils seront taxés à la valeur que leur propriétaire leur aura assignée… en les achetant

Une part importante des transactions sur les stocks physiques se passe sur les marché boursiers des denrées  – Chicago et autres –  et la valeur que pourrait leur fixer le propriétaire ne s’écarterait pas impunément du prix auquel celui-ci les a acquis. La perception d’une taxe de 0,6% sur la valeur de ces biens n’est pas sans importance sur les marges parfois bien fines des nombreux intermédiaires qui interviennent sur ce marché, mais, le moment de la ponction fiscale étant connu, ces intermédiaires se donneront caution entre eux de leurs obligations fiscales à venir.

Il faut appliquer ici strictement le principe qu’il n’y a pas de choses sans maître. Les stocks demeurent la responsabilité fiscale de chaque intermédiaire à la déclaration mensuelle duquel ils sont apparus, jusqu’à ce que l’impôt s’y appliquant ait été perçu d’un autre contribuable en aval,  Le morcellement des lots au palier du détaillant fera que les stocks cesseront d’apparaître à son bilan comme des unités discrétes, mais les invendus seront toujours à son inventaire, permettant des vérifications occasionnelles

21 Les échappatoires

Tout bien sujet à appréciation peut servir de valeur refuge contre l’inflation, mais il y en a trois (3) dont ce semble être la vocation première depuis toujours : les pierres et les métaux précieux et les oeuvres d’art. Une faille dans la fiscalité. Faut-il les traiter autrement ?

L’or et les métaux précieux seront évidemment sujets à enregistrement, avec titre de propriété propre pour les pièces dont la valeur excède 100 $ et en vrac pour les autres. On exigera que toute transaction sur les métaux précieux ne soit faite légalement que sous forme de pièces ou de lingots poinçonnés, numérotés et inscrits à l’actif d’un propriétaire – c’est ainsi que se font déjà, par “compte métal”, la plus grande partie des transactions légales sur l’or.

Il y a un prix du marché, pour l’or et les métaux précieux, qui ramène les variations de leur valeur à une fourchette étroite et relativement stable.  On a ici, en fait, une « monnaie » rivale, consensuelle plutôt que légale. On tentera de se garder au mieux contre le danger que cette alternative représente, mais, bien sûr, des transactions illégales auront lieu. L’or ne serait vulnérable qu’à une rupture d’un consensus qui existe depuis des millénaires et rien n’en laisse supposer la fin.

Pour les pierres précieuses, le marché est moins formel que pour l’or au palier de la vente au détail, mais, à celui des grossistes, on n’est pas non plus au bazar: à qualité égale, les prix, sont déterminés par un marché global et relativement rigide. Elles sont et demeureront une richesse “au porteur” et, malgré les précautions qu’on prendra le risque qu’on s’en serve pour évasion fiscale ne peut être totalement éliminé. Un risque marginal, toutefois.

Pour les pierres brutes, d’abord, il vaut mieux s’y connaître. Peu de gens savent dans quelle mesure ce marché est artificiel et leur valeur précaire.  Cachées, elle peuvent, comme certains oiseaux, voler bien longtemps hors de vue, mais, tôt ou tard, il faut bien qu’elles touchent terre… et le percepteur sera là pour les attendre.

Pour les pierres qui deviennent bijoux, leur valeur déclarée sera souvent supérieure à leur valeur marchande, non seulement pour tenir compte du travail de joaillerie, mais aussi parce que leur valeur sentimentale dépasse souvent leur valeur matérielle. On peut être pragmatiques et les taxer simplement comme tout autre capital réel.

On peut penser, d’ailleurs, que pour éliminer concrètement la possibilité de devoir céder sur OVI un bijou auquel il tient beaucoup, le contribuable utilisera souvent la possibilité qui lui est offerte de mettre un bien totalement à l’abri d’une vente forcée en faisant accepter par le fisc une évaluation égale au double de sa valeur marchande estimée par un expert du fisc et un expert impartial.

.Problème similaire, celui des œuvres d’art. Parce qu’elles ont un support matériel, il faut bien introduire les oeuvres d’art parmi les éléments de la richesse réelle à valeur consensuelle, mais en ce cas le “réel” est bien tenu et la part de l’imaginaire énorme. Une oeuvre d’art, considérée comme un capital, est tout aussi “symbolique” que la monnaie, à cette différence près que ce n’est pas l’État qui en garantit la valeur, mais un consensus.

L’oeuvre d’art a, sur la monnaie, l’avantage de s’apprécier avec l’inflation, comme tout autre bien à valeur consensuelle. Elle a, d’autre part, le désavantage de pouvoir se déprécier sans limite et de façon imprévisible. En fait, les oeuvres d’art s’apparentent surtout à un capital social, mais un capital social dont la valeur ne varie pas en fonction d’une production plus grande ou d’une saine gestion, mais seulement en fonction d’un arbitraire imprévisible et impondérable.

Comme tout autre bien réel, toute oeuvre d’art doit être imposée à sa valeur consensuelle selon le prix que lui assigne son propriétaire et qui devient une OIV. Le Rembrandt ou le Van Gogh qui vaut des millions doit être enregistré, de même que toute oeuvre dont la valeur atteint 100 $, mais les oeuvres d’art sont bien mobiles et donc aisément dissimulées. Est-ce à dire que mieux encore que l’or ou les diamants, l’art sera la valeur refuge par excellence pour la richesse occulte?

Improbable. Il y aura des fraudes, mais sans dout pas plus que maintenant. En effet, si le propriétaire n’en déclare pas la propriété, il ne fait pas que commettre un délit et risquer gros s’il est découvert – confiscation de l’oeuvre, poursuite pénale pour fraude fiscale, etc – il se prive aussi de la valeur ostentatoire de l’oeuvre  – qui est, en fait, sa raison d’être – et il perd aussi ses recours si on la lui vole, puisque on ne peut lui voler ce qui ne lui appartient pas…
Plus qu’à une recrudescence de l’usage de l’art comme abri fiscal, il faut s’attendre à une baisse de la valeur marchande des oeuvres d’art; en effet, c’est une chose de posséder une toile de cinquante millions de dollars dont on peut espérer qu’elle en vaudra demain soixante… mais c’en est une autre que de payer en impôt plus de 10 000 $ par jour, le plaisir de voir dans son salon une image dont on peut, pour pas très cher, faire exécuter par ordinateur une copie que seul un expert pourra distinguer de l’original!

Privé – ou soulagé – de la spéculation dont il fait l’objet, l’art aura peut-être besoin d’un appui financier plus ferme de la part de l’État pour que sa valeur culturelle ne soit pas compromise si son marché financier s’effondre. Ceci, cependant, est un autre débat.

Comme est un tout autre problème celui de la drogue qui peut aussi être une valeur refuge. La drogue est un bien qui est consommable et qui a donc une véritable valeur d’usage. Une « utilité », donc, bien plus intimement ressentie et dont la valeur marchande au kilo est bien supérieure à celle de l’or.  Il ne tient qu‘à la société, cependant de rayer les drogues de la liste des échappatoires en en légalisant le commerce.  On en parle ailleurs.

22 Les biens se dépréciant

Il y a des biens réels dont la valeur nette n’augmente pas avec le temps; ce sont ceux qui se déprécient à l’usage, comme une voiture, un électroménager, tous les biens qu’ont dit “durables” ou “semi durables” et dont la caractéristique principale … est de ne pas durer. Leur valeur n’est jamais aussi élevée qu’au moment de leur acquisition, puisqu’ils sont acquis exclusivement pour leur valeur d’usage et se détériorent constamment. Plus ou moins.

Durables ou semi-durables, ces biens ont en commun, pour les fins de la fiscalité, que même si leur valeur monétaire augmente en raison inverse de l’inflation, comme celle de tout bien à valeur consensuelle, cette hausse de valeur monétaire porte sur une valeur résiduelle après usage et ne compense pas la baisse de valeur qui résulte de leur usure normale

On pourrait, bien sûr, imposer les biens sujets à dépréciation de la même façon que les biens sujets à appréciation, le propriétaire en fixant la valeur qui devient alors une OIV dûment enregistrée et publique. Cette approche, ici, ne serait pas pratique, toutefois, car elle s’appuie sur la notion qu’il existe un marché implicite pour tout bien à valeur marchande et qu’il suffit de rendre ce marché transparent pour que la valeur de consensus des choses apparaisse.  Ce qui n’est pas toujours le cas pour les biens sujets à dépréciation.

Quand on rend transparentes l’offre et la demande pour les biens sujets à dépréciation, ceci ne conduit pas nécessairement à la génération spontanée d’un marché, pour deux (2) raisons:

a) l’usage qu’on a fait d’une chose n’est pas nécessairement “normale”. Déterminer la détérioration qu’elle a subie exige une certaine expertise, de sorte que faire de la déclaration de valeur par le propriétaire une OIV n’entraînerait pas nécessairement une estimation rigoureusement honnête, n’inspirerait pas confiance et ne susciterait pas nécessairement un large intérêt;

b) certains biens sujets à dépréciation – les équipements de production, par exemple – ne peuvent être utiles que pour un nombre parfois bien restreint d’utilisateurs. Improbable, donc, que se forme sans connivence dans ce cartel de fait un véritable “marché” qui en fixerait la valeur équitable. Qui offrirait combien pour les presses d’un journal ?  Pour l’équipement d’une papetière?  On jaserait entre collègues…

Actuellement, ces biens durables entre les mains des producteurs sont dits “sujets à amortissement” et donnent lieu à des pirouettes fiscales clownesques. Dans un régime d’imposition du capital, la même notion d’amortissement s’applique, mais la façon correcte de les imposer est de fixer pour chaque catégorie de biens durables une table d’amortissement qui en établisse la valeur résiduelle moyenne, calquant d’aussi près que possible la réalité.

Un exemple existe déjà de ce genre de tables: c’est le “Blue Book” qui indique la valeur “normale” d’une voiture usagée. Évidemment une voiture peut se vendre plus ou moins cher que sa valeur “normale”, mais le prix du Blue Book est un indicateur raisonnable de sa valeur. 

Pour les fins de la fiscalité, un indicateur du type Blue Book pour tous les biens durables serait opportun.

On a alors une valeur consensuelle objective. Si le propriétaire prend si bien soin de son bien que la valeur marchande après usage en dépasse la valeur moyenne et qu’il trouve preneur à plus cher, grand bien lui fasse. Quand la valeur résiduelle d’un bien durable a été ainsi déterminée, c’est le même taux d’imposition unique qui s’y applique

La même règle peut-elle s’appliquer à l’imposition de tous les biens durables ? Oui, sous réserve des modalités de contrôle qui peuvent varier selon l’usage – consommation ou revente – auquel le destine celui qui l’acquiert. La procédure fiscale mise en place doit tendre à faciliter ce contrôle, et donc supprimer, dans toute la mesure du possible, la part d’arbitraire dans la détermination des objectifs de l’acquéreur.

La fiscalité par imposition du capital repose sur la déclaration et l’enregistrement de la valeur des choses. Les propriétaires en ont la responsabilité, mais ceux qui en font commerce aussi. Toutes les ventes de producteur à distributeur et à un grossiste, comme  du grossiste au détaillant doivent être enregistrées, mais les biens similaires dont la valeur individuelleest inférieure à 100 $ peuvent être groupés et c’est le montant global de la transaction qui sera noté.

Chaque intermédiaire commercial, dans une déclaration mensuelle, fait état de ses stocks en inventaire. Cet inventaire doit correspondre à celui du mois précédent, plus les entrées (achats) moins les sorties (ventes) et l’intermédiaire est taxé sur la valeur d’achat des biens de son inventaire. Ceci recoupe ce que nous avons dit précédemment pour les stocks.

Pour les ventes à un présumé consommateur final, le vendeur doit passer copie de la facture au Bureau d’Enregistrement au moment dela transaction, ce qui sera nomalement automatisé à partir de sa caisse. L’identification de l’acquéreur, comme le montant de la vente, seront donc automatiquement notés, permettant au fisc d’en faire le contrôle éventuel, sans doute par échantillonnage. Les données qui apparaîtront aux déclarations mensuelles des commerçants devront recouper celles ainsi inscrites au Bureau d’Enregistrement.

Les biens acquis par le consommateur final doivent se retrouver dans son patrimoine, leur valeur diminuant selon les taux de dépréciation s’appliquant à la catégorie où ils s’inscrivent et qui apparaitra sur sa facture enregistrée. Si un bien est perdu, volé ou détruit ou qu’il s’en départit , le propriétaire doit en aviser le bureau d’enregistrement.

Intermédiaire ou consommateur final, personne n’aura pas à suer sang et eau pour préparer sa déclaration fiscale. Le prix d’un bien et la catégorie à laquelle il appartient pour fins de dépréciation seront indiqués sur les factures d’achat. Dès qu’un bien apparaîtra à une première déclaration mensuelle, les formulaires de déclaration mensuelle suivants qui seront expédiés au déclarant par le fisc en feront état comme d’un élément de son patrimoine. Le montant dû au fisc aura été pré-calculé, compte tenu du prix du bien, de sa dépréciation ainsi que du taux d’imposition pour le mois. Le contribuable n’aura pas à le faire, sauf s’il veut en vérifier l’exactitude en consultant lui même la table idoine, ou s’il a à en modifier la valeur de certains éléments.

23 Les équipements

Capital fixe et équipements domestiques sont deux grandes catégories de bien sujets à dépréciation. Je les distingue ici pour que l’on saisisse bien ce que cette appellation recouvre, mais je le fais avec une certaine appréhension, car les deux doivent être taxées au même taux: celui de l’inflation fiscale, corrigé ex-post pour qu’il corresponde à l’inflation réelle. Or, pour les fins de sa politique générale et pour promouvoir certains types d’investissements, l’État choisit souvent s’écarter du taux unique d’imposition. C’est une erreur. On ne devrait PAS utiliser la fiscalité à cette fin.

Voyons d’abord le capital fixe. On a vite compris qu’il fallait des outils pour produire. Avec l’industrialisation, les outils se sont compliqués, sont devenus outillage puis, de façon plus générale, on a pu parler d’équipement.  L’équipement est le grand multiplicateur de la production.  C’est la manifestation tangible du « capital » et on désigne comme « capital fixe », toute cette panoplie de machines diverses qui constitue l’essence d’une usine de fabrication.

Ce capital fixe est ce qui permet de produire et il représente souvent le plus clair des avoirs matériels d’une corporation. Étant dans la trajectoire de l’évolution technologique, le capital fixe devient de plus en plus vite  désuet. Son remplacement est la plus grosse dépense que doit prévoir un producteur. Sa décision la plus conséquente, aussi.  S’il remplace trop vite, il n’amortit pas et perd sa rentabilité ; s’il remplace trop tard, il cesse d’être concurrentiel et il perd sa clientèle.

Dans un régime fiscal de taxes à la consommation, on pouvait s’apitoyer sur ce dilemme du producteur au point d’hésiter à le taxer. On alléguait alors que, pour encourager les investissements productifs, il vaudrait mieux s’abstenir de taxer les achats d’équipements ou ne le faire qu’à des taux préférentiels.

En réalité, ne pas taxer  – ou mal taxer – l’achat d’équipements pouvait souvent produire des résultats aberrants. Encourager, par exemple, les utilisateurs d’équipement à ralentir le rythme de leur mise au rancart, freinant une mise à jour continuelle pourtant essentielle à l’optimisation de la productivité. Des formules ont donc été trouvées pour intervenir au palier des tables de dépréciation qui déterminent les rythmes d’amortissement. On a utilisé ces taux variables  pour accélérer ou ralentir la modernisation des équipements.

On a créé des exceptions fiscales byzantines, qui peuvent cacher des préférences inavouables. Dans une nouvelle fiscalité,  on taxe pareillement tout capital à son évaluation la plus juste et on trouve d’autres façon  – le crédit  gratuit dont je parle ailleurs, par exemple – pour promouvoir les comportements économiques que l’on souhaite.

Quand on taxe le capital, il faut bien taxer les équipements. On fixe aussi des taux de dépréciation variables, mais la dépréciation se veut objective, reflétant la réalité et neutre dans ses effets  il ne s’agit plus d’une incitation à accélérer la rotation des équipements par des rabais de taxes ou des crédits d’impôts qui ne valent que si l’on s’en sert. La valeur d’un équipement diminue avec sa dépréciation, ce qui est conforme aux faits, mais n’est jamais nulle. Son coût fiscal n’est jamais nul non plus, aussi longtemps qu’un équipement est en service.

L’imposition étant sur le capital et non sur la consommation, l’équipement déprécié vaut moins et est moins imposé. Cela va de soi et est inconditionnel. Il faut que la décision de changer les équipements découlent d’une analyse des vraies variables à leur vraie valeur.

En parallèle aux équipement qui servent à la production, il y a ceux  – véhicules, meubles, électroménagers, etc – qu’on trouve dans chaque ménage et qui constituent les biens durables domestiques.  En principe, ils doivent être imposés exactement comme le capital fixe qu’on trouve dans l’industrie et les autres éléments de la richesse.

Une grave tentation pour l’État. On peut se demander, en effet, si l’État à vraiment avantage à se rendre odieux en serrant les mailles du filet et en cherchant à taxer comme capital les réfrigérateurs, les téléviseurs et les tondeuses à gazon, alors que le plus clair de ses revenus viendra d’ailleurs et qu’une petite augmentation du taux d’inflation fiscale pourrait rendre inutile ce volet de taxation des équipements domestiques.  Le fera-t-il ?

Si on pense uniquement en termes politiques, taxer la valeur capitale résiduelle des petits biens de consommation durables n’est peut-être pas, en effet, une très bonne affaire. Cependant, même si une décision de ne pas taxer est toujours populaire, il faut prendre garde qu’en exemptant ces biens domestiques durables de l’impôt sur le capital on ne réduise pas de façon trop radicale la liste des payeurs de taxe.

Il est important qu’une immense majorité de la population se perçoive comme “contribuable” et s’identifie ainsi à la chose publique. Le résultat net du passage à un impôt sur le capital sera de taxer davantage les nantis. Il serait judicieux de ne pas en faire une provocation et de ne pas créer une situation où seuls les “riches” sont imposés. On donnant l’impression de le faire, on creuserait davantage, entre les classes économiques, le fossé que nous voulons combler.

Il faut que chacun soit imposé en fonction de sa richesse, petite ou grande. Toute “progressivité” de l’imposition est malsaine, non seulement parce qu’elle est tôt ou tard contournée, mais aussi parce qu’elle ne peut que scinder la population en clans opposé.  Il en va de mme de toute régle qui exclut de l’impot unquelconque segment de la population.

Les gouvernements successifs devront prendre et reprendre sans fin cette décision quant à l’opportunité de taxer comme capital la valeur résiduelle des biens durables des ménages. Ce point deviendra inévitablement un enjeu électoral, comme le pain et les jeux. Les montants seront triviaux, mais la décision doit être prise au vu non seulement des sommes, mais aussi des principes en jeu.

24 Les droits cessibles

n’y a pas que les objets qui sont représentés par des symboles, il y a aussi des droits et certains de ces droits sont des sources de revenus importantes; il faut les considérer comme un capital. Ceci semble évident, mais la ligne est parfois mince entre un droit que l’on peut taxer sans discussion et un droit inhérent à la personne qui, même s’il constitue indubitablement une richesse, ne peut simplement pas être taxé sans mener à des bizarreries. 

On ne peut pas taxer la beauté ni l’intelligence, on ne taxera certainement pas l’éducation acquise, ni un contrat de travail.

Où met-on la barre? Où est la logique qui justifie de la mettre là, et pas ailleurs? On peut dire que l’on taxe ce que le contribuable “a” et non pas ce qu’il “est”, mais il y a place à interprétation. Est qu’on “a” un doctorat ou est-on devenu un docteur? Le critère qui me semble pratique est celui de l’aliénabilité. Ce qui peut être cédé à autrui sans perdre toute valeur réelle peut être saisi et vendu et peut donc aussi être taxé. Taxons le.

Au premier chef, ceci vaut pour les brevets, patentes, droits de prospection et d’exploitation, droits d’auteurs, etc. Ces droits n’existant que pour un temps, on pourrait penser à les traiter comme des biens sujets à dépréciation, mais la difficulté de leur assigner une valeur initiale et l’incertitude quand à la durée de leur valeur réelle – qui n’est pas limitée que par leur terme nominal, mais par l’évolution de l’environnement technique et social – rend cette approche inapplicable. En fait, la valeur de ces droits ne peut vraiment être estimée que sur la base des revenus qui en découlent et la volatilité de leur rentabilité exclut qu’on détermine leur valeur capitale à partir de ces revenus estimés à un moment ou l’autre de la vie de ces droits.

C’est une occasion où la méthode de l’auto-évaluation constituant une OIV s’applique donc parfaitement, à cette distinction près que le contribuable lui-même, en ce cas, n’a pas une idée raisonnable de la valeur de son bien. Donnons lui la chance de faire cette évaluation et le choix entre deux approches.

D’abord, comme aux compagnies de prospection, permettons lui de mettre dès le départ un prix sur ces droits; la taxe sur le capital s’appliquera alors et l’OIV sera en vigueur, mais le paiement en sera différé jusqu’à trois ans. Si les taxes cumulées ne sont pas payées à cette échéance, les droits passeront au fisc en solde de tout compte pertinent à ces droits.

Alternativement, permettons lui de ne fixer la valeur de son droit et de ne mettre une OIV en vigueur qu’à la fin d’une période d’un an, mais payant alors rétroactivement au fisc, au moment de la première déclaration, les montants correspondants à cette évaluation comme si ces montants avaient été fixés au départ et que le paiement en avait été simplement reportés. Si le déclarant à la fin de l’année fixe à ses droits une valeur nulle, les droits passeront aussi au fisc en solde de tout compte pertinent à ces droits.

Il y a aussi la question de l’achalandage. Il s’agit d’une valeur – on lui appose un prix bien concret quand une entreprise est cédée – mais une compagnie ne peut vendre son achalandage et continuer d’opérer, pas plus qu’un individu ne peut vendre sa réputation et vivre par la suite plus riche, mais moins honnête. Il ne s’agit pas vraiment d’un droit cessible. L’achalandage d’une compagnie a un impact sur sa valeur qui répercute sur la valeur de ses actions, lesquelles sont taxées entre les mains de leurs propriétaires les actionnaires. Chercher à en tirer autre chose serait inutile.

Ont aussi une valeur certaine, tous ceux reliés à la propriété, de l’emphytéose au droit de vue. Celui qui possède un tel droit doit lui assigner une valeur et, normalement, le propriétaire de l’immeuble que grève ce droit en tiendra compte pour réduire l’évaluation de sa propriété. Un droit qui ne peut être cédé n’étant pas imposé, il y aura toutefois une tendance à privilégier des droits comme l’usage ou le droit de passage limité à un ou plusieurs individus. Si des abus se produisent, une législation appropriée y verra.

Il y a aussi, parmi les biens cessibles, une foule de cas d’espéce que je ne souhaite pas traiter ici  parce qu’ils nous distrairaient de l’essentiel de cette proposition, mais auxquels il faudra apporter une réponse. Quelques exemple suffiront.

– Qu’en est-il d’une rente viagère – excluant, bien sûr, celle que créérait l’État en application de la méthode de protection des rentiers dont nous parlerons plus loin? Doit-elle être taxée en fonction d’une table actuarielle sur la base du capital investi qui donne lieu aux versements qui constituent la rente, ou les versements eux-mêmes, effectués en monnaie, sont-il adéquatement taxés par l’inflation?

– Les biens donnés à titre d’aliments et déclarés insaisissables doivent-ils être reconnus comme tels? Il faudra bien que la donateur ou le donataire verse la taxe sur ce capital et il faudra définir les modalités de perception.

– Un membership non transmissible dans un club de golf est-il un capital imposable pour celui qui en est membre, ou est-ce que les objectifs et les principes fiscaux sont satisfaits si on ne taxe que le Club lui-même pour l’argent qu’il a touché?

– Un “timesharing”, ou une participation dans une collectif d’habitation, est une valeur imposable; comment concilie-t-on, en ce cas, le principe de l’auto-évaluation jointe à une OIV aux restrictions que peut imposer le collectif à la transmission du droit d’usage des lieux et qui en diminueraient artificiellement la valeur marchande?

Il reste bien des problèmes concrets de ce type à résoudre, comme il y a une myriade de détails qu’on ne peut traiter dans un texte qui demeure tout de même un effort de vulgarisation. Je crois, cependant, que ce que nous en avons dit est suffisant pour qu’on en comprenne et qu’on en accepte le principe.

25 La dette publique

Le problème de la dette est inséparable de celui de la fiscalité. D’abord, la dette n’est que le résultat des insuffisances fiscales du passé; ensuite, le service de la dette est un élément important du budget et en a été d’ailleurs la cause première des déficits, les revenus annuels de l’État en couvrant généralement les dépenses courantes depuis des années. Enfin, la dette et son renouvellement constant sont la façon dont l’État choisit de collaborer activement au pillage de la richesse commune par les shylocks. Le fait que dans un petit pays on ne puisse actuellement rien y faire ne doit pas empêcher de prévoir la solution à appliquer dès que l’équilibre des forces aura été modifié.

Quand on parle de la dette publique, on réfère à une dette brute, sans tenir compte, donc, des actifs. Curieuse comptabilité, mais qui a le mérite de mettre en évidence  la charge qui pèse sur le contribuable.  On évalue aujourd’huii (2009), la dette brute de la France à 1 428 milliards d’euros.  Evidemment, si on tient compte du patrimoine global, le solde serait largement positif, ce qui laisse  penser que le pays n’est pas insolvable.

Mais chaque jour qui passe nous endette davantage et, surtout, implique un virement de tous incluant les plus pauvres vers ceux qui détiennent cette dette. C’est la plus grossière des arnaques du capitalisme.  Il n’y a pas d’autre raison valable de ne pas rembourser cette dette que le chantage éhonté qu’exercent les institutions financières sur les gouvernements.

La dette, on la paye dès qu’on le peut – c’est-à-dire dès qu’on a mis Shylock hors d’état de nuire. Sans délai. 

C’est un leurre de penser qu’il faut amortir les travaux gigantesques sur une longue période, sous prétexte que l’État – la collectivité – ne peut pas payer d’un seul coût une oeuvre comme le Stade olympique, ou mieux, le complexe de la Baie James. Le coûr réel du complexe de la Baie James, c’est le travail des ouvriers qui l’ont bâti, de ceux qui ont fabriqué les équipements requis, de ceux qui ont rendu disponibles les matières premières pour bâtir ou fabriquer ce qui devait l’être.

Ce travail a été payé aux travailleurs, normalement chaque deux semaines, et il a donc été payé bien avant que ne soit coupé le ruban d’inauguration du projet. Le report du paiement des travaux de la Baie James, comme le report de tout paiement effectué par l’État, n’est qu’une magouille financière pour payer un intérêt à Shylock. La dette publique représente la somme de ces magouilles. La dette publique globale des Québécois – fédérale, provinciale et municipale – est de C $ 215 milliards . Disons 30 000 dollars par tête et n’en parlons plus…

Pourquoi payer la dette publique s’il n’existe aucune justification morale pour son existence ? Pour trois (3) raisons. La première, c’est qu’il le faut pour maintenir la légitimité de l’État. Si l’État fait faillite, que ne nous fera-t-il pas? Et si l’on fait faillite une fois, pourquoi pas deux? La deuxième raison, c’est qu’il serait injuste de dénoncer la dette publique, alors que d’autres shylocks se tireraient indemnes de la restructuration de nos finances, simplement parce qu’ils auraient évité ce type particulier d’investissements. Une nouvelle fiscalité doit répartir le fardeau entre tous, le plus équitablement possible. Enfin, parce que le bon grain pousse avec l’ivraie.

Il faut protéger le bon grain. Les obligations du gouvernement qui constituent la dette publique appartiennent majoritairement à des institutions financières (banques mais aussi fonds mutuels, caisses de retraites, etc.) qui doivent elles-mêmes des sous à leurs membres et créanciers … c’est à dire, entre autres, les retraités, les petits épargnants, les petits actionnaires, qui n’ont pas à payer plus que leur part des frais de nettoyage du système. 

La dette publique doit être honorée et le fardeau de la rembourser doit retomber équitablement sur les épaules de tous, chacun au prorata de sa richesse.

Comment ? En prélevant une seule fois une taxe – disons 11%, c’est une illustration – qui ne représente qu’un jeu d’écriture sur ce même capital de biens réels et symboliques qui servira désormais d’assiette à la nouvelle fiscalité.  Des signes + et –  s’inversent, mais n’affecteent que le crédit. Cette taxe épongera les disponibilités libérées par le retrait de l’État du marché financier et servira de protection supplémentaire contre l’inflation “non-programmée” qui pourrait s’ajouter à celle qui servira d’outil fiscal à l’État et qui doit restée dans les limites du raisonnable. Comme nous le verrons plus loin, ce ne sera pas la seule protection contre l’inflation.

Il y a d’autres moyens de rembourser la dette que cette ponction au départ. Ce sont des moyens plus complexes et dont chacun a pour objet d’en faire porter le poids du remboursement par certains groupes sociaux plutôt que par d’autres. Il peut y avoir d’excellentes raisons de choisir l’une ou l’autre de ces solutions.  On retiendra celle qui favorisera – ou défavorisera le moins – le pouvoir en place quand la décision sera prise.

Dans la situation qui prévaut actuellement, la solution d’une taxe perçue en une seule fois semble raisonnable. Dans un autre contexte, après un effondrement financier qui mettrait le pouvoir en d’autres mains, un autre solution pourrait prévaloir, dont la plus simpliste qui consiste à ne rien rembourser du tout. Si on choisit cette dernière option, tôt ou tard, on le regrettera.

Quand la dette aura été remboursée … il ne faudra plus recommencer. Un gouvernement qui assumera les rênes du pouvoir devra faire connaître son plan financier à long et à moyen terme puis, chaque mois, l’État réajustera son budget au vu des circonstances en annonçant le taux d’inflation fiscal. Ce budget visera à un parfait équilibre.

Au cours du mois, des impondérables – dont le taux d’inflation non-programmé – feront que cet équilibre parfait ne sera pas atteint. Un ajustement en fin de mois déterminera le montant en plus ou en moins qu’aurait du payer chaque contribuable pour que l’équilibre se réalise et le taux d’inflation fiscal pour l’exercice suivant en tiendra compte de façon à ce que l’écart soit immédiatement corrigé. Une note sur les comptes de la Banque de l’État. Le “déficit” – ou le surplus – du budget mensuel restera toujours dans les limites d’une erreur d’estimation, ce qui est une contrainte technique inévitable et n’a pas de conséquences périlleuses.

26 L’inflation anathème

L’inflation, sous toute ses formes, est anathème pour le Système. Proposer une inflation fiscale programmée, en certains milieux, est l’équivalent d’évoquer un Cinquième Cavalier de l’Apocalypse et de l’applaudir quand il jette le Système par terre et l’achève, comme Saint-Georges le dragon… Mais ce n’est pas tout à fait vrai.

L’inflation contrôlée est un outil puissant pour remettre les pendules à l’heure, et il serait certainement bête de ne pas l’utiliser, mais elle ne règle pas tous les problèmes de la société, même pas tous ses problèmes financiers.  Il devrait être clair, à ce point, que mes sympathies ne vont pas vers le dragon, mais il ne faut pas en déduire que je prenne à la légère les dangers de ce bouleversement.

Considérant, la levée de boucliers à laquelle donnera lieu cette mesure, il faut d’abord évaluer le coût bénéfice de cette mesure draconienne et le comparer à celui des mesures alternative.  Il faut pouvoir défendre cette mesure. Il faut ensuite tenir compte de la situation économie et du climat politique et choisir le moment opportun pour le faire.

Il faut, surtout, s’assurer que, cette opération lancée, il n’y aura pas de retour en arrière. La mettre en marche et ne pas la mener à terme ou ne pas en assurer la continuité serait perpétrer sur la population une arnaque encore plus massive que toutes celles auxquelles le système capitalise nous a habitués. Il faut donc vérifier que la force  – dans toutes ses acceptions – est là pour soutenir la réforme.

Il faut faire ce changement et ne pas s’en laisser détourner par les gesticulations des Cassandres qui vont en souligner les dangers, mais il faut aussi souvenir que les dangers de l’inflation sont bien réels, indépendamment de l’utilisation malveillante qu’en a fait le Système à l’occasion.

Une inflation “non-programmée” – celle incontrôlable qui viendrait s’ajouter à l’inflation fiscale et qui découlerait des craintes de la population, ne représente-t-elle pas un risque trop grand si l’on tente d’appliquer un plan comme celui-ci ? Il y deux cas de figure.

Si le pouvoir financier occulte n’a pas été mis efficacement hors d’état de nuire, l’inflation non-programmée est plus qu’un risque: c’est une certitude et les mesures à prendre pour la juguler entraîneront une escalade dont nul ne sait comment elle se terminera. Pas plus que ceux qui ont prêté le serment du Jeu de Paume n’entrevoyait la guillotine ni Bonaparte.

Si, au contraire, ce pouvoir des shylocks a été muselé correctement, l’inflation “non-programmée” peut être contrôlée sans bouleversements inacceptables. D’abord, parce que les mesures que réclament la réforme fiscale proposée n’agissent pas toutes dans la même direction mais, dans une certaine mesure, s’équilibrent; ensuite, parce qu’il est possible de calmer l’anxiété de la population en lui offrant un havre où peut se réfugier la monnaie que l’inflation menace.

Quels sont les facteurs d’équilibre? La disparition de l’impôt sur le revenu et des taxes indirectes aura un impact inflationniste évident. Il aura cet effet parce qu’en augmentant le pouvoir d’achat des salariés, on créera une demande pour les biens de consommation, relançant la production, créant des emplois et une énorme demande pour les services des travailleurs autonomes… Toutes choses notoirement inflationnistes mais que je ne peux pas me résigner à trouver intolérables.

D’autre part, contrairement à ce que certains voudront prétendre, le paiement de la dette n’aura pas d’effet inflationniste, puisque cette somme sera compensée par une ponction équivalente sur le capital de tous au prorata de leurs avoirs. Il est vrai qu’en remboursant la dette on la rend “liquide”, mais rappelons-nous que le système actuel tout entier fonctionne sur cette prémisse – qui ne changera pas rapidement – que l’argent des nantis ne sert pas à la consommation.

En fait, un abondance subite de liquidités, allant de paire avec le retrait de l’État comme emprunteur de dernier ressort sur le marché des capitaux, poussera les taux d’intérêts à la baisse et aura un effet déflationniste dans le segment des nantis – le seul ici qui importe. 

La question est de savoir lequel sera le plus fort de l’effet déflationniste sur le marché des capitaux ou de la pression sur les prix à la consommation; la réponse n’est pas évidente.

En principe, on devrait pouvoir savoir à quoi s’attendre, si on lâche ces deux forces opposées et qu’on s’en remet aux lois du marché, car il existe aujourd’hui des modèles économétriques performants (Multimod du FMI, entre autres) qui permettent de calculer ces impacts. En pratique, on ne le peut pas, car nous ne connaissons pas vraiment ce paramètre important que constitue la richesse virtuelle de pure imagination – produits dérivés et autres – que nous avons appelée “M4″. On va l’estimer, mais en se souvenant que tout a été fait pour qu’elle ne soit pas facile à estimer.

Mis à part les facteurs tangibles qu’on peut estimer avec plus ou moins de précision, d’ailleurs, le résultat de souque à la corde entre inflation et déflation qui résultera d’une réforme de la fiscalité dépendra pour une bonne part des attitudes et des comportements atypiques que génèrera cette réforme elle-même, ce qui rend bien téméraire l’application à une situation postérieure de quelque modèle que ce soit basé sur les données antérieures. Les facteurs les plus importants seront attitudinaux.

La peur de l’inflation, au premier chef, peut être une cause d’inflation plus déterminante qu’aucun facteur concret. Comment s’en prémunir? Un contrôle des prix est possible, mais n’est pas une bonne solution, car cette mesure ne fait que stimuler l’imagination de ceux qui veulent la contourner.

Il faut, au contraire – et on a pu voir tout au long de cette proposition que je n’hésite pas à le faire – utiliser à bon escient les mécanismes du marché qui ont prouvé leur efficacité. Pour lutter contre la peur panique, mais sincère de l’inflation, il faut offrit un refuge à ceux qui ont peur. Qui sont-ils ? Quel refuge leur offrir ?

27 Les refuges

L’inflation fait peur aux shylocks, mais il n’y a pas que les shylocks à qui l’inflation fait peur, il y a aussi la foule des petits retraités, les propriétaires de REER qu’on a fait monter dans la barque capitaliste pour qu’ils servent de boucliers humains aux shylocks, comme ces prisonniers civils de pays conquis qu’on fait marcher devant les chars d’assaut des envahisseurs.

Comment protéger les petits rentiers qui ne demandent qu’à préserver le niveau de vie qu’ils se sont mérité par le travail et l’épargne, jouant de bonne foi le jeu du Système selon les règles que le Système leur imposait? Une Nouvelle Société mettra en place des mécanismes plus performants de soutien aux retraités et verra à ce que les différences de statuts, justifiées ou non, ne produisent leurs effets qu’au-delà du seuil entre le necessaire et l’agréable. Mais ceci est une autre histoire et n’a rien a voir avec les droits acquis de ceux qui sont là aujourd’hui.

On ne peut simplement pas exempter d’impôt le capital des petits retraités, sans créer dans la nouvelle fiscalité une ouverture béante par laquelle fuiraient les gros bien plus vite que les petits ; de toute façon, on ne pourrait protéger les “petits” contre l’inflation, dont la grande vertu fiscale est justement de ne laisser échapper personne.

Une des solutions – et celle qui me semble la meilleure, malgré le changement d’attitude qu’elle suppose – serait d’offrir aux rentiers l’alternative, entre le mode standard d’imposition du capital que nous décrivons dans ce rapport et la formule qui suit: “tout rentier pourrait, quelle que soit sa fortune et la nature de ses biens, en céder la propriété à l’État à tout moment, en échange d’une rente viagère égale, en monnaie constante, au revenu net après impôt qu’il retirait de cette fortune immédiatement avant que ne soit mise en place la nouvelle fiscalité”.

Le résultat est évident. Celui qui possède peu bénéficie de cette approche, car, disposant d’un même revenu garanti, il jouit désormais d’un marché de consommation où les taxes indirectes n’existent plus et il n’a même plus à craindre de l’inflation qui existe déjà aujourd’hui et dont rien ne dit qu’elle n’augmenterait pas, même si la nouvelle fiscalité n’était pas mise en place.

Celui qui a atteint un certain seuil de richesse, au contraire, n’en bénéficie pas, car le revenu net qu’il touchait avant la réforme ne lui accordait pas le taux d’une viagère, mais celui moins élevé d’un simple investissement dont le capital est remboursable. Celui-ci préférera peut-être ne pas céder ses biens à l’État contre un viager, mais engraisser davantage son patrimoine au bénéfice éventuel de ses héritiers.

Un calcul simple lui montrera que, même diminué de l’impôt sur le capital, son patrimoine demeurera à son décès une valeur significative à transmettre. Le fisc, disposant des renseignements requis et ne voulant filouter personne, mais au contraire satisfaire toutes les classes de la population autant qu’il est possible de le faire sans compromettre la réforme, fera d’ailleurs gracieusement le calcul des résultats des deux approches pour quiconque en fera la demande.

On devrait donc s’en sortir pour les petits rentiers, mais que fera-t-on pour les vrais capitalistes qui, dans le régime fiscal proposé, peuvent se percevoir comme une espèce menacée? On va aussi leur ouvrir un refuge…. On peut pallier le risque d’une inflation galopante, résultant d’une peur panique de l’inflation, en offrant aux capitalistes un havre sûr où ancrer leur fortune.

En même temps qu’il rembourse la dette publique, l’État doit créer des bons du trésor indexés, monnayables en tout temps, dont la valeur sera toujours celle de leur prix d’achat majoré de tout excédent de l’inflation réelle sur l’inflation fiscale programmée.

Ainsi, si un détenteur de bons du trésor indexés les a achetés il y a deux ans à 1 000 $, que l’inflation programmée sur cette période a été globalement de 10% et l’inflation réelle de 15 %, il a le droit d’en obtenir maintenant 1 045.45$.  Ces 1 045.45 $ représentent désormais 909.09 $ , en monnaie constante, compte tenu de l’inflation de 15%.

Sa position financière est la même que s’il avait gardé ses espèces en main et que l’inflation avait bien été de 10%, comme on le lui a dit. Le financier qui investit ses argents en bons du trésors indexés a la garantie ferme que son capital ne sera pas “taxé” indûment par une inflation imprévisible, mais uniquement du pourcentage fiscal annoncé.

Evidemmnent, on ne le tient pas quitte de l’inflation fiscale, puisque c’est l’outil fiscal utilisé, pas plus que le fonctionnement correct du système actuel ne le tiendrait quitte de son impôt sur le revenu. Mais on met un plancher absolu à la baisse de valeur qui peut résulter d’une inflation non-programmée. Un mur contre la panique

La mise en marché de tels bons du trésor indexés a d’abord pour résultat de sécuriser les capitalistes, mais elle a aussi pour effet secondaire de déposer immédiatement entre les mains de l’État des sommes énormes. Ne tombons pas dans le piège monétariste de croire que ces dépôts soient essentiels. Cet argent ne vaut rien.  Mais ce sera un avantage non négligeable de disposer de ces sommes dont l’État saura qu’elles ne sont pas utilisées pour saboter les nouvelles politiques monétaires mises en place

Les bons du trésor indexés joueront aussi le rôle de régulateurs du marché des capitaux. Quand l’économie roulera si bien que le profit à attendre d’un investissement intelligent sera supérieur au taux anticipé d’inflation réelle, les investisseurs sortiront du havre qu’on leur a ménagé comme une flottille de corsaires.

Quand il y aura risque d’une inflation non-programmée supérieure au profit à attendre d’un investissement prudent, les financiers se hâteront d’acheter des bons du trésor indexés, de mouiller ainsi en rade et de se mettre à l’abri… réduisant le risque d’inflation, et inscrivant aux livres de la Banque de l’État les fonds avec lesquels pourra, sans faire sourciller personne, intervenir ponctuellement sur le crédit pour éviter une baisse d’activité qui mettrait sérieusement l’économie en péril.

28 La paix des braves

Une telle réforme  de la structure financière de la société est-elle réalisable ? Oui, Elle est à long terme inévitable. On fera ça, ou autre chose qui en tiendra lieu et y ressemblera.  La question est de savoir si cette réforme se fera avant, ou tout de suite APRÈS, la totale faillite du système financier. Avant ou après la révolution qui ne manquera pas de suivre cette faillite.

Si cette réforme est faite dans le contexte des autres innovations que propose une Nouvelle Société, sur le plan de sa gouvernance, des changements à apporter au systeme de production et des services à offrir à la population, tout se passera bien.  On aura une « paix des Braves » . Un régime de travail-revenu garanti, par exemple, est l’autre élément incontournable d’une réforme sociétale qui règle le problème financier.

Quand la volonté sera là de réaliser cette réforme, qu’elle soit proposée avant ou après la catastrophe, deux (2)  choses peuvent retarder la mise en place de cette politique financière et de ses modalités fiscales.  La première, c’est une action concertée de sabotage par les shylocks, avant même que la démarche n’ait été initiée; c’est en partie ce que nous vivons présentement et la solution, comme nous l’avons vu, c’est un gouvernement fort et habile dans un pays fort.  Les probabilités d’un gouvernement fort, hélas,  augmentent avec celles d’une catastrophe.

La seconde, c’est la panique bien réelle qui peut saisir les possédants, quand ils verront leurs actifs s’effilocher, les amenant à des réactions irrationnelles. L’Histoire est pleine de ces situations, où ceux dont le pouvoir est menacé rejettent du revers de la main un règlement amiable qui, quelques années plus tard leur apparaît en retrospective comme une solution providentielle qu’ils ont été stupides de refuser.

La révolution française a été une cascade de ces rendez-vous manqués. De même la révolution russe aurait pu se faire sans les Bolcheviques, si l’on n’avait pas été si têtu du côté des Blancs.  On peut aussi s’interroger sur les motifs de ceux qui firent avorter la mission Hess en 1940, avant que la Deuxième Guerre Mondiale ne fasse vraiment ses millions de victimes. 

La panique est mauvaise conseillère.

Que peut-on faire contre la panique? Annoncer en toute transparence les objectifs que vise une Nouvelle Société.  Montrer qu’elle n’est pas revancharde, qu’elle ne confisquera pas, qu’il en sortira du bien ou du mieux pour tous. Nous sommes dans une société d’abondance. Il suffirait d’une reflexion menant à un relâchement des tensions pour que la justice arrive et que la misère disparaisse.

Il faut aussi, toutefois, faire accepter à ceux qui soutiennent cette réforme le concept d’offrir aux propriétaires de capitaux un havre sûr où ils pourront se réfugier avec la certitude que la décroissance de leur richesse n’ira pas en s’accélérant sans contrôle, mais se poursuivra au rythme annoncé.

Offrir ce havre, la nature humaine étant ce qu’elle est, c’est rassurer les possédants que la décroissance prévue de leur fortune ne menacera pas leur aisance dans le cours de ce qu’ils considèrent inconsciemment comme leur espérance de vie ; Prenons cette attitude, et il n’y aura pas de panique chez les possédants.

Ne pas la prendre,  c’est la folie criminelle et arrogante d’annoncer avant la bataille qu’on ne prendra pas de prisonniers et de transformer ainsi la réforme en une lutte à mort.  Il n’est pas nécxessaire qu’il  y ait du sang partout pour que le systeme soit changé, que la richesse soit redistribuée  et qu’advienne enfin la Justice.

Pierre JC Allard

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